Tous les terroristes ont-ils une
pathologie psychiatrique ?
Face à l’horreur des attaques de ces derniers jours,
en France comme en Allemagne, le terme de « folie meurtrière »
revient sur toutes les lèvres. D’autant que pour un certain nombre d’entre
elles, les autorités ont évoqué les fragilités mentales de leurs auteurs.
Ainsi de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, le conducteur du
« camion fou » de Nice le 14 juillet décrit comme « instable
et violent », ou de David Ali Sonboly qui, une semaine plus tard, a
tué 9 personnes à Munich et souffrait selon la police allemande de « troubles
psychiatriques » (lire plus bas).
Faut-il dès lors systématiquement lier terrorisme et
maladie mentale ? Et ne voir dans les auteurs des dernières tueries de masse
que des « fous », plutôt que des idéologues agissant avec une forme
de rationalité ? Pas si simple, répondent les experts, psychiatres en tête.
Pour le neuropsychiatre Boris Cyrulnik (1), « il
est rare » de diagnostiquer, chez les terroristes, des pathologies
psychiatriques au sens strict du terme comme par exemple la schizophrénie. En
revanche, ils souffrent très souvent de « troubles psychopathologiques ».
« On pense qu’il faut être fou pour tuer ! Mais
en réalité, il faut être mégalomaniaque et paranoïaque. Or ce sont des troubles
de la personnalité plutôt que des maladies mentales », note son confrère Roland
Coutanceau, président de la Ligue française pour la santé mentale (2).
Précisément, quels troubles sont en
jeu ?
D’après Boris Cyrulnik, les troubles
« psychopathologiques » peuvent avoir des origines diverses : une
culture diluée, une famille absente ou très conflictuelle, une incapacité à
trouver du travail et donc une place…
Autant de carences éducatives et affectives propices à
des formes de fragilité sur lesquelles des idéologies comme celle de Daech
peuvent prospérer. « Pour faire écho à l’historien Michelet, “les
sorcières apparaissent dans les déserts de sens”. C’est précisément ce qui
se passe, observe Boris Cyrulnik : des jeunes en grande souffrance, sans
véritable relais, peuvent être tentés de s’en remettre à des gourous pour
trouver un sens à leur vie. »
« Généralement, ce sont des pathologies qui
rendent difficiles l’insertion, ou alors il s’agit d’une insertion de façade, ajoute la psychologue clinicienne
Carole Damiani, de l’Association Paris Aide aux Victimes, qui assure le suivi
des auteurs lors de procès. Souvent, leur vision du monde est coupée entre
le noir et le blanc, sans nuance. La part qu’ils n’acceptent pas doit être
éliminée. »
« Beaucoup souffrent d’un état très torturé
marqué par une intolérance à la frustration, avec un ego surdimensionné, et
globalement un manque d’empathie envers les autres », complète un psychologue de la
police judiciaire, qui travaille à Fresnes auprès de détenus.
Pour ce dernier, la meilleure preuve qu’ils ne sont
pas fous, c’est que Daech recherche leur profil. « Ces organisations
veulent des gens dont ils peuvent conditionner le comportement pour mieux s’en
servir. Or, un fou est par définition une personne ingérable »,
observe l’expert.
Carole Damiani conçoit toutefois que l’analyse soit
difficile, notamment pour le grand public lorsque la barbarie fait irruption
dans le quotidien : « Les terroristes ne sont pas tous fous, mais leur
combat ou leurs actes sont tellement fous que c’est difficile d’y voir clair
pour le profane. »
Quel est le rôle de l’islam radical
dans ces actes terroristes ?
Si l’islam radical apparaît comme un élément récurrent
dans le profil des auteurs d’attentats, le plus souvent jusqu’ici, c’est sous
l’angle politico-religieux. « Les islamistes politiques radicaux
partagent l’idée d’un combat contre la modernité, l’Occident et ses valeurs.
Parmi eux, les djihadistes – les plus extrémistes – affichent en plus une
idolâtrie du prophète Mohammed et une quête obsessionnelle du paradis »,
observe Patrick Amoyel, pédopsychiatre et fondateur de l’association Entr’autres,
engagée dans la déradicalisation.
Sexe, alcool, cigarette… tout ce qui est considéré
comme « péché » ou « corruption » sur terre
se retrouve dans ce paradis vu comme un lieu de « jouissance
matérielle ».
