Laurent Joffrin
Introduction :
Comme le rappelle Laurent Joffrin au début de son
éditorial, le tristement connu BDS a été au premier rang des manifestations,
pétitions et apparitions médiatiques diverses ayant tenté sans succès - mais
cela n'est pas rappelé ici - d'empêcher puis de perturber l'opération "Tel
Aviv sur Seine". Le directeur de la rédaction de "Libération",
journal souvent critique vis à vis de la politique des gouvernements israéliens
et pas seulement de l'actuel, a eu le courage de remettre les pendules à
l'heure en démontrant l'essentiel : le mouvement BDS est une organisation
extrémiste, qui instrumentalise ses militants en vue de la destruction d'un
Etat.
J.C
Edito
La modération est parfois trompeuse. En apparence, le
mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), qui coalise une myriade
d’associations pro palestiniennes et qui a été au premier rang de la
protestation contre l’opération «Tel-Aviv sur Seine» organisée par la maire de
Paris, tient un discours raisonnable. L’État d’Israël, disent ses animateurs,
viole les résolutions de l’ONU en maintenant son occupation des Territoires
palestiniens et ne cesse de jouer le fait accompli en encourageant l’implantation
de nouvelles colonies en Cisjordanie. En conséquence, plutôt que par l’action
violente, BDS se propose de faire pression sur le gouvernement israélien en
suscitant à travers le monde une campagne de boycott des produits israéliens.
Tout cela semble relever d’une action politique et
pacifique comparable aux campagnes menées par tant d’ONG. C’est un fait que le
gouvernement israélien poursuit une politique d’occupation qui n’a aucune base
juridique et qu’il tend à rendre irréversible, en autorisant l’implantation de
nouvelles colonies en territoire palestinien. Ces nouvelles colonies,
totalement illégales, sont autant de provocations envers les Palestiniens et le
monde arabe ; elles alimentent le discours des plus radicaux, délégitiment les
Palestiniens partisans d’un compromis et suscitent chaque jour de nouveaux
ennemis à Israël.
Pour autant, l’action de BDS pose question. Le boycott indistinct de tous les produits israéliens a d’abord pour effet de mettre tous ses citoyens dans le même sac et de sanctionner aussi ceux d’entre eux qui sont favorables à la paix. On ne peut pas assimiler Israël à une dictature où l’opinion ne compte pas. Quand Omar Barghouti, animateur et cofondateur de BDS, met Israël sur le même plan que le Soudan du général El-Béchir, islamiste implacable, où la guerre civile et la répression ont causé quelque 2 millions de morts, il pratique un amalgame inacceptable. Il est vrai que dans certains textes, le même Omar Barghouti compare aussi les Israéliens à des nazis… Aussi bien, les militants du boycott, qui agissent en principe au nom de valeurs universelles - le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le droit international - se gardent bien de dénoncer les atteintes à ces principes quand elles sont le fait de certaines forces palestiniennes, par exemple le Hamas qui gouverne Gaza en pratiquant une répression impitoyable et qui use lui aussi de moyens de lutte cruels et contraires aux conventions internationales.
Pour autant, l’action de BDS pose question. Le boycott indistinct de tous les produits israéliens a d’abord pour effet de mettre tous ses citoyens dans le même sac et de sanctionner aussi ceux d’entre eux qui sont favorables à la paix. On ne peut pas assimiler Israël à une dictature où l’opinion ne compte pas. Quand Omar Barghouti, animateur et cofondateur de BDS, met Israël sur le même plan que le Soudan du général El-Béchir, islamiste implacable, où la guerre civile et la répression ont causé quelque 2 millions de morts, il pratique un amalgame inacceptable. Il est vrai que dans certains textes, le même Omar Barghouti compare aussi les Israéliens à des nazis… Aussi bien, les militants du boycott, qui agissent en principe au nom de valeurs universelles - le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le droit international - se gardent bien de dénoncer les atteintes à ces principes quand elles sont le fait de certaines forces palestiniennes, par exemple le Hamas qui gouverne Gaza en pratiquant une répression impitoyable et qui use lui aussi de moyens de lutte cruels et contraires aux conventions internationales.
Mais l’essentiel n’est pas là. La charte de BDS, en
effet, ne se contente pas de demander l’arrêt de la colonisation ou la fin de
l’occupation israélienne. Elle exige aussi le retour sans conditions des
réfugiés palestiniens sur leur terre d’origine. Là aussi, sous une apparence
logique, cette revendication révèle la vraie nature des dirigeants de BDS, en
tout cas de certains d’entre eux. Le retour en question, s’il se produisait un
jour, rendrait les juifs d’Israël minoritaires dans l’État qu’ils ont créé et
dont l’ONU reconnaît le droit à l’existence. Omar Barghouti ne le conteste pas.
Il assure simplement que la situation des juifs dans cet État nouveau serait
comparable à celle des juifs américains ou français, minoritaires dans leur
pays mais néanmoins protégés et égaux en droit. C’est là qu’éclate l’artifice
rhétorique. Comment les juifs qui ont souvent fui les pays musulmans par peur
des discriminations, qui entendent chaque jour des extrémistes musulmans se
répandre en imprécations antisémites, qui observent le sort réservé aux
minorités non-musulmanes dans les pays où l’islamisme sévit, pourraient-ils
accepter cette perspective, alors que le mouvement palestinien, à Gaza par
exemple, comprend une composante islamiste puissante ? L’Autorité palestinienne
ou encore la Ligue arabe le reconnaissent implicitement en souscrivant à une
solution à deux États et en proposant, non pas le retour sans conditions, mais
«une solution juste» pour les réfugiés, formulation très différente, qui
suppose un compromis avec l’État d’Israël maintenu dans son droit à
l’existence.
Barghouti prône une solution à un seul État. Certes,
les militants de BDS ne sont pas forcément sur sa ligne et beaucoup ont pour
but unique de faire pression pour qu’Israël abandonne sa politique de
colonisation. Mais ceux-là doivent réfléchir à cette constatation : quelle est
la force palestinienne la plus active qui demande aussi un seul État ? Le
Hamas, qui prévoit, lui, que cet État unique sera un État islamique et qui
reprend à son compte, dans sa charte, les clichés antisémites les plus éculés.
En se donnant pour objectif final la transformation de l’État d’Israël en un
autre État où les juifs seraient minoritaires - beaucoup y voient une
disparition pure et simple dudit État - le fondateur de BDS rejoint, sous les
atours d’une action légale et pacifique, les mouvements les plus extrémistes.
Ainsi beaucoup de militants sincères, qui croient lutter pour le droit
international, risquent de se retrouver instrumentalisés au profit d’une
entreprise extrêmement douteuse.
Laurent Joffrin,
Libération, 14 août 2015