Reconnaissance de l'Imamat des Femmes
Ce mouvement est soutenu par le réseau des universités
islamiques d'Etat où elles enseignent et par les centres d'études du genre
qu'elles y ont fondés.
La direction médiatisée et subversive d'une prière
mixte par Amina Wadud, à New-York en 2005, a fait des émules et a conduit à la
reconnaissance de l'imamat des femmes par certains groupes en Afrique du Sud ,
en Amérique du Nord et en Europe, où, par exemple, en Angleterre, le Muslim
Educational Centre of Oxford organise des prières mixtes, où le sermon est
délivré par une femme imam.
Le réseau des mosquées du Tawhid, créé aux Etats-Unis
par le Muslim for Progressive Values (musulmans progressistes), fondé en 2006
par une femme imam indonésienne, Ani Zonnenveld, a essaimé au Canada et en
France.
Cette association défend l'idée d'un islam inclusif
prônant l'égalité entre les sexes : la mosquée de Washington a ainsi été
confiée à l'imam gay Daayiee Abdullah.
Les homosexuels, mais aussi les transsexuels trouvent
leur place dans ce courant réformateur qui se développe aux Etats-Unis, au
Canada, en Afrique du Sud, en Indonésie et en Europe, depuis les années 2000.
Si la démarche pionnière des féministes islamiques a
inspiré ce mouvement, une partie seulement d'entre elles s'est jusqu'alors
jointe aux revendications des homosexuels musulmans au sein du courant inclusif
et progressiste.
Il a émergé à New York avec l'organisation d'une
conférence internationale sur l'islam et la diversité des sexualités par la
première association d'homosexuels musulmans créée dans le monde, Al-Fatiha, en
1999.
Ce mouvement s'appuie sur les travaux d'intellectuels
engagés comme Scott Siraj Al-Haqq Kugle, professeur à l'université Emory à
Atlanta. Celui-ci a publié en 2010 un ouvrage de référence Homosexuality in
Islam, (Oneworld Publications), dans lequel il considère, à partir d'une
étude approfondie du Coran et de la tradition prophétique respectant les règles
strictes de l'exégèse, qu'il n'existe aucun texte ou aucune tradition islamique
authentique qui condamnerait l'homosexualité.
En France, il faudra attendre 2010 pour que soit
fondée l'association HM2F (Homosexuel(le)s musulman(e)s 2 France).
Chacun est libre de son positionnement
Lors du colloque que HM2F a organisé à l'Assemblée
nationale cette année-là, l'imam de Bordeaux, Tareq Obrou, a dit pour la
première fois que l'homosexualité n'était pas condamnée comme telle dans le
Coran ou dans la sunna ["loi immuable" de Dieu].
Selon lui, ce serait plutôt la perception commune de
l'islam qui serait au fondement de cette condamnation. Un de ses proches, Michael
Privot, musulman converti, ayant déclaré mi-décembre 2012 que si
l'homosexualité constituait bien un "défi théologique", chacun
dans une société démocratique était libre de son positionnement sur
l'homosexualité et le mariage entre citoyens de même sexe.
Tariq Ramadan, partisan d'une "réforme
radicale" de l'islam et fondateur d'un centre d'éthique au Qatar, avec
un axe de recherche sur le genre, s'est associé au féminisme islamique, mais ne
s'est en revanche pas pour l'instant prononcé sur les mobilisations des
homosexuels musulmans.
Des associations musulmanes françaises se disant
réformistes ont récemment pris leurs distances avec HM2F par crainte de
représailles ou de perdre des membres. Pourtant, les réactions personnelles
suscitées par la fondation de la première mosquée inclusive de France, dont les
imams ont vocation à marier tous les couples, ont montré qu'une partie sans
doute non négligeable de la communauté musulmane française était ouverte au
débat.
A l'heure des discussions sur le mariage homosexuel et
des aléas de l'institutionnalisation d'un islam de France, la République française
devrait prendre en compte ces nouveaux courants réformistes pour proposer de former
des femmes imams, refuser la discrimination liée à l'orientation sexuelle, dans
le cadre du projet de l'Institut de formation des imams de France, dont la
création à Strasbourg est évoquée depuis plusieurs années.
Ce qui irait de pair avec le "féminisme"
soudain affiché par nos élus lors des controverses sur le voile ou la burqa et
serait cohérent avec les valeurs démocratiques.
Cela serait une autre façon d'évoquer l'islam en
France, par ses courants avant-gardistes, égalitaires et inclusifs plutôt que
par ses mouvances conservatrices, régressives, voire djihadistes.
Stéphanie Latte Abdallah, chercheuse au CNRS ;
Ludovic
Mohamed Lotfi Zahed, doctorant à l'EHESS
Le Monde, 18 février 2013