Yamina Thabet
Portrait. Cette étudiante en
médecine de 25 ans envisage, avec son association, de défendre ses
revendications devant l’Assemblée des représentants du peuple.
Un peu plus d’un an après la mise en application de la
Constitution, offrant la liberté de conscience aux citoyens tunisiens, Yamina
Thabet dénonce, avec son association, tous les racismes et les discriminations.
Un véritable combat de titan, dans lequel elle s’est lancée avec passion et
volonté…
Un combat de titan
À seulement 25 ans, Yamina Thabet ne tient pas en
place. Entre ses gardes à l’hôpital – elle est étudiante en médecine – et son
combat avec l'Association tunisienne de soutien des minorités (ATSM) qu’elle a
fondée en septembre 2011, elle enchaîne les rendez-vous, démarchant les uns et
les autres pour que, enfin, l’on parle des problèmes de racisme,
d’antisémitisme et d’homophobie en Tunisie. Ses trois principaux combats, elle
les mène contre une société parfois sclérosée par les traditions les plus
conservatrices. Mais lorsqu’on lui explique, parfois avec véhémence dans les
médias tunisiens, que le combat contre les discriminations n’est pas la
priorité aujourd’hui, Yamina Thabet s’emporte… "Il n’y a pas de moment
pour défendre la dignité humaine, ce n’est pas un problème secondaire",
rétorque-t-elle. La preuve, rappelle la jeune femme, avec ce discours d’un imam
de Radès qui, lors de la prière du vendredi, avait appelé à « éradiquer
les juifs». Ou encore lorsque les Noirs sont interdits de location
d’appartement par certains propriétaires qui indiquent clairement sur les
annonces ne pas vouloir accueillir de locataires noirs.
"Ici, l’homosexualité est
punie, pas l’antisémitisme ni le racisme"
Face à ces discriminations, Yamina Thabet appelle à
lancer "un grand débat national". Certes, les médias tunisiens
commencent petit à petit à lui ouvrir leurs portes. Mais la présidente de
l’ATSM compte bien aller "défendre ces revendications devant la Commission
des libertés, à l’Assemblée des représentants du peuple". Car c’est
surtout la loi qui pose problème, pour Yamina Thabet. "En Tunisie,
l’homosexualité est punie, alors que l’antisémitisme et le racisme ne le sont
pas", rappelle-t-elle, mettant en opposition l’article 6 de la nouvelle
Constitution, qui garantit la liberté de conscience, quand l’article 74 impose
la religion musulmane aux candidats à la présidence de la République. "Une
contradiction inadmissible", pour la future médecin, qui assure que
"les repères doivent être posés maintenant. Nous sommes en période de
transition, il faut poser les bases de la démocratie." Et les bases
voulues par Yamina Thabet, ce sont la coexistence et la lutte contre la
stigmatisation.
L'association a mis en place un
observatoire
Pour ce faire, l’association a mis en place un
observatoire. "Les Tunisiens se rendent compte que les discriminations ne
sont pas anodines, il commence à nous envoyer des vidéos ou à nous rapporter
des faits sur les réseaux sociaux", affirme la présidente, qui assure que
la pire des choses serait que le racisme, l’homophobie ou encore
l’antisémitisme se banalisent. "Nous nous battons pour les droits de
l’homme, c’est inadmissible que des choses comme ça se déroulent en 2015",
déplore Yamina Thabet, qui admet que "ces discriminations sont aujourd’hui
assumées". Il faut maintenant changer la législation : "La
Constitution garantit l’égalité des droits, mais nous voulons un article pour
condamner les racismes." Car la plainte contre l’imam de Radès n’a donné
lieu à aucun jugement. L’antisémitisme est encore trop courant en Tunisie.
Quant à l’homosexualité, elle est punie de trois ans de prison. Et pour Yamina
Thabet, un pays qui devient une démocratie doit offrir, à ses citoyens,
"la liberté de leur sexualité". Et face à une presse parfois
"moralisatrice", le travail semble encore long.
Le Point Afrique 31 mars 2015