La tragédie syrienne est entrée dans sa troisième
année. Elle va se poursuivre, peut-être pendant des années encore. Avec pas
loin de 100 000 morts, elle figure déjà comme l'un des conflits les plus
sanglants que la région ait connus.
Mais personne n'est décidé à
l'arrêter ni même à essayer sérieusement. C'est la marque de ce début de XXIe
siècle : l'impuissance d'un monde multipolaire.
Traumatisés par leur expérience catastrophique en Irak,
les Etats-Unis sont sur le retrait. Ils se désengagent duProche-Orient. Ils
disent avoir pris la mesure des limites de leur outil militaire. Et ils savent
que leur influence politico-diplomatique n'est plus ce qu'elle était.
Le président Vladimir Poutine se moque de Washington
ouvertement. Au moment où il prétend vouloir favoriser une solution négociée,
il livre à Damas des armes plus sophistiquées. La Russie va fournir au régime
de Bachar Al-Assad des missiles sol-air qui pourraient rendre impossible
l'établissement d'une zone de protection aérienne au-dessus du territoire
syrien. Depuis le début du conflit, en mars 2011, Moscou n'a cessé d''appuyer militairement son allié syrien. La Russie n'est
pas en position d'observation ni de médiation : elle est engagée, activement.
La Chine est indifférente et l'Europe, en tant que
telle, ne compte pas. Enfin, les pays émergents du Sud, puissances qui montent
en ce début de siècle, sont largement du côté du régime syrien. Des pays comme
l'Afrique du Sud, l'Indonésie, leBrésil, rebelles à l'idée d'ingérence dans les
affaires d'un pays souverain, sont opposés à tout ce qui ressemble à un
"changement de régime" par la force.
C'est dire qu'il n'y a pas grand-chose à attendre de
la conférence internationale sur la Syrie qu'Américains
et Russes veulent réunir à Genève en juin. On est là dans la gesticulation, qui
est en l'espèce le masque de l'impotence (pour les Etats-Unis), de l'hypocrisie
(pour la Russie) et de l'inexistence (pour l'Europe).
La guerre prend le profil qu'a voulu lui donner Bachar
Al-Assad : un affrontement confessionnel, national et régional. Ses amis
iraniens ont réorganisé son armée; son allié libanais, le Hezbollah, lui a
dépêché des milliers de combattants ; enfin, ses nouveaux partenaires au pouvoir
en Irak facilitent son approvisionnement en armes. C'est le camp chiite.
En face, porte-drapeau du camp sunnite, la branche
majoritaire de l'islam, l'Arabie Saoudite et le Qatar appuient une rébellion
divisée, désorganisée et sans ressources face à un adversaire qui a le monopole
des armes lourdes : avions, blindés, artillerie.
Dans une telle asymétrie, il n'est pas étonnant que la
rébellion ait laissé s'infiltrer des groupes djihadistes les plus radicaux.
L'attention médiatique s'est dernièrement portée sur leurs exactions,
nombreuses. Ce qui a permis d'occulter les massacres perpétrés début mai par le
régime dans la localité de Baniyas.
Ainsi se poursuit la démolition d'un pays et de cités
séculaires, cependant que se perpétue une immense tragédie humanitaire. On
refuse d'admettre que c'était inévitable.
Editorial, "Le
Monde", le 20 mai 2013