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Quelles sont les formulations les
plus courantes ?
« Quasiment tous les pays du monde
arabo-musulman, sauf le Liban qui est pluriconfessionnel, font référence à
l’islam dans leur Constitution, constate Jean-Philippe Bras,
professeur de droit public à l’université de Rouen. Mais on distingue deux
groupes : ceux qui se bornent à faire de l’islam la religion d’État, comme
au Maghreb, et ceux qui, comme au Moyen-Orient, font de la charia, en plus, une
ou la source du droit. »
L’islam est même « religion du peuple et de
l’État » en Mauritanie. Et l’État lui-même est « islamique » en
Afghanistan, en Iran, à Bahreïn, au Pakistan ou au Yémen. Hormis le Liban, la
Syrie est finalement le seul pays du monde arabe dont la Constitution ne fait
pas de l’islam la religion d’État (toutefois, le droit musulman y constitue une
source de la législation et le chef de l’État doit être musulman). Et en dehors
du monde arabe, c’est aussi le cas de l’Indonésie, de la Gambie, de
l’Ouzbékistan, et même du Soudan (mais le texte voté en 2005 fait référence aux
peines corporelles prévues par le Coran). Quant à la Turquie, l’Azerbaïdjan et
à quelques États africains comme le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal ou le
Tchad, ce sont des États explicitement séculiers.
Elles diffèrent d’un pays à l’autre, indique Nathalie
Bernard-Maugiron, codirectrice de l’Institut d’études de l’islam et des
sociétés du monde musulman, spécialiste de droit contemporain des pays arabes,
et auteur d’une étude sur « La place de la charia dans la hiérarchie
des normes » (1). Dans la plupart des cas, elles n’ont pas
d’effets concrets sur l’organisation du pouvoir ou des institutions qui
fonctionnent sur le modèle d’une séparation plus ou moins absolue de l’État et
de la religion. « Dans le monde arabe, on ne trouve guère que l’Arabie
saoudite pour affirmer que le roi tire son pouvoir du Coran et de la Sunna, qui
s’imposent à lui et où un comité de grands oulémas participe à l’exercice du
pouvoir. » En Iran, République islamique, le pouvoir politique
est même exercé par le clergé chiite.
Aux yeux de la chercheuse, ces références visent
surtout à « se réapproprier le référent religieux pour renforcer la
légitimité du régime ». En pratique, elles ont surtout conduit à
une « administration de la religion par l’État et à une
fonctionnarisation des imams », note Jean-Philippe Bras. Autre
conséquence : à l’exception de quelques pays, telle l’Égypte, qui
reconnaissent explicitement d’autres religions (chrétienne, juive), les
citoyens sont considérés a priori comme musulmans.
Certains textes réservent les plus hautes fonctions à
des musulmans : au président de la République dans plusieurs pays, à
l’héritier du trône au Qatar. En Jordanie, au Koweït et à Oman, le souverain
doit être « de père et de mère musulmans ». « Même si les
autres Constitutions ne l’imposent pas expressément, il demeure qu’en pratique
la candidature et plus encore l’élection d’un non-musulman est difficilement
imaginable », relève par ailleurs Nathalie Bernard-Maugiron.
Enfin, d’autres pays – Yémen, Égypte – prévoient la prestation d’un
serment religieux pour le président de la République, voire les ministres ou
les parlementaires. Sans toutefois que cela empêche des non-musulmans d’accéder
à ces fonctions.
Enfin, la référence à l’islam est souvent utilisée
pour conditionner l’exercice de droits et libertés : le respect des droits
de l’homme (en Arabie saoudite), de l’égalité entre l’homme et la femme (en
Égypte, Bahreïn ou en Iran) se fait « conformément » ou « sans
préjudice des principes de la charia islamique ». En Iran et en
Arabie saoudite, l’islam oriente également la politique étrangère, qui doit rechercher
l’unification de la communauté musulmane (la oumma).
Enfin, certaines institutions islamiques
traditionnelles – comme l’aumône ou les peines corporelles prévues par le
Coran pour quelques infractions comme le vol, la consommation de vin ou l’apostasie
au Soudan – sont parfois mentionnées. « Mais dans la plupart des
pays, on n’en est plus là », affirme Jean-Philippe Bras.
Elles sont extrêmement variées. Une dizaine d’États
n’y font aucune référence dans leur Constitution : Algérie, Maroc, Tunisie
(où, après d’âpres débats, elle ne devrait pas figurer dans le nouveau texte)
mais aussi Mali, Niger, Tchad, Indonésie ou encore Turquie. À l’inverse, en
Arabie saoudite, le Coran et la Sunna (la tradition) font office de
Constitution, en vertu de la loi fondamentale adoptée par le roi en 1993. Une
vingtaine d’autres lui confèrent une valeur normative mais sans toujours
préciser sa place par rapport aux autres normes.
En Iran, la charia prévaut même sur les dispositions
constitutionnelles. Dans d’autres pays (Émirats arabes unis, Bahreïn ou
Koweït), la charia est « une » des sources principales de la
législation. En Syrie, c’est le fiqh (jurisprudence islamique) qui
joue ce rôle, et en Irak « l’islam »… Enfin, en Égypte, au Yémen, à
Oman ou au Soudan, les principes de la charia sont « la » source
principale de la législation.
Par ailleurs, d’autres Constitutions se réfèrent à la
charia dans des domaines précis : droit des successions, mariage, divorce,
etc. Problème : la plupart de ces textes ne précisent pas de quels
principes il s’agit, ni à quelle école juridique il convient de se référer pour
les identifier, ni même à qui revient la tâche d’apprécier la conformité de la
loi à la charia. L’Égypte représente une exception puisqu’une Cour
constitutionnelle a été chargée de ce contrôle, qu’elle a exercé de façon très
moderniste, adoptant une conception très restrictive du concept de « principes
de la charia ».
Pour cette raison, la nouvelle constitution égyptienne soumise
au référendum en décembre 2012 par le président Mohamed Morsi, qui laisse
inchangé l’article 2 sur le rôle de la charia dans la législation,
explicite en revanche son contenu dans un article 219 visant clairement à « contrecarrer
l’interprétation moderniste de l’article 2 qu’avait adoptée la Haute Cour
constitutionnelle », estime Nathalie Bernard-Maugiron.
Si les constituants ont généralement espéré
contrebalancer la montée de l’opposition islamiste par la promotion d’un
« islam officiel », sans portée juridique réelle, l’arme est à double
tranchant, reconnaît la chercheuse : « Les mouvements radicaux de
l’islam politique vont en effet l’invoquer eux aussi pour fonder leur
contestation du pouvoir. » « Avec la prise du pouvoir de certains
partis islamistes, les juges vont peut-être se sentir pousser des ailes pour
interpréter plus directement la charia, notamment en droit de la
famille », souligne Jean-Philippe Bras.
(1) Publiée dans La Charia aujourd’hui, usages de
la référence au droit islamique, sous la direction de Baudouin Dupret, Éd.
La Découverte, 2012, 301 p., 26 €.
Anne-Bénédicte HOFFNER
La Croix, 1er février 2013