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31 octobre 2017

Ce que les psychiatres disent des terroristes



Tous les terroristes ont-ils une pathologie psychiatrique ?

Face à l’horreur des attaques de ces derniers jours, en France comme en Allemagne, le terme de « folie meurtrière » revient sur toutes les lèvres. D’autant que pour un certain nombre d’entre elles, les autorités ont évoqué les fragilités mentales de leurs auteurs.
Ainsi de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, le conducteur du « camion fou » de Nice le 14 juillet décrit comme « instable et violent », ou de David Ali Sonboly qui, une semaine plus tard, a tué 9 personnes à Munich et souffrait selon la police allemande de « troubles psychiatriques » (lire plus bas).
Faut-il dès lors systématiquement lier terrorisme et maladie mentale ? Et ne voir dans les auteurs des dernières tueries de masse que des « fous », plutôt que des idéologues agissant avec une forme de rationalité ? Pas si simple, répondent les experts, psychiatres en tête.
Pour le neuropsychiatre Boris Cyrulnik (1), « il est rare » de diagnostiquer, chez les terroristes, des pathologies psychiatriques au sens strict du terme comme par exemple la schizophrénie. En revanche, ils souffrent très souvent de « troubles psychopathologiques ».
« On pense qu’il faut être fou pour tuer ! Mais en réalité, il faut être mégalomaniaque et paranoïaque. Or ce sont des troubles de la personnalité plutôt que des maladies mentales », note son confrère Roland Coutanceau, président de la Ligue française pour la santé mentale (2).

Précisément, quels troubles sont en jeu ?

D’après Boris Cyrulnik, les troubles « psychopathologiques » peuvent avoir des origines diverses : une culture diluée, une famille absente ou très conflictuelle, une incapacité à trouver du travail et donc une place…
Autant de carences éducatives et affectives propices à des formes de fragilité sur lesquelles des idéologies comme celle de Daech peuvent prospérer. « Pour faire écho à l’historien Michelet, “les sorcières apparaissent dans les déserts de sens”. C’est précisément ce qui se passe, observe Boris Cyrulnik : des jeunes en grande souffrance, sans véritable relais, peuvent être tentés de s’en remettre à des gourous pour trouver un sens à leur vie. »
« Généralement, ce sont des pathologies qui rendent difficiles l’insertion, ou alors il s’agit d’une insertion de façade, ajoute la psychologue clinicienne Carole Damiani, de l’Association Paris Aide aux Victimes, qui assure le suivi des auteurs lors de procès. Souvent, leur vision du monde est coupée entre le noir et le blanc, sans nuance. La part qu’ils n’acceptent pas doit être éliminée. »
« Beaucoup souffrent d’un état très torturé marqué par une intolérance à la frustration, avec un ego surdimensionné, et globalement un manque d’empathie envers les autres », complète un psychologue de la police judiciaire, qui travaille à Fresnes auprès de détenus.
Pour ce dernier, la meilleure preuve qu’ils ne sont pas fous, c’est que Daech recherche leur profil. « Ces organisations veulent des gens dont ils peuvent conditionner le comportement pour mieux s’en servir. Or, un fou est par définition une personne ingérable », observe l’expert.
Carole Damiani conçoit toutefois que l’analyse soit difficile, notamment pour le grand public lorsque la barbarie fait irruption dans le quotidien : « Les terroristes ne sont pas tous fous, mais leur combat ou leurs actes sont tellement fous que c’est difficile d’y voir clair pour le profane. »

Quel est le rôle de l’islam radical dans ces actes terroristes ?

