Voilà le livre à lire, toutes affaires cessantes, pour
comprendre :
1. que Charlie Hebdo fut, et reste, plus
respectueux des musulmans que les cons qui croient les honorer en tuant ;
2. que les provocateurs, les vrais, ne furent pas les
auteurs des dessins mais ceux qui s’en emparèrent pour, en les mettant sous le
nez des fidèles qui ne les auraient, sinon, pas vus, monter des manifestations
servant, ici, à faire oublier leurs propres forfaits ; là, à décrocher la palme
du vrai grand défenseur du Prophète ; là, à exercer une opportune pression dans
telle négociation internationale, par exemple sur le nucléaire ;
3. que la une d’après la tuerie montrant un Mahomet
larme à l’œil et titrant «Tout est pardonné» était la une la plus douce, la
plus élégante, la plus pacificatrice qui soit et que ceux qui prétendirent le
contraire furent des incendiaires des âmes et des salauds ;
4. que ceux qui ont osé dire Charlie « l’a bien
cherché » sont comme ces beaufs qui, quand une femme se fait violer, disent : «
sa jupe était trop courte » ;
5. que les anti-Charlie forment un vaste parti
où l’on trouve Le Pen (qui voit, dans l’affaire, la main des « services secrets
»), Tariq Ramadan (qui trouve que Charb et Wolinski étaient « des lâches »),
Siné (qui n’a jamais eu « peur d’avouer », comme sur la radio Carbone 14 après l’attentat
de la rue des Rosiers, qu’il « est antisémite » et veut « que chaque juif vive
dans la peur »), les « Indivisibles » (cette secte, dite de gauche, qui, après
avoir donné raison à Ben Laden estimant, en 2010, qu’il était « en droit » de
répondre à l’interdiction de la burqa en France par des décapitations au
Pakistan, estime que le problème ce n’est pas les attaques terroristes mais le
«climat » d’islamophobie qui les explique) et les bon gros munichois de
toujours (qui sont juste, en la circonstance, partisans d’une sainte alliance
des religions) ;
6. qu’en s’en tenant à cette position de prétendue
sagesse et d’apaisement, en jurant ses grands dieux que jamais, au grand
jamais, l’on ne touchera au tabou du voisin, l’on oublie juste ce détail que le
tabou de l’un est presque toujours un blasphème pour l’autre et que c’est en le
sacralisant qu’on lance le grand carrousel des violences meurtrières et
mimétiques ;
7. que l’appel au meurtre des personnes est un crime,
mais que rire de leur foi est un droit ;
8. que le racisme contre les Français nés musulmans
est une infamie mais que la critique du Coran est, comme la critique des textes
juifs et chrétiens, une conquête de la laïcité ;
9. qu’il y a des caricatures qui stigmatisent et
d’autres qui émancipent ;
10. qu’il y a ceux qui, par le rire, entendent
précipiter la solidarité des ébranlés et ceux qui ne veulent que les
monter les uns contre les autres ;
11. que le concept d’islamophobie est un concept vide,
ne servant qu’à désarmer cette autre vigilance antiraciste qui vise la haine
antijuive, antichrétienne, anti-athée ou même antimusulmane prêchée par
certains musulmans ;
12. que l’on peut être, en effet, musulman et raciste
;
13. que les minorités n’ont pas toujours raison et,
que lorsqu’elles ont tort, lorsque les opprimés, ou les exclus, deviennent à
leur tour racistes, il ne faut pas se gêner pour le leur faire savoir ;
14. qu’on dit : « je ne veux pas stigmatiser les
humiliés », qu’on insiste : « je crains, en légiférant, d’ajouter à leur
insécurité et à leur malaise » – mais que la vraie réalité c’est qu’on ne veut
ni froisser les Saoudiens (adeptes de la burqa), ni énerver les Pakistanais
(pour qui dire « je suis catholique », comme l’a fait Asia Bibi, est un crime
passible des pires châtiments), ni même, tant qu’à faire, blesser les
Nord-Coréens (qui aimeraient bien nous voir censurer les films qui se moquent
d’eux) ;
15. qu’avec des raisonnements de ce genre, on ne
tardera pas à incorporer à nos codes civils et pénaux les lois de toutes les
dictatures du monde ;
16. qu’il est curieux que les mêmes responsables des
télés américaines qui ont choisi de ne pas montrer les caricatures n’ont pas eu
la même pudeur pour le corps supplicié du policier qui protégeait Charb :
sont-ils juste des tartufes ? se sont-ils, en faisant leurs comptes, avisés
qu’il est moins coûteux d’offenser la famille endeuillée d’un défenseur de la
République que la famille régnante du Qatar ou du Koweït ?
17. que, quand on regarde bien les grandes scènes du
jihadisme, quand on considère que les assassins de Theo Van Gogh et du centre
culturel de Copenhague ont grandi dans les villes d’Europe les plus ouvertes
aux étrangers, quand on voit que Jihadi John, l’un des coupeurs de tête les
plus enragés de Daech, est un diplômé de l’université de Westminster, quand on
pense au milliardaire Ben Laden ou au fils de famille Omar Sheikh, ravisseur de
Daniel Pearl, quand on songe, à l’inverse, que c’est un sans-papiers, Lassana
Bathily, qui a sauvé six juifs, dont un bébé, à l’Hyper Cacher de Vincennes,
l’on ne peut décemment plus établir de corrélation entre le terrorisme et les «
déchirures de notre société » ;
18. que la misère n’est pas une raison ;
19. qu’on bascule dans le jihadisme par idéologie, par
goût, pas par désespérance sociale.
Il faut lire cet «Eloge du blasphème», oui, par
Caroline Fourest: il y a peu de lectures aussi roboratives, stimulantes et immédiatement
utilisables dans les combats qui nous sont imposés.
Bernard-Henri Lévy
La Règle du jeu, 1er mai
2015