Des parcours
aux débuts comparables, une même question au cœur de l'enquête: Jérémie Louis-Sydney, leader décédé du groupe de jeunes
terroristes interpellés ce week-end, a-t-il «basculé», dans l'islam
radical au cours de son passage en prison, comme les policiers l'ont suspecté
de Mohamed
Merah? Derrière les murs, le prosélytisme sévit. En détention, comme
à l'extérieur, les groupes islamistes se sont organisés, et «ils sont de plus en
plus difficiles à détecter», témoigne un directeur d'un grand établissement
pénitentiaire. Malgré ses efforts, l'administration ne parvient pas à endiguer
un fléau qui a changé de nature, un islamisme moins ostentatoire mais plus
structuré…
Les chiffres
étant rares, pour évaluer le nombre de détenus musulmans l'administration
pénitentiaire s'appuie sur le nombre de repas spéciaux commandés pour le
ramadan: en 2012, 18.000 personnes se sont inscrites pour bénéficier d'une
collation supplémentaire au moment du dîner, visant à rétablir un équilibre
alimentaire après le jeûne. Un quart au moins - d'autres évaluations vont
jusqu'à un tiers - des prisonniers pratiqueraient donc la religion
musulmane.
Depuis 2008,
la «pénitentiaire» a décidé de former ses hommes pour veiller sur les
phénomènes de radicalisation qui peuvent atteindre ces publics. «Deux cents
personnes détenues pour des faits en relation avec l'islamisme radical font
l'objet d'une surveillance spéciale», précise le porte-parole de la
Chancellerie, Pierre Rancé. Parmi eux, soixante-quinze détenus sont condamnés
pour terrorisme. «Ceux-là se savent sous haute surveillance. Leur objectif,
pendant la détention, est de se fondre dans la masse des détenus. Ils
n'agissent jamais directement, ils envoient des missionnaires s'ils veulent
approcher quelqu'un», raconte un cadre pénitentiaire.
Un public «psychologiquement fragile»
C'est en
observant avec qui «tourne» un détenu - lors des horaires de
promenade - que les surveillants reconstituent les liens entre les uns et
les autres. L'administration centrale a édité à leur attention un document
confidentiel, pour aider les personnels à détecter les signes précurseurs d'une
radicalisation: un détenu qui ne sert plus la main au surveillant, qui se
douche habillé, n'écoute plus la radio ou interdit aux autres de le faire… doit
éveiller la suspicion. Ces signaux sont consignés électroniquement dans les
livrets des détenus, mémoire informatique de leurs faits et gestes. Plus
généralement, le renseignement s'est développé dans l'enceinte des prisons, en
lien avec la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur). Les
conversations téléphoniques d'un détenu repéré sont écoutées, son attitude au
parloir observée, et le surveillant de nuit s'attardera devant sa cellule afin
de capter une éventuelle discussion par le biais d'un téléphone portable
infiltré. Ces informations sont traitées par une cellule dédiée au sein de
l'administration pénitentiaire, la EMS-3. Tous les mois, les directeurs
d'établissement transmettent une liste de noms de suspects et rencontrent les
responsables régionaux des renseignements généraux.
Malgré tout,
les établissements manquent d'officiers spécialisés dans le renseignement
- avec un officier pour 2000 détenus dans certains cas - et la surpopulation
rend le suivi des détenus à risque plus difficile. Par ailleurs, la prison
accueille un public souvent «psychologiquement fragile, explique Farhad
Khosrokhavar, directeur à l'EHESS (École des hautes études en sciences
sociales). Certains de ces détenus sont susceptibles de
radicalisation de manière beaucoup plus aisée que les autres et l'institution
carcérale est largement démunie à cet égard. Le nouveau modèle de
radicalisation table sur les personnes psychologiquement instables et fragiles
et, en cela, la prison devient le lieu idéal pour leur “formation”».
Laurence De
Charette,
Le Figaro, 9
octobre 2012