Si l’islam radical apparaît comme un élément récurrent dans le profil des auteurs d’attentats, le plus souvent jusqu’ici, c’est sous l’angle politico-religieux. « Les islamistes politiques radicaux partagent l’idée d’un combat contre la modernité, l’Occident et ses valeurs. Parmi eux, les djihadistes – les plus extrémistes – affichent en plus une idolâtrie du prophète Mohammed et une quête obsessionnelle du paradis », observe Patrick Amoyel, pédopsychiatre et fondateur de l’association Entr’autres, engagée dans la déradicalisation.
Sexe, alcool, cigarette… tout ce qui est considéré comme « péché » ou « corruption » sur terre se retrouve dans ce paradis vu comme un lieu de « jouissance matérielle ».
« Combat final » et « purification » du monde comme « signes de la fin des temps et de l’heure du Jugement divin », mais aussi « mythe de la restauration du califat des premiers siècles de l’islam » …
L’idéologie de Daech a « su habilement réactiver de vieux mythes qui parlent au cœur de nombreux musulmans », remarque également l’islamologue Rachid Benzine dans Le Monde, évoquant « une sorte de ‘‘nuage radioactif’’ qui plane désormais – et qui va planer longtemps – sur nos têtes ».
L’adhésion à l’islam radical, même djihadiste, ne suffit pas à expliquer le passage à l’acte terroriste, qui obéit aussi à d’autres facteurs, psychologiques notamment. Mais élément nouveau, c’est désormais aussi sur le mode « identitaire » qu’intervient l’islam radical dans le profil des terroristes.
« Peu ou pas pratiquants, certains auteurs d’attentats vivent leur adhésion à l’islam comme une identité blessée, comme victimes », décrit Patrick Amoyel. « Un buveur de bières, un mangeur de porc, un hyperactif sexuel, un body builder comme le livreur tunisien de Nice peut devenir un outil de production de la terreur que Daech a la volonté de semer sur toute une partie de la planète », constate de son côté l’islamologue.

Y a-t-il un risque de contagion ?

Pour Roland Coutanceau, il ne faut certainement pas redouter une « épidémie de meurtres de masse » – selon l’idée que les personnes mentalement fragiles trouveraient dans Daech une forme récurrente de « sublimation » – même si la succession des derniers drames peut faire peur.
« L’être humain a plutôt l’instinct de conservation et les personnes fragiles aussi ! fait remarquer l’expert. Pour aller à sa perte, en tuant d’autres personnes, dans une forme de suicide mégalomaniaque, il faut avoir un profil psychologique très particulier. Cela ne concerne que très peu de gens ».
Pour autant, le psychiatre Jean Furtos appelle à une certaine vigilance. Car, selon ce dernier, les personnes atteintes de psychose sont très sensibles au climat ambiant. « Dans les années 1990, par exemple, les gens déliraient beaucoup sur le diable, sur fond de prises importantes de drogues. Après certaines tueries, on observe que le niveau de violence augmente chez les psychotiques de la région où elles ont eu lieu. »
Selon le directeur scientifique honoraire de l’observatoire national des pratiques en santé mentale et précarité, à Lyon, « le climat terroriste d’aujourd’hui, avec ses violences et ses carnages, peut aussi exciter quelque chose, d’autant que les images tournent à répétition ».

Peut-on faire un travail de prévention ?

Beaucoup d’experts se désolent de l’état de la psychiatrie en France, alors que le nombre de lits est en baisse constante depuis des années. « Il faudrait inventer un dispositif de masse, mais en période de restrictions, on a plutôt tendance à se concentrer sur les cas les plus lourds », regrette l’expert de la police judiciaire.
« Idéalement, les centres médico-psychologiques devraient s’adresser également à ces publics socialement fragiles, chez les jeunes. Par le passé il y a eu des tentatives de dispensaires en hygiène mentale, pour accompagner les gens qui ne sont pas des malades. Mais eux aussi ont tous fermé », poursuit-il.
Les pratiques médicales demandent à évoluer. Jean Furtos plaide notamment en faveur d’une meilleure circulation de l’information sur les patients susceptibles de passer à l’acte. « Désormais, je suis très sensible au travail en réseau. Tout en gardant le secret médical, il est important de pouvoir échanger avec la police, une assistante sociale, la famille, pour ne pas laisser une personne qui pourrait se tuer ou tuer quelqu’un. »
Ce psychiatre renvoie aussi par ailleurs à la responsabilité des médias, pour éviter « l’exacerbation maniaque » des patients.
C’est aussi pour cette raison que Roland Coutanceau se pose même la question de l’anonymisation des auteurs. Car si la dimension mégalomaniaque du passage à l’acte n’est qu’une dimension parmi d’autres, elle est importante : « Pour la plupart des meurtriers de masse, il est séduisant de penser que leur crime les fera connaître, leur assurera une forme de postérité. La diffusion de leur nom dans la presse encourage ces tendances. Pourquoi ne pas s’en tenir aux initiales, par exemple ? »

Jean-Baptiste François, Anne-Benédicte Hoffner et Marine Lamoureux

La Croix, 25 juillet 2016

(1) Dernier ouvrage paru : Ivres paradis, bonheurs héroïques, Odile Jacob, 22,90 €.
(2) Auteur de Faut-il être normal ? Michel Lafont, 2014, 34 €.