L'un des hommes clés de la République islamique,
président de 1989 à 1997, a succombé dimanche à l'âge de 82 ans à Téhéran à un
malaise cardiaque.
Il était l'un des piliers de la République islamique.
Ce dimanche soir, l'ancien président iranien Akbar Hachémi Rafsandjani est
décédé à l'âge de 82 ans à la suite d'un malaise cardiaque. A l'annonce de sa
mort, qui a pris de court les Iraniens, la télévision a aussitôt interrompu ses
programmes. Dans la foulée, des centaines de personnes se sont rassemblées
devant l'hôpital où il s'est éteint, au Nord de Téhéran. Véritable animal
politique et habile calculateur, ce religieux enturbanné, proche collaborateur
de l'imam Khomeini, fondateur de la République islamique en 1979, incarnait
mieux que quiconque l'évolution de la classe politique religieuse iranienne:
conservateur à ses premières heures, il avait fini par s'imposer comme l'une
des figures influentes des modérés et réformistes. «C'est une perte
particulièrement symbolique pour le camp pragmatique», observe Karim
Sadjadpour, spécialiste de l'Iran à la Fondation Carnegie pour la paix
internationale.
Emprisonné sous le régime du Chah
Né en 1934 dans une famille agricole prospère de la
région du Rafsjandjan, d'où il tient son patronyme, Akar Rafsandjani quitte le
foyer familial dès l'âge de 14 ans pour mettre le cap sur Qom. La ville sainte
est au chiisme ce que le Vatican est au christianisme. Le jeune homme y suit
des études coraniques sous la houlette de l'ayatollah Rouhollah Khomeini. Son
militantisme anti-Chah et son anti-impérialisme prononcé lui vaudront la prison
en 1975 pour liens supposés avec l'extrême gauche. En 1979, il joue un rôle
clef aux côtés de Khomeini dans le soulèvement qui terrasse la dynastie
Pahlavi. Estampillé «conservateur pragmatique», il devient président du pays de
1989 à 1997.
De lui, les Iraniens retiennent la relance économique
du pays au sortir de la guerre Iran-Irak (1980-1988) et le rapprochement avec
l'Occident. Mais ses détracteurs n'ont pas oublié, non plus, ses pratiques
douteuses, notamment en matière de corruption et de violation des droits de
l'homme. Un journaliste, Akbar Ganji, s'est retrouvé embastillé au début des
années 2000 pour l'avoir, entre autre, décrit comme «l'éminence grise» d'une
série d'assassinat d'intellectuels et opposants. A l'époque, les écrits du
reporter ont également mis en lumière l'enrichissement de la famille du
«parrain» (un des nombreux surnoms de Rafsandjani) pendant ses différents
mandats, mais aussi ses responsabilités dans la poursuite du conflit contre
l'Irak après la victoire iranienne de Khoramchahr, au prix de centaines de
milliers de morts.
Un retour avorté en 2005
Bien qu'impopulaire auprès des jeunes, avides de
changement, l'ayatollah Rafsandjani (le plus haut titre religieux, qu'il se
serait auto-octroyé disent les mauvaises langues) n'a jamais cessé de rester
influent au sein des institutions de l'Etat. Depuis la fin de son deuxième
mandat, en 1997, il occupait le poste de président du Conseil de discernement
du régime, chargé de conseiller le guide suprême, l'ayatollah Khamenei
(successeur de Khomeini, depuis sa mort en 1989) et de trancher les différends
entre le parlement et le conseil des gardiens de la constitution. Après des
déboires aux élections parlementaires, le «requin» (encore un surnom) tente un
retour remarqué lors du scrutin présidentiel de 2005: une campagne à
l'américaine, à renfort de posters et de promesses d'ouverture.
Fin manœuvrier, il va jusqu'à mobiliser une équipe de
filles et garçons chargés de distribuer tracts et roses rouges en patins à
roulettes sur une grande artère du Nord de Téhéran. En vain. Au deuxième tour
de l'élection, son rival ultra conservateur, Mahmoud Ahmadinejad l'emporte à la
surprise générale. Quatre plus tard, la réélection contestée de ce dernier
pousse Rafjsandjani à soutenir la «vague verte» (le fameux mouvement de
contestation contre le résultat du scrutin), même s'il affiche, fidèle à ses
habituels calculs politiques, une certaine prudence dans ses critiques.
En 2013, l'élection d'un modéré, Hassan Rohani, et
l'obtention d'un accord sur le nucléaire iranien, lui permet,
enfin, de faire un discret retour sur la scène politique. Et surtout, de
militer, dans les coulisses du pouvoir, pour une réforme du système en
suggérant de mettre sur pied un conseil de leadership. Autrement dit, de faire
disparaître la fonction de Guide suprême, élu à vie par un collège de
Religieux, l'Assemblée des Experts (dont il a perdu la présidence en 2011). Des
idées qui font grimacer l'ayatollah Ali Khamenei, son véritable rival. Dans un
message de condoléances publié à la mort de Rafsandjani par les médias
iraniens, ce dernier a rendu hommage à «un compagnon de lutte». Mais il n'a pas
manqué, non plus de souligner leurs «différences».
Delphine Minoui
Le Figaro, 9 janvier 2017