Un titre un peu provocateur, car mes lecteurs ou
auditeurs au minimum informés - et en principe, curieux du monde musulman - ne
peuvent pas ignorer l'auteur des "Versets sataniques". Mais il est
vrai que leur publication remonte déjà à 27 ans, et que la "fatwa"
lancée contre lui, en 1989 par l'Ayatollah Khomeini, est à peine moins
ancienne.
Premier rappel. Né en 1947 dans ce qui était encore
l'Empire des Indes, venu vivre au Royaume-Uni à l'âge de 14 ans, il a quasiment
toujours été un citoyen britannique. La majeure partie de son œuvre a été
écrite en anglais. Bref, en le condamnant à mort par une annonce sur Radio
Téhéran, on a du droit à un précédent annonçant d'autres épisodes sinistres :
parce qu'une publication (roman, dessin ou articles) déplaisait, un pays
musulman se définissant comme "République Islamique" prétendait décider
du sort d'un homme qui n' avait jamais vécu en terre d'Islam, et qui résidait
dans la vieille Europe. Pour une "faute" correspondant à leurs
propres standards de moralité, on effaçait les frontières, la Loi, les usages
diplomatiques. Et dans un délire totalitaire et meurtrier, les islamistes au
pouvoir en Iran prétendaient avoir un pouvoir de vie ou de mort sur un écrivain
- comme les multiples rejetons d'Al-Qaïda aujourd'hui, ont annoncé et réalisé l'assassinat
pour blasphème des journalistes de "Charlie Hebdo", le 7 janvier
2015.
Deuxième rappel. Le gouvernement iranien, un peu
refroidi par les protestations, devait faire ensuite une déclaration
alambiquée, disant qu'il ne ferait rien pour mettre en œuvre cette
condamnation, mais qu'elle ne pouvait pas être annulée selon la loi islamique.
Mais Salman Rushdie vit toujours sous protection de la police britannique.
Chaque jour, un commando terroriste peut venir accomplir la même sinistre
besogne que les frères Kouachi dans les locaux de "Charlie Hebdo". Et
on a vu qu'ils sont patients.
Troisième rappel : la publication des "Versets
Sataniques" a déjà servi de prétexte à des nombreux assassinats ou
tentatives d'assassinats : la lecture de l'article qui lui y est consacré dans Wikipedia vous en
donnera le détail.
Quatrième rappel, avant même que Khomeini ne lance sa
fameuse fatwa, un grand nombre de pays, pas tous musulmans, avaient interdit la
diffusion du livre sur leur territoire : l'Inde, pays natal de Salman Rushdie ;
l'Afrique du Sud ; le Pakistan, l'Arabie Saoudite, l'Egypte, la Somalie, le
Bangladesh, le Soudan, la Tunisie - que l'on disait bien "laïque"
sous Ben Ali -, la Malaisie, l'Indonésie et le Qatar.
Cinquième et dernier rappel : alors que les Etats-Unis
de l'administration Obama cherchent à tout prix un compromis avec l'Iran sur le
nucléaire, et que la République Islamique - dont la propagande est très habile
- veut se présenter comme un facteur de stabilité au Moyen-Orient, face à la
menace du Daesh, il n'est pas inutile de rappeler Rushdie, symbole encore
vivant du fanatisme de l'équipe toujours au pouvoir à Téhéran.
Jean Corcos