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12 janvier 2020

Farhana Qazi, spécialiste du terrorisme : "Les femmes djihadistes sont aussi dangereuses que les hommes"


Farhana Qazi a travaillé sur l'implication des femmes dans l'islam radical (ici le camp d'Al-Hol en Syrie où vivent des civils et des proches de l'Etat islamique)


Farhana Qazi a été la première femme analyste de confession musulmane à travailler au National Counter-Terrorism Center (CTC/CT) en 2000, un an avant les attentats du 11 septembre 2001. Elle avait à peine 25 ans. Elle était mariée avec un enfant. Dès le départ, on lui colle le label de "islam expert". Certains la questionnent simplement, d'autres la moquent ou se moquent de l'islam en soi, l'assimilant au radicalisme. Elle est aujourd'hui instructrice dans l'armée américaine sur les questions de terrorisme. Maintes fois récompensées, elle est aussi l'auteur d'un livre remarqué sur les femmes dans l'islam radical*. Elle a répondu aux questions du JDD.

Où êtes-vous née?

A Lahore, au Pakistan et quand je suis arrivée aux USA, je n'étais encore qu'un bébé. J'y suis retournée à 14 ans et pour une fille de cet âge le pays m'est apparu étrange. Puis plus tard, en tant que chercheuse. Ma mère avait rejoint le parti du père de Benazir Bhutto, l'ancien Premier ministre du Pakistan, assassinée en 2007. Puis avec moi dans ses bras, elle a quitté le Pakistan pour retrouver son mari, mon père, au Tennessee où il s'était installé. Puis mes parents ont déménagé au Texas où j'ai grandi. Je parle Urdu, Punjabi, Hindi.

Racontez-nous ce que cela voulait dire d'être la première femme musulmane dans une agence de renseignements gouvernementale américaine ?

Il y a eu dès le départ une grande curiosité. Les gens disaient : qui êtes-vous, d'où venez-vous ? En règle générale, c'était plutôt amical, peu ont mis en doute ma loyauté ou ne m'ont pas fait confiance. Ce fut aussi un avantage. Evidemment. Puisque je pouvais répondre à toutes sortes de questions sur la civilisation islamique, la culture, les gens. Je pouvais aussi parler de notre religion du mieux possible même si très vite j'ai pris contact avec un véritable connaisseur en la matière qui m'a aidé à comprendre les versets du Coran, la façon dont les terroristes les dévoyaient. Cet homme dont je ne peux pas donner le nom a été d'un grand secours, je lui en suis reconnaissante. Ce fut d'ailleurs à titre personnel, une découverte sur moi-même. D'origine pakistanaise et punjabi, j'ai été élevée par des parents musulmans mais qui n'étaient pas religieux. Mon père était et est encore laïc et ma mère, qui certes lisait le Coran, ne comprend pas l'Arabe. Donc on peut dire que ce voyage à travers l'islam, qui a commencé au CTC/CT, a changé ma vie à tout jamais.

L'islam est-il compatible avec une Amérique démocratique ?

Oui. L'islam est tout à fait compatible avec les valeurs américaines que sont la liberté d'expression, le droit à la propriété, le droit de vote et celui de porter une arme (afin de protéger sa maison, son honneur en cas de légitime défense). En ce sens, les valeurs américaines correspondent à celles de l'islam. Il n'y a donc aucune différence. En tant qu'ancienne analyste du CTC et actuelle formatrice dans l'armée américaine sur les questions de terrorisme, je sers mon pays, l'Amérique. Et servir son pays relève des préceptes de l'islam. Ma foi m'apprend à vivre et à servir les gens. En tant qu'Américaine musulmane, je veux croire que je suis au service des autres et quand je suis en classe en tant que professeur, je pense que j'aide les soldats à mieux comprendre l'islam et ses coutumes afin de mieux les protéger.

En 2001, l'Amérique connaissait à peine Oussama ben Laden. Est-elle mieux préparée aujourd'hui?

Prévenir de nouvelles attaques signifie que nous devons absolument travailler de conserve avec d'autres agences. C'est vraiment un challenge qui dure depuis des décennies. Nous avons aujourd'hui encore plus d'agences de renseignements gouvernementales, y compris le Département de la sécurité intérieure (Dept of Homeland Security), ainsi que d'autres entités créées pour lutter contre le terrorisme. Mais nous devons aussi impérativement entretenir une meilleure collaboration avec nos partenaires étrangers au Moyen-Orient, en Asie du Sud ... La meilleure façon de combattre les menaces à venir d'une manière générale repose sur un engagement de ce genre encore plus profond.

Que doit craindre l'Amérique en priorité? Des attaques venues de l'extérieur ou un "home-grown" (intérieur) terrorisme ?

Depuis ces dernières années, les attaques intérieures sont plus importantes et immédiates pour le pays. Il y a eu beaucoup d'attentats de la part de musulmans radicaux et des Blancs nationalistes. Que ce soit l'attentat contre un night-club de Philadelphie par Omar Mateen ou celui de la synagogue par des Blancs nationalistes, le trait commun c'est la haine exprimée par la violence. Et ces actes de violences sont sporadiques et en augmentation continuelle. La propagande au vitriol sur les réseaux sociaux est toujours là. Nous n'avons pas encore et suffisamment pris la mesure de ce danger et nous devrions en faire fermer davantage. N'allez pas vous imaginer que des organisations comme Al-Qaïda ou Isis sont finies. Bien au contraire.

Vous avez écrit sur le rôle des femmes dans le djihad. En une phrase que peut-on en dire?

Qu'elles sont aussi dangereuses que les hommes.

Karen Lajon
Le Journal du Dimanche, 25 décembre 2019

* Invisible Martyrs, par Farhana Qazi, Editions Berrett-Koehler Publishers. Non traduit.