FIGAROVOX/TRIBUNE - Pour la philosophe Renée Fregosi,
la réponse au nouveau totalitarisme islamiste passe par le réarmement tant
idéologique que militaire. Il faut en finir avec la mentalité pacifiste,
prétexte à tous les renoncements.
Après chaque attentat, ce sont les mêmes scènes de
pleurs et de prières œcuméniques, bougies, fleurs et peluches étalées sur le
bitume, minute de silence pour les victimes, appels à la paix et au «vivre
ensemble». Cherche-t-on à détourner les futurs candidats djihadistes de leurs
funestes projets en les convertissant au peace and love? Aussi absurde que de
tenter de trouver une thérapie psychiatrique miracle pour tous ces
«déséquilibrés», ces «malades mentaux» que seraient les terroristes! Certes
pour planifier l'assassinat de milliers d'inconnus qui ne leur ont pas fait
d'autre offense que de vivre hors des règles rigoristes de leur islam, faut-il
que ces islamistes soient fous. Comme présentaient des profils psychopathes
grand nombre de hiérarques et d'exécuteurs nazis. Mais combien de milliers
d'autres SS, soldats de la Wermarch «ordinaires» et simples civils allemands
ont-ils participé de cette «folie collective»? Pourtant ce n'est pas par la
cure psy que l'on a vaincu le nazisme agresseur, mais par les armes et la
résistance intellectuelle.
Lorsqu'en septembre 1936 Léon Blum décida d'augmenter
le budget de la Défense (14 milliards supplémentaires au lieu des 9 demandés
par l'état-major) et qu'il rappela plusieurs classes de réservistes en réponse
à la militarisation de la Rhénanie par Hitler, il déclencha les insultes des
pacifistes et notamment du PCF qui le traita de «fauteur de guerre». Alors
qu'il réagissait (bien en deçà de ce qu'il jugeait nécessaire au demeurant) à
la menace nazie, ses détracteurs l'accusaient d'agressivité, de provocation et
de bellicisme. On sait ce qu'il advint des pacifistes hantés par le souvenir de
la guerre de 14-18 qui refusèrent de comprendre la nature du totalitarisme
hitlérien au nom de l'amitié entre les peuples: nombre d'entre eux sombrant
dans la collaboration, ils connurent le déshonneur et un second conflit mondial
qui dépassa le précédent dans l'horreur.
Face au totalitarisme islamiste, les islamo-gauchistes
complaisants reproduisent le même type d'attitude irresponsable que leurs aînés
face au nazisme.
Mutatis mutandis, face au totalitarisme islamiste, les
islamo-gauchistes complaisants et les foules européennes sidérées par les
attentats et les horreurs de Daesh, reproduisent le même type d'attitude
irresponsable que leurs aînés face au nazisme. Négation ou sous-évaluation de
la menace, minimisation des attaques, compassion et incantations pacifistes
bêlantes, voire victimisation des auteurs d'attentats ayant prétendument subi
les humiliations non plus du traité de Versailles mais de la colonisation, de
l'exclusion, de la stigmatisation, et bien sûr de «l'islamophobie».
Tout comme les mouvements fascistes en leur temps de
crise, les phénomènes d'islamisation et de «radicalisation» djihadiste des
banlieues françaises et européennes, s'alimentent certes du chômage, de la
perte de repères, de la demande de protection et de lien… Mais il est tout
aussi indéniable qu'il existe une stratégie de conquête de l'islamisme qui
passe autant par un entrisme au sein des sociétés occidentales que par des
actions violentes. La mouvance politique islamiste travaille à tous les
niveaux: social, idéologique, religieux, politique, terroriste, guerrier, en
occident après avoir progressé au Maghreb et au Moyen-Orient, puis en Afrique
et en Asie. Dans cette entreprise de conquête, la lutte idéologique est aussi
importante que la terreur des actes. Les islamistes développent donc un
discours prosélyte et de propagande de type victimaire: comme tous les génocidaires,
ils présentent leurs cibles comme des agresseurs.
