Elevage de poissons
Les autorités musulmanes balancent entre interdire et
déconseiller. Il ne semble y avoir aucune réserve, en revanche, du côté du
consistoire juif.
Ne dites pas
"farines animales". À la rigueur "protéines animales", ou
plutôt "PAT", pour "protéines animales transformées". C'est
le terme - volontairement neutre - consacré par la Commission européenne pour
parler de ces protéines à base de porc et de poulet qui seront autorisées dès le 1er juin prochain
pour nourrir les poissons d'élevage. Elles seront constituées plus
précisément "des os, des organes ou tissus non consommés dans nos pays et
des chutes de parage, la préparation de la viande pour la vente au
détail".
Consommer des poissons
nourris avec des protéines animales pose déjà quelques problèmes éthiques à
certains. Mais il y a aussi un volet religieux : les musulmans qui mangent
halal et les juifs pratiquants pourront-ils consommer ces poissons qui ont
ingéré du porc, ou même du poulet tué sans respecter les rites ? La Commission
"ne s'est pas penchée sur cette question", indique Frédéric
Vincent, porte-parole chargé de la santé et de la protection des consommateurs.
Le Point.fr a donc interrogé des responsables de ces deux communautés.
Les théologiens
musulmans sont partagés
Selon le président de
l'exécutif musulman de Belgique,
Semsettin Ugurlu, "c'est un sujet nouveau pour la
communauté musulmane, qui nécessite une étude approfondie au niveau théologique
et scientifique". Semsettin Ugurlu demande du temps pour "réunir le
Conseil des théologiens". En attendant, "nous nous référons à un cas
similaire dans la théologie musulmane connu sous le nom jallâla: la
consommation d'animaux qui se nourrissent d'impuretés au sens large",
précise le président.
Il explique : "Sur
cette question précise, les théologiens musulmans sont partagés en deux points
de vue. Certains disent qu'il est haram (impur selon l'islam, et donc interdit, NDLR) de
manger des animaux qui se nourrissent eux-mêmes d'impuretés. D'autres, plus
nuancés, disent qu'il est makrouh (déconseillé selon l'islam, NDLR) de consommer de tels
animaux." Interdit ou déconseillé, "ces deux points de vue peuvent
être pris en compte par les musulmans dans l'attente d'une étude approfondie et
spécifique", conclut Semsettin Ugurlu.
Pour les juifs, Michel
Gugenheim, grand rabbin de Paris, spécialisé dans la cacherout (l'ensemble des règles alimentaires juives, NDLR), ne fait état d'aucune
réserve : "Il pourrait y avoir une difficulté si on risquait de trouver
des morceaux de gélule ou de cachet en nettoyant le poisson. Mais à partir du
moment où l'animal a ingéré, assimilé les aliments non cachère, il n'y a pas de
problème", tranche ce membre du tribunal rabbinique de Paris.
Il y aura désormais
trois types de poissons sur les étals des marchés
La décision, prise en
juillet dernier par la majorité des représentants des Vingt-Sept, sur la base
d'une proposition de la Commission européenne, n'a pas été endossée par trois
États membres : la France,
l'Allemagne et le Royaume-Uni. La France importe 85 % de sa consommation totale
de poisson. Mais le ministère de l'Écologie veut renforcer et promouvoir la
charte de "l'aquaculture de nos régions", qui concerne 80 % de la
production française et dans laquelle les animaux ne mangent qu'une nourriture
conforme à "leur régime alimentaire naturel".
À partir du 1er juin, il devrait donc y avoir trois
types de poissons sur les étals des marchés et des supermarchés : pêchés en
mer, élevés selon les règles de l'UE, donc nourris avec des protéines de porc
et de poulet, et issus d'une pisciculture sans protéines de porc et de poulet.
Bonne nouvelle : les pisciculteurs qui choisissent cette filière peuvent donc
espérer percer sur le marché halal. Au moins dans l'attente d'une étude
théologique approfondie.
Le Point, 6 mars 2013