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30 mai 2013

En Syrie, face à la barbarie, l'impuissance



La tragédie syrienne est entrée dans sa troisième année. Elle va se poursuivre, peut-être pendant des années encore. Avec pas loin de 100 000 morts, elle figure déjà comme l'un des conflits les plus sanglants que la région ait connus.

Mais personne n'est décidé à l'arrêter ni même à essayer sérieusement. C'est la marque de ce début de XXIe siècle : l'impuissance d'un monde multipolaire.

Traumatisés par leur expérience catastrophique en Irak, les Etats-Unis sont sur le retrait. Ils se désengagent duProche-Orient. Ils disent avoir pris la mesure des limites de leur outil militaire. Et ils savent que leur influence politico-diplomatique n'est plus ce qu'elle était.

Le président Vladimir Poutine se moque de Washington ouvertement. Au moment où il prétend vouloir favoriser une solution négociée, il livre à Damas des armes plus sophistiquées. La Russie va fournir au régime de Bachar Al-Assad des missiles sol-air qui pourraient rendre impossible l'établissement d'une zone de protection aérienne au-dessus du territoire syrien. Depuis le début du conflit, en mars 2011, Moscou n'a cessé d''appuyer  militairement son allié syrien. La Russie n'est pas en position d'observation ni de médiation : elle est engagée, activement.

La Chine est indifférente et l'Europe, en tant que telle, ne compte pas. Enfin, les pays émergents du Sud, puissances qui montent en ce début de siècle, sont largement du côté du régime syrien. Des pays comme l'Afrique du Sud, l'Indonésie, leBrésil, rebelles à l'idée d'ingérence dans les affaires d'un pays souverain, sont opposés à tout ce qui ressemble à un "changement de régime" par la force.

C'est dire qu'il n'y a pas grand-chose à attendre de la conférence internationale sur la Syrie  qu'Américains et Russes veulent réunir à Genève en juin. On est là dans la gesticulation, qui est en l'espèce le masque de l'impotence (pour les Etats-Unis), de l'hypocrisie (pour la Russie) et de l'inexistence (pour l'Europe).

La guerre prend le profil qu'a voulu lui donner Bachar Al-Assad : un affrontement confessionnel, national et régional. Ses amis iraniens ont réorganisé son armée; son allié libanais, le Hezbollah, lui a dépêché des milliers de combattants ; enfin, ses nouveaux partenaires au pouvoir en Irak facilitent son approvisionnement en armes. C'est le camp chiite.
En face, porte-drapeau du camp sunnite, la branche majoritaire de l'islam, l'Arabie Saoudite et le Qatar appuient une rébellion divisée, désorganisée et sans ressources face à un adversaire qui a le monopole des armes lourdes : avions, blindés, artillerie.
Dans une telle asymétrie, il n'est pas étonnant que la rébellion ait laissé s'infiltrer des groupes djihadistes les plus radicaux. L'attention médiatique s'est dernièrement portée sur leurs exactions, nombreuses. Ce qui a permis d'occulter les massacres perpétrés début mai par le régime dans la localité de Baniyas.

Ainsi se poursuit la démolition d'un pays et de cités séculaires, cependant que se perpétue une immense tragédie humanitaire. On refuse d'admettre que c'était inévitable.

Editorial, "Le Monde", le 20 mai 2013