Comme jadis, les mots sont détournés de leur sens, les
argumentations prennent la forme de syllogismes ou de théories complotistes,
les attaques ad hominem se font menaçantes. Le terrorisme verbal recouvre et
légitime la terreur en acte, dans la grande tradition stalinienne qualifiant
ses victimes de «vipères lubriques» et de «sociaux-traitres», mais en moins
imagé au demeurant pour ce qui concerne les «idiots utiles» de l'islamisme,
tandis que les prédicateurs et les combattants du djihad continuent quant à eux
de traiter de chiens, de singes et bien sûr de porcs, leurs ennemis: juifs,
mécréants, femmes impudiques, apostats, artistes impies, athées, chrétiens,
homosexuels, démocrates, libertins, humanistes, féministes, et bien d'autres
encore.
Les erreurs tactiques et les mensonges passés des
Occidentaux au Moyen-Orient ne sont pas à l'origine de l'offensive islamiste
actuelle.
Ne confondons alors pas les causes et les effets. Les
erreurs tactiques et les mensonges passés des Occidentaux au Moyen-Orient ne
sont pas à l'origine de l'offensive islamiste actuelle même s'ils sont
utilisés, instrumentalisés par le djihadisme qui inverse toujours la charge de
la preuve en présentant leur guerre sainte d'expansion comme une réaction, une
réponse à l'action des «croisés» occidentaux. Car il existe bien une offensive
islamiste en occident, en Europe et en France notamment. Cette offensive a été
théorisée en 2005 par le troisième djihadisme comme l'appelle Gilles Kepel, à
travers l'«Appel à la résistance islamiste mondiale» d'Abu Musab Al-Suri. Il
s'agit d'un phénomène foncièrement religieux utilisant la lutte armée et non
pas d'une entreprise révolutionnaire instrumentalisant la religion: c'est
l'islam qui se remet en marche pour combattre et gagner le monde après une
phase historique de replis face aux pouvoirs coloniaux puis aux premiers
gouvernements nationalistes indépendants, avant d'investir ceux-ci et de
s'allier à eux contre les éléments démocratiques endogènes.
Non seulement nos sociétés sécularisées ont du mal à
imaginer la force de la pensée religieuse qui anime le totalitarisme islamiste,
mais également, une pensée rationaliste étroite et les tenants d'une idéologie
de gauche simpliste ont toujours du mal à assimiler la notion de totalitarisme.
La gémellité du bolchevisme et du fascisme analysée très tôt par Marcel Mauss a
été refoulée par l'hégémonie communiste. Puis l'antifascisme et ses avatars
tardifs jusque dans les années 60 ont entravé la diffusion de la pensée d'Hanna
Arendt vulgarisée tardivement par les «nouveaux philosophes» dans les années
70. Enfin, la dérive d'un antiracisme érigé en dogme intangible à partir des
années 90 a contrecarré la prise de conscience de l'émergence d'un totalitarisme
de troisième type, l'islamisme. Et le clivage a réapparu entre «les deux
gauches» autour de la thématique islamiste car le phénomène politique de
l'islamisme ouvre de nouvelles perspectives aux orphelins du bolchevisme, ce
vieux mouvement politico-mystique de la religion séculière communiste.
Comme par le passé, une certaine gauche qui s'affirme
radicale, est prête à verser dans la collaboration. Son pacifisme d'idiots
utiles promeut en effet un désarmement tant idéologique que militaire, laissant
la voie libre à l'expansion de la domination islamiste. Foin de naïveté, de
complaisance à l'égard des coupables et de commémorations compassionnelles
passives en attendant «pacifiquement» la prochaine attaque de l'ennemi.
La
réponse au nouveau totalitarisme passe par le réarmement tant idéologique que
militaire.
Renée Fregosi,
Le Figaro, 25 août 2017
Renée Fregosi est une philosophe et politologue
française. Directrice de recherche en Science politique à l'Université
Paris-Sorbonne-Nouvelle, elle a récemment publié Les nouveaux autoritaires. Justiciers, censeurs et
autocrates (éd. du Moment 2016)/