En Irak, en
Syrie et ailleurs, les sunnites se dressent contre les régimes autoritaires.
Mais leur leadership est divisé entre bâtisseurs d’Etat moderne et intégristes
religieux.
Chacune
des révolutions en cours au Moyen-Orient comporte plusieurs aspects. D’une
part, elles tendent à promouvoir la liberté, la justice et la chute des régimes
tyranniques. De même, elles aspirent à établir des démocraties et à prendre le
train de la modernité. Pourtant, sous l’élan révolutionnaire se cachent
également un désir de vengeance et un refus de l’autre qui risquent d’engendrer
la guerre civile et d’instaurer une tyrannie à rebours. On assiste aussi dans
le monde arabe à ce qu’on pourrait appeler la “révolution sunnite”.
C’est le cas en Irak aujourd’hui, où les sunnites se dressent contre un régime qualifié de chiite et d’allié de l’Iran. Ce mouvement est nourri à la fois par des revendications légitimes et par une lamentable nostalgie de l’époque de Saddam. C’est le cas également en Syrie, où la révolution a fini par prendre une coloration confessionnelle sunnite face au régime réputé alaouite. Là encore, des revendications justes s’allient à un confessionnalisme de plus en plus dangereux. De même, au Liban, la demande justifiée de mettre un terme à la marginalisation des sunnites s’accompagne d’une montée du salafisme, mettant en péril les fragiles équilibres du pays. C’est aussi le cas en Jordanie, où le poids des Frères musulmans va croissant, au nom de la réforme de la loi électorale, face à un régime qui tarde à l’entreprendre. Ces exemples valent également pour l’Egypte, où les Frères musulmans sunnites sont arrivés au sommet du pouvoir.
Cette révolution sunnite constitue un retour de balancier après les années 1970 et 1980. A l’époque, on assistait à une conjonction de révolutions chiites, elles aussi plurivoques. Hafez El-Assad était solidement installé au pouvoir en Syrie depuis 1970, la révolution islamique [chiite] triomphait en Iran et le Hezbollah [chiite] commençait à se développer [au Liban]. Parallèlement, les centres de pouvoir sunnites s’affaiblissaient. L’Egypte était exclue de la Ligue arabe, depuis les accords de paix de Camp David [en 1978 avec Israël], l’Irak était absorbé par la guerre du Golfe que Saddam Hussein avait déclenchée avec sa désinvolture habituelle, et les dirigeants de l’OLP étaient chassés de Beyrouth par l’invasion israélienne du Liban en 1982.
Il est tout à fait déplorable que la dimension confessionnelle l’emporte sur les autres dimensions sociales et politiques, mais les réalités du monde arabe sont telles qu’il faudra faire avec. Quoi qu’il en soit, le jugement définitif sur cette révolution sunnite – en réalité une série de révolutions aux spécificités nationales diverses – dépendra du fruit politique qu’elle engendrera. Ce qui nous ramène à une problématique bien plus ancienne remontant à la domination européenne sur cette région. De cette époque-là date l’émergence de deux tendances parmi les sunnites. La première a été incarnée par une succession de grandes figures, du khédive Ismaïl [qui régna en Egypte de 1863 à 1879 et poursuivit la politique de modernisation lancée par son grand-père Mehmet Ali], jusqu’à Rafic Hariri [le Premier ministre libanais assassiné en 2005]. La seconde a été portée par Gamal Abdel Nasser [président nationaliste de l’Egypte de 1954 à 1970] et Saddam Hussein et a supplanté la première à partir des années 1950, anéantissant la seule voie vers la stabilité, à savoir l’Etat-nation. Car c’est de là que date la malédiction sunnite qui consiste à investir de “grandes causes” plutôt que le cadre national. Aujourd’hui, la légitimité de la révolution sunnite reste suspendue à sa capacité à renouer le fil de la première tendance. Pourra-t-elle relever le défi de la construction d’Etats-nations ?
C’est le cas en Irak aujourd’hui, où les sunnites se dressent contre un régime qualifié de chiite et d’allié de l’Iran. Ce mouvement est nourri à la fois par des revendications légitimes et par une lamentable nostalgie de l’époque de Saddam. C’est le cas également en Syrie, où la révolution a fini par prendre une coloration confessionnelle sunnite face au régime réputé alaouite. Là encore, des revendications justes s’allient à un confessionnalisme de plus en plus dangereux. De même, au Liban, la demande justifiée de mettre un terme à la marginalisation des sunnites s’accompagne d’une montée du salafisme, mettant en péril les fragiles équilibres du pays. C’est aussi le cas en Jordanie, où le poids des Frères musulmans va croissant, au nom de la réforme de la loi électorale, face à un régime qui tarde à l’entreprendre. Ces exemples valent également pour l’Egypte, où les Frères musulmans sunnites sont arrivés au sommet du pouvoir.
Cette révolution sunnite constitue un retour de balancier après les années 1970 et 1980. A l’époque, on assistait à une conjonction de révolutions chiites, elles aussi plurivoques. Hafez El-Assad était solidement installé au pouvoir en Syrie depuis 1970, la révolution islamique [chiite] triomphait en Iran et le Hezbollah [chiite] commençait à se développer [au Liban]. Parallèlement, les centres de pouvoir sunnites s’affaiblissaient. L’Egypte était exclue de la Ligue arabe, depuis les accords de paix de Camp David [en 1978 avec Israël], l’Irak était absorbé par la guerre du Golfe que Saddam Hussein avait déclenchée avec sa désinvolture habituelle, et les dirigeants de l’OLP étaient chassés de Beyrouth par l’invasion israélienne du Liban en 1982.
Il est tout à fait déplorable que la dimension confessionnelle l’emporte sur les autres dimensions sociales et politiques, mais les réalités du monde arabe sont telles qu’il faudra faire avec. Quoi qu’il en soit, le jugement définitif sur cette révolution sunnite – en réalité une série de révolutions aux spécificités nationales diverses – dépendra du fruit politique qu’elle engendrera. Ce qui nous ramène à une problématique bien plus ancienne remontant à la domination européenne sur cette région. De cette époque-là date l’émergence de deux tendances parmi les sunnites. La première a été incarnée par une succession de grandes figures, du khédive Ismaïl [qui régna en Egypte de 1863 à 1879 et poursuivit la politique de modernisation lancée par son grand-père Mehmet Ali], jusqu’à Rafic Hariri [le Premier ministre libanais assassiné en 2005]. La seconde a été portée par Gamal Abdel Nasser [président nationaliste de l’Egypte de 1954 à 1970] et Saddam Hussein et a supplanté la première à partir des années 1950, anéantissant la seule voie vers la stabilité, à savoir l’Etat-nation. Car c’est de là que date la malédiction sunnite qui consiste à investir de “grandes causes” plutôt que le cadre national. Aujourd’hui, la légitimité de la révolution sunnite reste suspendue à sa capacité à renouer le fil de la première tendance. Pourra-t-elle relever le défi de la construction d’Etats-nations ?
Hazem Saghieh,
Al-Hayat,
Publié dans "Courrier
International" le 11 avril 2013