Le Président iranien Hassan Rouhani
Tout lecteur de la rubrique
« International » dans les médias, aura noté une évolution sensible
dans la façon de rapporter l’actualité concernant l’Arabie Saoudite.
Alors que, à la belle époque de la « politique
arabe » de la France, il n’était pas de bon ton de décrire ce pays pour ce
qu’il était – et reste toujours -, à savoir une monarchie de type féodal,
couplée à une théocratie où le Coran sert de Constitution et où les Droits de
l’Homme n’existent pas, on en parle maintenant de plus en plus ouvertement critique.
Pas encore aux 20 heures des journaux télévisés, où
les affaires internationales représentent toujours la portion congrue. Mais de
manière de plus en plus récurrente dans les émissions réservées à un public
plus averti, en particulier sur les chaînes d’information en continu où des
experts du Moyen-Orient viennent partager leurs analyses.
Et là, le portrait donné est sévère : un pays fragile
qui risque de se décomposer ; une puissance agressive qui bombarde le Yémen
voisin ; et, surtout, le centre idéologique de l’islamisme radical, et le
parrain plus ou moins direct d’Al-Qaïda et de son rejeton, l’État islamique,
avec qui nous sommes en guerre.
Or à côté de cela, dans un contraste saisissant,
l’Iran semble étrangement ménagé. Si on prend par exemple le fil sur ce pays
publié ces derniers mois dans un journal réputé sérieux comme Le Monde, on note une
majorité d’articles traitant de son dynamisme économique retrouvé, de
l’ouverture supposée de sa société, ou invitant à visiter un « pays
fascinant » : comment l’expliquer ? Les raisons sont multiples, et je vais
essayer de vous les résumer.
- L’Iran est rentré dans le concert international suite à l’accord sur le nucléaire
On le sait, cet accord signé en juillet 2015 a permis
la levée des sanctions économiques, en échange de certains engagements de
Téhéran, et d’un contrôle de l’AIEA censé garantir un gel de son programme
militaire.
Depuis début 2016, tous les embargos commerciaux ont
été levés, et des dizaines de sociétés pétrolières se disputent des méga
contrats, tout comme les géants de l’industrie aéronautique ; on sait, déjà,
que plus d’une centaine d’Airbus ont été vendus, et que Boeing suivra.
On se retrouve donc avec Téhéran avec la même
fascination – mi intéressée, mi partagée de façon purement grégaire -, que l’on
a eu dans le passé pour l’Arabie ou pour l’Irak sous Saddam Hussein.
- Téhéran n’a plus qu’une cible officielle, Israël, et cela ne dérange personne
Officiellement, les discours de la République
Islamique d’Iran vis à vis du monde extérieur apparaissent fort raisonnables
par rapport aux provocations de la période Ahmadinejad.
Pourtant, elle n’a jamais varié dans son approche
d’Israël, toujours présenté dans les discours officiels comme un corps
étranger, le bourreau des Palestiniens et une menace pour à la fois la région,
l’islam et le monde entier. La fin de l’État juif est tantôt annoncée, tantôt
brandie comme une menace à chaque défilé militaire où l’on entend le slogan
« Mort à Israël ».
Mais, personne n’en fait le reproche à la théocratie
de Téhéran. Et on peut à cela proposer deux explications : soit ces menaces ne
sont pas prises au sérieux ; soit on ne dit rien, justement parce que la
disparition d’Israël ne serait pas un drame pour beaucoup de journalistes ou
d’experts.
- C’est l’Etat Islamique et non l’Iran qui nous a déclaré la guerre
Il s’agit de la raison la plus aveuglante, et contre
laquelle il est difficile de convaincre le grand public : les djihadistes qui
ont semé la mort et la désolation, en France comme en Europe, au Moyen-Orient
ou en Afrique, sont des Sunnites totalement étrangers à l’Iran, et qui même le
considèrent comme un ennemi car c’est une puissance chiite, hérésie non
musulmane pour ces fanatiques.
D’où les propos de plusieurs candidats à l’élection
présidentielle, François Fillon en tête, nous invitant par exemple à nous
rapprocher de l’Iran pour contrer cette menace.
C’est oublier, un peu vite, l’agenda propre de
Téhéran, puissance montante et qui pousse ses pions partout dans le monde arabe
: mais pour le Français moyen, le tueur qui risque de l’assassiner demain a
plus d’importance que cette géopolitique complexe, et on peut le comprendre.
- Un discours pacifique hypocrite mais efficace
Qu’on le lise sur les réseaux sociaux ou au détour
d’un débat sur un plateau télévisé, le discours de l’Iran semble imparable :
« notre pays n’a jamais attaqué personne, et nous ne développons notre
armée que pour défendre notre indépendance ».
En terme de guerre ouverte, c’est vrai, l’horrible
première guerre du Golfe et son million de morts avait résulté d’une agression
de Saddam Hussein.
Sauf que c’est par milices interposées que la
République Islamique est intervenue, en Irak pour mater les Sunnites ; à
Beyrouth, où le Hezbollah à force d’intimidation détient maintenant le pouvoir
politique et militaire ; en Syrie, où des contingents iraniens ont aidé à
écraser la rébellion ; et au Yémen, où les tribus Houthis ont failli contrôler
le pays ; cela fait beaucoup pour un pays pacifique, qui s’est en outre doté de
missiles à longue portée pouvant atteindre l’Europe !
