Bernard Musicant
Je suis abasourdi et choqué par la succession
d’informations en provenance d’Israël de ces deux derniers jours.
Le choc, l’horreur. Sans être naïf ou Bisounours, comment ne pas réagir à
ces évènements ?
Un constat terrible, un bis repetita
Un ultra-orthodoxe a poignardé 6 personnes à la Gay
Pride de Jérusalem.
Une famille arabe a été violentée par des activistes
juifs et un bébé en est mort.
Hier, souvenons-nous du massacre de Hébron par Baroukh
Goldstein, du meurtre du Premier Ministre par Ygal Amir, des Palestiniens
brulés par des Israéliens.
Et n’oublions pas les lapidations de personnes à Ramat
Bet Shemesh pour des habits pas assez longs, même si les victimes sont
elles-mêmes des orthodoxes.
Les paroles déniant la judaïté des réformés ou libéraux
par des politiciens Israéliens n’apaisent en rien les débats sociétaux.
Comment ne pas se rappeler les prières contre Ytshak
Rabin et Ariel Sharon appelant à leur mort ? Les photos montages avec eux
en Nazis ?
La Loi du Talion, une fausse interprétation
« Œil pour œil, dent pour dent », dit la
Bible (Exode XXI, 24). Depuis plus de 2000 ans, ce verset, appelé aussi
« loi du talion », a nourri le mythe du Juif sanguinaire et vengeur,
ainsi que du droit hébraïque autorisant les représailles violentes.
Au contraire, le droit hébraïque a toujours récusé la
vengeance et encouragé la réconciliation après un dommage civil : « Ne te
venge pas et ne garde pas rancune. […] Aime ton prochain comme toi-même »
(Lévitique XIX, 18).
La « loi du talion », qui légalise la
rétorsion, est en fait une création du droit romain (la loi des XII Tables),
qui n’a rien à voir avec le code juridique juif.
Le verset biblique litigieux indique, dans l’hébreu
d’origine, « tu donneras vie selon vie, œil selon œil, dent selon
dent… ». Il n’est point question de vengeance, ni de violence légalisée,
mais bien de volonté de réparation.
Mais la tradition païenne, puis chrétienne, en voulant
opposer l’image du « Dieu vengeur de l’Ancien Testament », au message
d’amour de Jésus (voir Matthieu V, 38), a défiguré le texte hébraïque, puis
perverti son interprétation pour créer le stéréotype du Juif impitoyable et
assoiffé d’une vengeance archaïque et obsessionnelle.
Selon la tradition juive, un objet perdu ou détérioré
ne peut être remplacé par l’identique. Il faut donc y substituer un objet
nouveau ou différent. Le judaïsme prône donc la compensation qui mène à la
réduction, puis à la réparation du dommage, pour favoriser une relation
positive entre celui qui l’a subi et celui qui l’a causé. C’est à un juge, et à
lui seul, d’évaluer le montant et la nature de la réparation, qui sera toujours
une sanction matérielle (amende), jamais physique. La vengeance, forme de
rétorsion immédiate, et la rancune, qui alimente le désir de vengeance, sont
totalement rejetées, au profit du maintien de bons rapports de voisinage.
La loi du talion n’a jamais été ni inventée, ni
adoptée par le droit hébraïque.
Laissons la vengeance aux Autorités, à la Justice et à
l’Armée
Il n’appartient pas à un citoyen Israélien ou un Juif
dans le monde de se substituer à la justice ou au gouvernement.
Les expéditions punitives sont du ressort de
Tsahal et il en coute assez cher à l’Etat d’Israël en moyens humains,
politiques et financiers. Quand l’Armée Israélienne planifie une opération à
Gaza ou à l’étranger (comme la recherche de terroristes dans le monde), les
pouvoirs politiques et judiciaires donnent leur aval. Israël est une
démocratie, la seule du Moyen-Orient.
Ne laissons pas croire non plus à la fable de
déséquilibrés agissant seuls dans leur coin. S’ils ont agi ainsi, c’est la
conséquence d’un terrain haineux et fanatique. On l’a vu pour Ygal Amir. On le
verra surement pour ceux qui sont ou seront bientôt dans les prisons
israéliennes.
Oui mais, les Arabes le font alors pourquoi pas
nous ?
Débat éternel sur les réseaux sociaux. Les Juifs ont
une poignée de terroristes contre des milliers chez les Arabo-Musulmans.
C’est vrai et incontestable. Les colonies de vacances
du Hamas forment déjà les terroristes de demain. Daesh et ses émanations
islamistes radicales dans le monde ont essaimé la mort à Paris, Copenhague, et
ailleurs.
Mais justement, nous avons une éthique et une morale
dans le Judaïsme : « Ou Bakharta Et HaHayim », Et tu choisiras
la vie. C’est cette éthique qui nous pousse à aller plus loin et ne
pas réagir bestialement.
C’est cette morale qui nous interdit de publier des
photos de corps déchiquetés, de sang dans les rues de Jérusalem à chaque
voiture-bélier ou chaque bombe.
Nous sommes peut-être trop moraux, mais nous ne sommes
pas des Bisounours.
Nous ne pouvons pas excuser le terrorisme juif par le
terrorisme arabe. Pas d’excuses, mais pas non plus d’angélisme, les deux sont à
combattre car les deux sont des cancers métastasés.
Alors que faire ?
En 1995, lorsque la haine était présente dans l’état
d’Israël contre Rabin et ses efforts pour la Paix, une grande majorité de la
société Israélienne a entamé un processus de réflexion.
Des groupes de parole ont eu lieu dans tout le pays,
permettant des échanges forts et parfois violents entre pro et anti-Rabin.
Extirper la Haine Gratuite (Sinat Khinam) est une
nécessité pour le Peuple Juif.
Lors de Tisha Beav, j’ai entendu un shiour disant que
c’est cette haine contre l’autre qui a causé la chute du Temple, matérialisée
par les Romains.
Cette haine contre les juifs de gauche, les
homosexuels, les non juifs, est un cancer qui dénature l’essence même
universaliste du judaïsme.
Le peuple juif doit rayonner sur les Nations, c’est
cela qui fait sa force et le maintient depuis des millénaires.
Et depuis des siècles, nous avons su nous défendre
contre ceux qui ont voulu nous détruire : Romains, chrétiens, Arabes,
Grecs, nazis. Les empires romain et grec ont disparu et le peuple juif est
toujours là. Et il survivra au Hamas, au Djihad Islamique, au Fatah et à Daesh.
Car ce qui conserve notre unité envers et contre tout
est notre éthique, certains l’appelleront la foi, la émounah, d’autres la
morale.
Ne perdons pas le nord, non l’est vers Jérusalem.
Bernard Musicant
Times of Israël, 31 juillet 2015