La décision de l’UNESCO d’enfoncer le clou et de
persister à nier tout lien entre le peuple juif et le Mont du Temple est la
version soft du totalitarisme islamiste.
A gauche :
Le Christ chassant les marchands du Temple, par Le Greco.
A droite : Daech
détruisant le temple de Nimrud.
Il n’y a pas à dire : l’UNESCO a au moins le sens
du timing.
La première résolution déniant tout lien entre le
peuple juif et le Mont du Temple avait été votée durant Pessah, la
Pâque ; c’est au lendemain de Yom Kippour et peu de temps avant la fête de
Souccot que la seconde vient de l’être.
Kippour, ce jour où les Juifs du monde entier
rappellent humblement leur antique liturgie, bannie, déracinée, et prient pour
que le genre humain reconnaisse l’unité de l’être. Lorsque le Temple de
Jérusalem s’élevait, le peuple s’y massait à cette occasion, implorant Dieu
dans l’affliction. Souccot, la Fête par excellence à en croire prophètes et
sages, au cours de laquelle les habitants de toute la Terre d’Israël avaient
pour loi, comme à Pâque, de se rendre au Temple, vivant dans des huttes,
célébrant dans la joie l’alliance de l’homme, de l’espace et du temps, allant
puiser dans la fontaine de Siloé l’eau des libations : cette fontaine
subsiste, j’en ai vu les vestiges ; des enfants arabes s’y baignaient au
moment où j’y trempais moi-même les mains : qui dit que le passé doive
forcément nous séparer ?
Nul lien, donc, à en croire l’organisation garante du
patrimoine mondial, matériel et immatériel, entre les Juifs d’une part, ce Mur
dit des Lamentations et l’esplanade qui le surmonte d’autre part.
Jusqu’ici tout va bien, me direz-vous, il ne s’agit que de Juifs, c’est-à-dire
de rien, de pas grand-chose… à ceci près que si ce lien n’existe pas, tout
s’effondre. Si les Juifs n’étaient pas là il y a deux mille ans, mesdames et
messieurs, Jésus n’a pas pu y prier ou en chasser les marchands attroupés – et
je peux tout aussi bien douter, je le devrais même en toute logique, que vous
soyez, vous, là où vous êtes en ce moment en me lisant.
Dans un article de 2010, le magazine satirique américain The
Onion faisait à ses lecteurs la révélation suivante : la
civilisation grecque n’est en fait qu’un canular inventé par une poignée de
savants contemporains. « Scholars apologize
for attributing Western democracy to a make-believe civilization. » Hilarant, l’article
poursuivait : les savants en question n’avaient pas pensé que leur blague
irait aussi loin ; ils s’excusaient donc, certes, mais demandaient en même
temps que leur œuvre ne soit pas entièrement rejetée car après tout, Eschyle et
la géométrie avaient bien quelques mérites, quoiqu’ils ne fussent pas si vieux
que ce que l’on avait naïvement cru.
Avec l’UNESCO, on en est là. Vous pouvez bien, par un
délire programmé, imaginer que la Grèce n’a jamais existé, mais en faisant
ainsi abstraction de tout ce qui vous précède, loin de découvrir la nudité de
votre cogito, vous vous perdrez complètement : si la Grèce n’a pas existé,
vous non plus.
Il en va strictement de même pour l’ancien Israël.
Jésus, un Juif et non un Palestinien comme le suggérait fielleusement Dario Fo
dans son Mystère Bouffe – mais paix aux morts – n’a pas pu, si l’UNESCO
a raison, se rendre là. Bondieuseries, dites-vous ? Peut-être. Mais aussi
peinture et musique, littérature et sculpture, culture en un mot, patrimoine,
racines, mémoire, votre mémoire, qui que vous soyez : songez donc
qu’il faudra, pour que l’UNESCO soit justifiée, jeter au bûcher la moitié ou
plus des collections du Louvre, qui témoigne, de Botticelli à Rembrandt, de ce
qu’il y eut un petit peuple sur un petit bout de terre, et que ce petit peuple
donna au monde, depuis ce bout de terre qu’il habitait alors, des prophètes,
des principes immortels, des textes dans le souffle desquels l’humanité entière
continue de respirer, un homme nommé Jésus, parmi quelques autres – et que
cela, oui, que cela eut bien lieu, quoi qu’on en pense par ailleurs.