- Khomeiny a libéré le diable islamiste de sa bouteille, mais tout le monde l’a oublié
On n’en parle pratiquement plus, mais l’Iran a été à
le premier pays où une idéologie islamiste radicale a pris le pouvoir en 1979.
Même si par la suite le courant « réaliste »
a freiné ceux qui voulaient « exporter » tout de suite la révolution,
même si les Frères Musulmans égyptiens avaient semé quelques décennies avant
les graines de ce nouveau totalitarisme, l’impact en fut immense dans le monde
musulman.
Le régime iranien a été le premier à utiliser le
terrorisme contre les Occidentaux, assassinant à Paris ses opposants en fuite
comme Chapour Bakhtiar, ou massacrant les soldats américains et français à
Beyrouth, par Hezbollah interposé.
Mais cela, c’était il y a 30 ans, tout le monde l’a
oublié et les nouvelles générations n’ont pas grandi en intégrant les réalités
de l’époque.
- Une pseudo démocratie qui aveugle les gogos
Lors de l’élection de l’Ayatollah Hassan Rouhani, en
août 2013, on aura lu et entendu que c’était les « réformateurs » qui
avaient gagné les élections contre les « conservateurs ».
Or on avait dit exactement pareil 16 ans avant, en
1997, au moment de l’élection de Mohammad Khatami : mais avait-on à l’époque
constaté la moindre évolution en termes de libertés intérieures ou de politique
étrangère ? Absolument pas, et sous Rouhani, non plus.
Le vrai « patron » de l’Iran n’est pas le
président élu, mais l’Ayatollah Ali Khameneï, « Guide suprême de la
Révolution islamique » depuis 1989.
C’est lui qui incarne la ligne idéologique du régime,
en digne successeur de Khomeiny. Mais, même si la constitution iranienne est
particulièrement tordue avec le contrôle omniprésent par des institutions non
élues, il est vrai « qu’il n’y a pas photo » avec l’Arabie Saoudite,
monarchie absolue où il n’y aucun parlement.
- Une meilleure image que l’Arabie Saoudite, mais ce n’est pas difficile
On a lu, surtout depuis l’apparition de l’État
Islamique et la diffusion sur Internet de ses pratiques barbares, que son vrai
modèle était en fait l’Arabie, où effectivement on décapite au sabre, où l’on
coupe la main des voleurs et où la lapidation punit les Femmes adultères.
Certes, la République Islamique d’Iran a une meilleure
image, notamment pour la condition féminine : là bas, aller à l’Université,
conduire une voiture, ou sortir seules ou en groupes y est accepté,
contrairement au Royaume Saoudien.
Mais c’est oublier un peu vite qu’en matière de peine
de mort, l’Iran détient un record mondial rapporté à sa population ; que le
voile est imposé aux Femmes, qu’elles demeurent inégales en matières de droits
individuels ; que l’on y coupe aussi la main aux voleurs, et que l’on y lapide
également !
- Un islamisme jugé non exportable
Alors que l’islam fait les couvertures des journaux et
que l’on s’inquiète de l’entrisme des Frères Musulmans, d’une part, et des
recrutements des Salafistes, d’autre part, journalistes et experts évoquent une
menace spécifiquement sunnite : flux financiers impressionnants en provenance
du Golfe dans le but d’exporter un wahabbisme incompatible avec les Lois de la
République ; formation en Arabie Saoudite d’imams salafistes ; tout cela fait
peur, et on le comprend.
Mais il suffirait que nos journalistes lisent de façon
à peu plus approfondie la littérature complotiste et antisémite – sous couvert
« d’antisionisme » – pour découvrir une autre propagande, efficace,
fortement diffusée par les réseaux sociaux et relayant des médias russes ou
iraniens : une large proportion des jeunes, musulmans ou non, voient à présent
en l’Iran et en la Russie de Poutine les héros de la résistance à la
« mondialisation » et à « l’ordre américano-sioniste » ; et
cela est aussi très déstabilisant pour nos sociétés.
- « Iran tolérant », la vitrine des minorités
C’est en apparence l’argument le moins important, mais
il a certainement son influence dans la bonne côte de l’Iran face à une Arabie
de plus en plus détestée.
Oui, il demeure des minorités qui subsistent au sein
de la République islamique, juifs (les trois quart ont fui le pays), chrétiens
(surtout arméniens). Oui, ils ont le droit de pratiquer leur culte, même s’ils
ont le statut de « dhimmis ».
En contraste, il est interdit, dans le Royaume
Saoudien, de pratiquer une autre religion que l’islam. Et il est vrai, aussi,
que les chrétiens de Syrie et d’Irak ont été massacrés dans les zones
contrôlées par les djihadistes, et se sont donc ralliés naturellement aux
régimes en place, donc à leurs protecteurs iraniens.
Les Français d’origine libanaise ou arménienne sont
certainement sensibles à ces éléments là, et cela contribue aussi à la
propagande de Téhéran.
Jean Corcos
Nota :
Cet article a déjà été publié le 24 janvier dans le cadre du blog que je
tiens régulièrement sur l'excellent "Times of Israël". Pour le
retrouver dans sa présentation originale,