La Mosquée de Jamkaran, près de Qom
Trois mondes se côtoient en ce moment dans la société
iranienne. Une population tributaire des croyances superstitieuses ; le pouvoir
politique qui, d’une part, laisse prospérer ce genre de croyances et, de
l’autre, favorise le développement de la technologie ; une troisième population
hautement rationnelle qui prend le parti d’en rire.
Mohammad al-Mahdi, le douzième imam des chiites
duodécimains a été, selon le dogme, occulté vers 260 de l’hégire (874 de notre
ère) pour réapparaître à la fin des temps afin d’instaurer sur terre une ère de
justice et de paix. Il est considéré comme le seul souverain légitime de la
communauté, raison pour laquelle, avant la naissance de la République
islamique, les chiites iraniens se tenaient à l’écart du pouvoir temporel ou
alors s’y opposaient purement et simplement. Pour des raisons multiples le
dogme de l’occultation se voit aujourd’hui renforcé.
La mosquée de Jamkarân
En périphérie de Qom, ville sainte située à 150 km au
sud-ouest de Téhéran, se trouve un village appelé Jamkarân dont la mosquée est
devenue depuis la fin du XXe siècle un lieu de pèlerinage. Car le douzième imam
y serait apparu il y a environ dix siècles pour une très brève communion
d’amour avec son créateur. Il se serait ensuite soustrait à la vue en un clin
d’œil. La saga s’est propagée pendant la décennie de 1995-2005, donnant lieu à
l’afflux des pèlerins parmi lesquels beaucoup de jeunes dont l’avenir
paraissait alors plus que jamais incertain. Entre-temps, les affabulateurs
n’ont pas hésité à peaufiner le récit.
Selon les mises à jour récentes, après cette fameuse
apparition, le douzième imam se serait dissimulé au fond d’un puits qui se
trouve derrière la mosquée et qu’on a baptisé « puits de pétitions »,
car de nombreux pèlerins y lancent des pétitions écrites sur un bout de papier
parfois ligoté à une ficelle qu’ils attachent par un nœud aux barreaux
métalliques de la grille couvrant ce puits.
Le mardi, l’afflux des pèlerins est spectaculaire, car
l’apparition de l’imam aurait eu lieu ce jour-là. D’innombrables familles
étendent leurs tapis de pique-nique sur le parvis de la mosquée tandis que des
dizaines de milliers de pèlerins s’y promènent. Il arrive que plus de
100 000 pèlerins y fassent la prière du soir. Bien sûr, comme le prescrit
la religion, les femmes sont séparées des hommes. Elles prient dans la partie
qui leur est réservée et disposent de leur propre accès au « puits de
pétitions ». Chaque mardi, la cuisine de la mosquée propose à des milliers
de pèlerins pauvres un repas du soir gratuit.
La pérennité du messianisme chiite
Il faut savoir que la mosquée doit sa splendeur
actuelle au gouvernement du président Mahmoud Ahmadinejad
(2005-2013) qui, depuis son entrée sur la scène politique, a tout fait pour
hâter la venue de l’imam caché, rédempteur eschatologique du chiisme.
Ahmadinejad est réputé pour être un adepte passionné du mahdavisme (de l’arabe
« Mahdaviat », dérivé du Mahdi « Messie », personnage central de l’eschatologie
chiite).
En 2004, alors maire de Téhéran, il aurait encouragé
le Conseil municipal à construire une grande avenue pour la venue du Mahdi.
L’année suivante, à peine élu à la présidence de la République islamique, il
affectera plus de 12 millions d’euros à la construction de cette immense
mosquée de Jamkarân. Il sera également le promoteur de la construction d’une
ligne ferroviaire reliant Téhéran à Jamkarân.
Obtenir la faveur de l’imam caché
Dans la tradition chiite, les sanctuaires où les croyants
se rendent en pèlerinage sont en général les mausolées de leurs saints, plus
particulièrement de leurs saints imams. L’une de leurs pratiques rituelles
consiste à jeter quelques billets dans la paroi du tombeau en formulant un vœu.
Bon nombre de pèlerins de la mosquée de Jamkarân en font autant lors de la
visite au « puits de pétitions ». C’est aussi une façon de manifester
leur dévouement. Naturellement, l’argent est ensuite récupéré par
l’administration de la mosquée. Il arrive aussi que des pèlerins démunis y
jettent, de temps à autre, des objets qui leur sont chers.
Invoquant cette pratique rituelle, une nouvelle a été
diffusée il y a quelques temps sur les réseaux sociaux selon laquelle le
magazine « Sobh-e Sâdegh», organe de presse du corps des Gardiens de la révolution islamique,
aurait donné dans son éditorial un avertissement aux pèlerins toxicomanes qui
pourraient jeter de la drogue dans le puits. « Cet acte est ignoble »,
aurait ajouté l’éditorialiste, car l’imam caché pourrait devenir toxicomane et,
par conséquent, échouerait à accomplir la mission que Dieu lui a confiée.
L’impact de cette nouvelle sur les réseaux sociaux était tel que les
responsables des Gardiens de la révolution islamique ont dû officiellement nier
la publication d’un tel éditorial.
Que l’éditorial ait été publié dans l’organe de presse
des Gardiens de la révolution ou pas, cette anecdote illustre bien le paradoxe
d’une société où se côtoient trois mondes tout à fait hétéroclites. D’un côté,
nous avons affaire à une population qui reste étonnamment tributaire de ses
croyances ancestrales, de l’autre, un pouvoir politique qui laisse prospérer ce
genre de croyances tout en favorisant le développement de la nouvelle
technologie et l’urbanisation accélérée du pays. Une troisième population
côtoie ces deux-là. C’est une population hautement rationnelle en parfaite
harmonie avec le monde du progrès et qui trouve là de quoi s’amuser.
Alizera Manafzadeh
Site RFI, 20 janvier 2017