Pierre Vermeren
Nous allons évoquer
dans la prochaine émission une actualité à la fois brûlante et récurrente,
celle des assassinats commis en France, en Europe et ailleurs par le terrorisme
islamiste international. A chaque attentat, d’ampleur variable, de mode
opératoire artisanal ou sophistiqué, nous avons droit sur les chaines
d’information à des défilés d’experts présentés comme des spécialistes en
sécurité, en géopolitique ou en sociologie ; on nous parle des victimes - souvent
pas assez -, des terroristes, - souvent trop -, mais il nous est rarement donné
l’occasion de voir cette actualité avec le recul de ce que les historiens
appellent « le temps long ». C’est pourquoi j’ai pensé qu’il était
utile, justement, d’avoir ce regard original sur les horreurs que nous avons
vécu et que nous continuons de vivre ; mon invité sera en effet Pierre
Vermeren. Je ne compte plus les émissions où il nous a fait l'honneur de passer
sur notre antenne. Rappelons qu’il est historien,
arabisant,
Professeur d'Histoire contemporaine à l’Université Paris I
Panthéon-Sorbonne,
et qu’il a déjà consacré plusieurs ouvrages au Maghreb et en particulier au
Maroc. Sa notoriété a surtout décollé après les printemps arabes, et beaucoup
ont pu le lire dans de grands médias. Il a écrit deux tribunes dans « Le
Figaro » suite à des attentats, l’une le 27 juillet 2016 après
l’assassinat horrible du Père Jacques Hamel, égorgé dans son église de
Normandie, et l’autre le 21 août dernier, après l’attentat de Barcelone ;
et ce qu’il a écrit guidera en partie l’interview qu’il a bien voulu nous
accorder.
Parmi les questions que
je poserai à Pierre Vermeren :
-
Vous
donnez un bilan chiffré des victimes du terrorisme mené au nom du djihad,
depuis le 11 septembre 2001, bilan établi en dehors des guerres civiles en
Syrie et en Irak, où ce terrorisme était aussi un des acteurs. Pourriez-vous
donner ces chiffres à l’antenne ? Et pourriez-vous expliquer votre propos,
lorsque vous écrivez que « le terrorisme international est pour ses
commanditaires une guerre très rentable en termes de terreur, de notoriété,
d’impact médiatique et idéologique » ?
-
Vous qui lisez l’arabe et qui êtes très à
l’écoute ce qui s’écrit, en particulier au Maghreb, comment réagit l’opinion
publique dans ces pays ? Ici, en France et à la lecture des réseaux
sociaux, Facebook en particulier, on a l’impression que les théories du complot
sont souvent utilisées pour nier que ces tueries sont réellement faites au nom
de l’islam : en est-il de même de l’autre côté de la Méditerranée ?
-
Nous
avions parlé ensemble de votre livre « Le choc des décolonisations »,
qui donnait des bilans humains précis de ces guerres, en rappelant qu’elles ont
été autant ou plus meurtrières en Indochine ou dans certains pays
africains : or ce n’est pas, manifestement, ce qu’en ont retenu les
populations au Maghreb, et celles issues de l’immigration : est-ce que, à
votre avis, un des moteurs de l’engagement terroriste de certains jeunes
musulmans est une volonté de revanche historique ?
-
Emmanuel
Todd a écrit à propos de Charlie Hebdo : « Blasphémer de manière
répétitive, systématique sur Mahomet, personnage central de la religion d’un
groupe faible et discriminé, devrait être qualifié d’incitation à la haine
religieuse, ethnique ou raciale ». Jean Bauberot, a dit que « pour
l’extrême droite, une partie de la droite et même pour certaines personnes de
gauche, la défense de la laïcité est devenue un moyen de stigmatiser les
musulmans ». Qu’en pensez-vous ?
-
Dans
votre tribune du 21 août, vous écrivez : « au lieu d’éloigner les
musulmans du fondamentalisme, le terrorisme semble en accroitre le cercle ».
Vous soulignez que la mouvance des Frères Musulmans, et le CCIF (collectif
contre l’islamophobie en France) se présentent de plus en plus en
interlocuteurs des autorités et des médias, voire même en pacificateurs.
Comment l’expliquez-vous ? Est-ce que c’est le succès de postures
victimaires suite aux mesures de sécurité imposées par les attentats ? Et
est-ce que, même sans le terrorisme, l’offensive idéologique largement financée
par l’Arabie ou le Qatar aurait quand même eu lieu ?
-
L’Etat
Islamique a été fondé en 2014, mais il a perdu l’essentiel de ses territoires
en l’espace de trois ans. Le nombre des volontaires partis faire le djihad
là-bas est en chute libre, mais vous dites que malgré ses échecs, le terrorisme
a atteint ses buts de guerre, pourquoi ? Vu qu’on a affaire à une mouvance
millénariste persuadée de gagner à la fin des temps, doit-on craindre que ce
combat dure encore pendant des décennies ?
Une interview passionnante, je l’espère … soyez
nombreux à l’écoute !
J.C