Ecole baha'i, Téhéran 1912
Illustration trouvée sur le blog Worldwide Community of Baha'u'llah
Introduction :
Cet article date de novembre
2015. Je l'ai écrit pour le site du CRIF, où il a été publié le
27 de ce mois là, après avoir assisté à un colloque à l'invitation des
Bahai's de France.
J.C
J'ai eu le privilège
d'assister à un colloque au Sénat, le 12 novembre dernier, sur le thème
"Persécution des Baha'is en Iran : comment promouvoir les libertés
fondamentales". Il était organisé par les représentants de cette minorité
religieuse en France, et sous le haut patronage de l'amicale parlementaire de
soutien aux Baha'is, amicale nouvellement formée et regroupant une trentaine de
Députés et Sénateurs.
Rappelons le contexte de ce
colloque : le Président iranien Rouhani était attendu à Paris quelques jours
après, avec une large couverture médiatique, dont la ligne générale et
prévisible était celle adoptée suite à l'accord sur le nucléaire. En résumé :
"l'Iran a changé, car les modérés sont au pouvoir". Or pour les
Baha'is, rien n'est changé, au contraire les persécutions ont même été aggravées
pour cette religion non reconnue. Le lendemain de ce colloque, les horribles
attentats de Paris allaient avoir comme conséquence, on le sait, l'annulation
de ce voyage et la disparition de l'Iran des manchettes de l'actualité.
Pour mémoire, la foi bahá’íe est une religion monothéiste,
proclamant l'unité spirituelle de l'Humanité. Elle a été fondée par un Persan,
Mirza Husayn-Ali-Nuri en 1863, et par ses racines, c'était un mouvement chiite
ésotérique. Persécuté, son fondateur dit "Baha-Allah", dut fuir
l'Iran et il fut longtemps emprisonné à Acre (Acco), alors partie de l'Empire
Ottoman. Son fils ainé vécut aussi dans le futur Israël, et il fit construire sur
le Mont Carmel un mausolée et le centre
mondial de la nouvelle religion à Haïfa. Ayant une activité missionnaire
dynamique, les Baha'is sont entre 5 et 7 millions, répartis partout dans le
monde et dont très peu sont d'origine perse. Par contre, 300.000 vivent encore
dans la République Islamique d'Iran, qui leur refuse toute existence légale,
contrairement aux trois religions tolérées : Chrétiens, Juifs, et
Zarohastriens.
Dans le dossier très
documenté qui nous fut remis, figurait le bilan actuel des persécutions : 74
Baha'is sont incarcéréS sous des fausses accusations ; parmi eux, les 7
responsables de la communauté, condamnés à une peine de 20 ans de prison depuis
2008. Plus de 6.300 incitations à la haine, articles, vidéos et pages Internet,
ont été recensées rien que pour la période de janvier 2014 à mai 2015. L'accès aux universités publiques et privées,
continue de leur être refusé. Des pressions économiques diverses - fermetures
de magasins, licenciements - leur rendent la vie encore plus difficile. Des
agressions physiques récentes, et même le meurtre d'un Baha'i dans la ville de
Bandar Abbas ont été enregistrés depuis 2013. Enfin, cette persécution n'oublie
même pas les morts, puisque en 2014 un cimetière historique a été détruit à
Chiraz. Pour rappel, au début des années 1980, plus de 200 baha’is,
parmi les membres les plus actifs, ont été exécutés pour avoir refusé de se
convertir à l’Islam.
Trois parlementaires, le
Sénateur Karoutchi président de l'amicale de soutien, et les députés Michel
Herbillon et Guy Geoffroy, devaient prendre la parole. Roger Karoutchi a été
très clair concernant l'élection de Rouhani et les espoirs nés en Occident :
"c'est un habillage" a-t-il dit, se demandant si son élection n'avait
pas pour but premier que la levée des sanctions, et remarquant qu'aucun
changement concernant les Droits de l'Homme n'était encore enregistré en Iran.
Le politologue Khattar Abou
Diab a fait un brillant exposé sur le contexte géopolitique. Il a rappelé que
la révolution islamique de 1979 a été le point de départ du discours religieux
dans la politique régionale. Le culte des martyrs, avec les enfants soldats de
la guerre contre l'Irak, vient aussi du régime iranien, qui a même imposé une
forme inédite de pouvoir avec la main mise de la religion chiite sur les
rouages de l'Etat. Les Américains, suite à la guerre d'Afghanistan et à
l'invasion de l'Irak, ont offert au régime la disparition de menaces sunnites à
ses frontières ; au contraire, il se vante maintenant d'occuper indirectement
quatre états arabes. Sur le plan intérieur, on assiste actuellement à un nombre
record d'exécutions. "Il ne faut pas avoir peur de l'Iran",
pense-t-il malgré tout.
Rachel Bayani, membre de la
communauté internationale baha'i qui a travaillé pour les Nations Unies, a
rappelé qu'un mémorandum datant de 1993 interdit aux Baha'is de suivre des
études universitaires, et donc que le projet de les étrangler économiquement
est très clair : on veut en faire une minorité sous-éduquée, donc contrainte à
la pauvreté.
Saeed Paivandi, d'origine
iranienne, est maitre de conférence à l'Université de Paris 8. Spécialiste de
l'éducation en Iran, il nous a appris que les textes de l'Islam chiite sont au
centre du projet éducatif. 25 à 30 % du temps scolaire sont consacrés à cette
religion, mais au delà dans les ouvrages d'Histoire ou de Littérature le
Chiisme a une place fondamentale. Dans tous les manuels scolaire, les Baha'is
sont traités d'apostats, d'immondes ou d'impurs. Leurs enfants doivent garder
le silence à l'école, par peur d'humiliations et de violences.
Hamdam Nadafi a rédigé une
thèse de doctorat sur la "Liberté de religion dans les Etats de Droit
Musulman". Elle a rappelé les fondements théocratiques de l'Etat iranien,
qui impose la prédominance du droit "d'origine divine" et le système
dit du "Velayat e-faqih" qui accorde les pouvoirs de fait à des
dignitaires chiites. Alors que la doctrine officielle accorde le pouvoir
spirituel au "Guide suprême" censé représenter "Le 12ème Imam
caché", la religion Baha'i qui a dévié du Chiisme est naturellement
persécutée. Les promesses de "Charte" du Président Rouhani pour
promouvoir les libertés ne changeront rien, tant que la constitution ne change
pas.
Mohamed-Chérif Ferjani, franco-tunisien
et professeur de Science Politique, devait souligner l'utilisation récurrente
des minorités comme boucs émissaires. La persécution des Baha'is témoigne du
retard des libertés dans les pays musulmans.
Claudine Attias Donfut,
sociologue, devait souligner l'extrême cruauté qu'il y avait à interdire à une
minorité religieuse le droit de se réunir lors d'enterrements ou dans des lieux
symboliques comme les cimetières.
Enfin Ghaleb Bencheikh,
théologien et Président de la "Conférence Mondiale des Religions pour la
Paix", devait dire à son tour combien le sort des Baha'is d'Iran était
intolérable. Pour lui, dans une vaste partie du monde musulman on assiste à une
"crétinisation des esprits" et à la "crainte d'autrui". Le
degré éthique d'une société se mesure à son traitement des minorités, et il a
réclamé des Autorités françaises un engagement fort en ce sens.
Jean Corcos
Cet article date de novembre 2015. Je l'ai écrit pour le site du CRIF, où il a été publié le 27 de ce mois là, après avoir assisté à un colloque à l'invitation des Bahai's de France.
J.C