« Combat final » et « purification »
du monde comme « signes de la fin des temps et de l’heure du Jugement
divin », mais aussi « mythe de la restauration du califat des
premiers siècles de l’islam » …
L’idéologie de Daech a « su habilement
réactiver de vieux mythes qui parlent au cœur de nombreux musulmans »,
remarque également l’islamologue Rachid Benzine dans Le Monde, évoquant « une
sorte de ‘‘nuage radioactif’’ qui plane désormais – et qui va planer
longtemps – sur nos têtes ».
L’adhésion à l’islam radical, même djihadiste, ne
suffit pas à expliquer le passage à l’acte terroriste, qui obéit aussi à
d’autres facteurs, psychologiques notamment. Mais élément nouveau, c’est
désormais aussi sur le mode « identitaire » qu’intervient l’islam
radical dans le profil des terroristes.
« Peu ou pas pratiquants, certains auteurs
d’attentats vivent leur adhésion à l’islam comme une identité blessée, comme
victimes », décrit
Patrick Amoyel. « Un buveur de bières, un mangeur de porc, un
hyperactif sexuel, un body builder comme le livreur tunisien de Nice peut
devenir un outil de production de la terreur que Daech a la volonté de semer
sur toute une partie de la planète », constate de son côté
l’islamologue.
Y a-t-il un risque de contagion ?
Pour Roland Coutanceau, il ne faut certainement pas
redouter une « épidémie de meurtres de masse » – selon l’idée
que les personnes mentalement fragiles trouveraient dans Daech une forme
récurrente de « sublimation » – même si la succession des derniers
drames peut faire peur.
« L’être humain a plutôt l’instinct de
conservation et les personnes fragiles aussi ! fait remarquer l’expert. Pour
aller à sa perte, en tuant d’autres personnes, dans une forme de suicide
mégalomaniaque, il faut avoir un profil psychologique très particulier. Cela ne
concerne que très peu de gens ».
Pour autant, le psychiatre Jean Furtos appelle à une
certaine vigilance. Car, selon ce dernier, les personnes atteintes de psychose
sont très sensibles au climat ambiant. « Dans les années 1990, par
exemple, les gens déliraient beaucoup sur le diable, sur fond de prises
importantes de drogues. Après certaines tueries, on observe que le niveau de
violence augmente chez les psychotiques de la région où elles ont eu
lieu. »
Selon le directeur scientifique honoraire de
l’observatoire national des pratiques en santé mentale et précarité, à Lyon, « le
climat terroriste d’aujourd’hui, avec ses violences et ses carnages, peut aussi
exciter quelque chose, d’autant que les images tournent à répétition ».
Peut-on faire un travail de
prévention ?
Beaucoup d’experts se désolent de l’état de la psychiatrie
en France, alors que le nombre de lits est en baisse constante depuis des
années. « Il faudrait inventer un dispositif de masse, mais en période
de restrictions, on a plutôt tendance à se concentrer sur les cas les plus
lourds », regrette l’expert de la police judiciaire.
« Idéalement, les centres médico-psychologiques
devraient s’adresser également à ces publics socialement fragiles, chez les
jeunes. Par le passé il y a eu des tentatives de dispensaires en hygiène
mentale, pour accompagner les gens qui ne sont pas des malades. Mais eux aussi
ont tous fermé »,
poursuit-il.
Les pratiques médicales demandent à évoluer. Jean
Furtos plaide notamment en faveur d’une meilleure circulation de l’information
sur les patients susceptibles de passer à l’acte. « Désormais, je suis
très sensible au travail en réseau. Tout en gardant le secret médical, il est
important de pouvoir échanger avec la police, une assistante sociale, la
famille, pour ne pas laisser une personne qui pourrait se tuer ou tuer quelqu’un. »
Ce psychiatre renvoie aussi par ailleurs à la
responsabilité des médias, pour éviter « l’exacerbation maniaque »
des patients.
C’est aussi pour cette raison que Roland Coutanceau se
pose même la question de l’anonymisation des auteurs. Car si la dimension mégalomaniaque
du passage à l’acte n’est qu’une dimension parmi d’autres, elle est
importante : « Pour la plupart des meurtriers de masse, il est
séduisant de penser que leur crime les fera connaître, leur assurera une forme
de postérité. La diffusion de leur nom dans la presse encourage ces tendances.
Pourquoi ne pas s’en tenir aux initiales, par exemple ? »
Jean-Baptiste
François, Anne-Benédicte Hoffner et Marine Lamoureux
La Croix, 25
juillet 2016
(1) Dernier ouvrage paru : Ivres paradis, bonheurs
héroïques, Odile Jacob, 22,90 €.
(2) Auteur de Faut-il être normal ? Michel
Lafont, 2014, 34 €.