Farkhunda, 27 ans, a été battue à mort, puis brûlée et jetée dans le lit d'une rivière à Kaboul par une foule furieuse qui l'accusait à tort d'avoir brûlé le Coran. Alors que le procès de ses agresseurs est en cours, son cas peut-il constituer un tournant pour les femmes en Afghanistan?
"Comment la mort d'une seule femme pourrait
changer l'Afghanistan." Après le
lynchage de Farkhunda, 27 ans, et le procès de 49 suspects mis en cause dans
cette affaire, une responsable de USaid dans ce pays écrit dans le Guardian à quel point
Kaboul se trouve à un tournant de son histoire sociale. "Personne ne peut
ignorer ce changement quand on voit des milliers de personnes manifester à
Kaboul", ou quand "des femmes lancent 'Nous sommes toutes Farkhunda'
sur sa tombe", avance-t-elle.
L'Afghane de 27 ans avait
été battue à mort, puis brûlée et jetée dans le lit d'une rivière à Kaboul par
une foule furieuse qui l'accusait d'avoir profané le Coran, en mars dernier.
Des centaines de personnes, choquées par sa mort violente s'étaient mobilisées.
Et fait rare en Afghanistan, le cercueil de la jeune femme avait été porté au
cimetière par des femmes.
Le drame, condamné à la fois par le président Ashraf
Ghani et les talibans du mollah Omar, avait provoqué de nombreuses
protestations en Afghanistan ainsi qu'à l'étranger. Le mouvement "Justice
pour Farkhunda" s'était mis en place pour dénoncer les violences faites
aux femmes, mais aussi le charlatanisme et l'ignorance crasse à l'origine de
cette affaire.
Quatre condamnations à mort à
l'issue d'une "farce"
Un tribunal de Kaboul a condamné à mort mercredi quatre hommes
parmi les 49 suspects mis en cause, avec des chefs d'accusation
allant de violences à meurtre. Parmi ces condamnés à mort figure un mollah
auto-proclamé, Zainul Abiddin, qui vendait des amulettes près d'une mosquée de
Kaboul et qui a été à l'origine du déchaînement de violences contre la jeune
femme. Or l'enquête a révélé que Farkhunda n'avait jamais brûlé le Coran, mais
plutôt dénoncé les activités de ce vendeur d'amulettes comme étant non
conformes à l'islam. Contrarié, ce dernier l'avait alors accusée de blasphème
et mobilisé une foule pour la lyncher devant des policiers qui étaient restés
passifs.
Le tribunal de première instance a aussi condamné
mercredi huit autres hommes à 16 ans de prison et en a relaxé 18 autres, faute
d'éléments à charge, dans ce procès qui a débuté samedi dans la capitale
afghane. Outre les 30 personnes sur lesquelles le tribunal s'est prononcé
mercredi, 19 policiers seront fixés sur leur sort dimanche. Mais la famille de
Farkhunda dénonce d'ores et déjà une "farce". "Il y avait des
milliers de personnes impliquées dans le meurtre de ma soeur et le tribunal
n'en a condamné que quatre", a estimé son frère Mujibullah.
A Kaboul, "de nombreuses femmes n'ont guère de
difficulté à se mettre dans la peau de Farkhunda", écrit encore la
responsable humanitaire dans le Guardian. "Les armes des seigneurs
de guerre ont été remplacées par le champ de mines de la violence collective,
des menaces et du harcèlement verbal". Depuis 2002, les femmes ont
remporté des batailles en Afghanistan, mais pour gagner la guerre contre les
violences dont elles sont encore victimes, "elles devront éduquer leurs
maris, leurs fils, leurs frères et leurs pères."
Dans un rapport publié en avril, l'ONU avait souligné
que l'accès à la justice pour les femmes devait être "renforcé" en Afghanistan. Le rapport
estime notamment que seulement 5% des affaires dans lesquelles les auteurs sont
identifiés mènent à des procès et des condamnations devant la justice.
L'Express, 8 mai 2015