On peut questionner l’interprétation des faits mais à
moins de renoncer à l’usage de la raison et à toute possibilité de
connaissance, on ne peut questionner des faits connus de tous, si évidents
qu’ils en sont indémontrables. Il n’y avait pas de Juifs à Jérusalem du temps
où les Romains y sont entrés ? Qui s’y trouvait alors ? Et ce mot de
« Juifs » qui apparaît sous la plume de Suétone comme de Tacite, de
Juvénal comme d’Horace, est-ce qu’un complot sioniste – je n’ose dire
« juif » du coup – l’y aura interpolé à l’insu de tous pour mieux
nous faire accroire la fiction d’une ancienne Jérusalem juive ? Et de
quand date cette interpolation ? Mais alors, j’y songe, c’est tous les
auteurs ayant un jour cité ces augustes Latins qui ont dû subir le même
traitement ! Horreur, a-t-on jamais vu si gigantesque conspiration !
A quoi touchons-nous ci ? A la racine même du
totalitarisme. Dans 1984, le terrifiant O’Brien explique à Winston Smith
que le passé n’existe pas, que rien, à la vérité, n’existe en dehors de ce que
décide le Parti. Dans 2084, Boualem Sansal a
décrit un totalitarisme religieux ayant la même prétention : du passé,
faisons table rase ! C’est en effet le caprice islamiste,
nous le savons, et en se prêtant à ce sinistre jeu, l’UNESCO n’a fait qu’y
accéder, sournoisement certes, sans la violence des destructions de Syrie,
d’Irak, de Tombouctou ou de la vallée de Bamiyan – mais c’est toujours une
victoire pour ceux qui se veulent maîtres du passé, or comme dit Orwell,
« who controls the past controls the future ».
Caprice islamiste, et même, osons le dire, ambiguïté
de l’islam en tant que tel, qui ne reconnaît les prophètes bibliques qu’en en
faisant des musulmans, avant l’heure et de toute éternité… Preuve s’il en
fallait une, que face aux crimes qui se commettent en son nom, face par exemple
aux dévastations de Daech, l’islam doit questionner ses propres enseignements.
Dans la nouvelle résolution scélérate de l’UNESCO, ils sont peut-être bien
directement en cause.
Vous me direz cependant encore que les Juifs
d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’il y a deux mille ans. C’est en effet la
dernière trouvaille des antisémites : nous ne haïssons pas les Juifs,
d’ailleurs les Juifs n’existent pas – ou plus. La fiction des Khazars, agitée
par tous les naïfs ou les ignorants de la toile, vient servir d’argument à
cette rhétorique infâme : des gens qui ne savent à peu près rien de cette
peuplade – et c’est bien normal : on n’en sait à peu près rien – se
mettent à en parler comme s’ils avaient fait un doctorat d’Etat sur son
histoire, et affirment positivement que les Juifs, les Ashkénazes du moins, en
descendent. Ce qui entre en contradiction avec toutes les sources que nous
avons, qu’elles soient littéraires, linguistiques, onomastiques ou génétiques.
Il apparaît au contraire que les Juifs, d’où qu’ils soient, se partagent bien
un certain noyau ethnique, et que sur ce noyau sont venus se greffer quantité
d’apports, slaves, berbères, germaniques… ce que, contrairement à ce qu’affirme
l’ingénu Shlomo Sand, idole de nos nouveaux négationnistes, personne n’a jamais
ni caché ni nié.
Oui, il y a de quoi renvoyer dos à dos ceux qui
croient que les Juifs seraient une « race pure » et ceux qui leur
dénient toute origine commune. Tant mieux d’ailleurs, car après ces
enfantillages, vient l’essentiel : on n’est pas juif parce qu’on est de
sang juif seulement, mais parce qu’on s’identifie à une certaine
histoire ; un converti, comme le disait Maïmonide au prosélyte Obadia, est
« fils d’Abraham » au même titre qu’un Juif de naissance, et c’est le
peuple juif comme entité spirituelle qui a été une nouvelle fois attaqué par
l’UNESCO ce jeudi.
La liste des pays qui ont proposé cette résolution
barbare suffirait à la discréditer, et à discréditer avec elle l’organisation
qui l’a abritée. Je me contenterai de signaler que s’y trouvent le Qatar et
surtout le Soudan, puissance génocidaire. La première fois, la France s’était
parfaitement déshonorée, votant pour. Cette fois, elle s’est abstenue :
c’est à peine mieux. Non, je ne crois pas que l’on doive s’abstenir face au
totalitarisme. D’autres l’ont d’ailleurs compris, et face à l’appui criminel de
la Russie et de la Chine, face au fantôme de Munich qui rôde toujours, les
Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Lituanie et
l’Estonie, six pays en tout et pour tout, ont montré que l’esprit de la
Résistance pouvait encore souffler.
David Isaac Haziza
La Règle du Jeu, 14 octobre 2016