Le délire du mois
- juillet 2015
Avec son livre niant la responsabilité d'Al-Qaïda dans les attentats du 11 septembre 2001, ce Français est devenu une figure clef des complotistes. Depuis, établi en Syrie, il accable "l'Occident et les sionistes" de tous les maux
La vérité est ailleurs. Il le proclame à la face du monde: l'actualité internationale et son cortège de drames n'ont rien à voir avec ce qu'en disent les médias occidentaux. La tuerie de Charlie Hebdo, par exemple. Elle "n'a pas de lien avec l'idéologie djihadiste [...]. Ses commanditaires les plus probables sont à Washington". La preuve? "Les assaillants n'étaient pas vêtus à la mode des djihadistes, mais comme des commandos militaires." CQFD. De même, les combattants de Daech (organisation de l'Etat islamique) "ont été formés par les États-Unis [...], mais aussi par des Français, de la Légion étrangère". Rien d'extraordinaire, quand on sait qu'"Al-Qaeda assure la sécurité de l’État d'Israël face à la Syrie"... Ceux qui ne le croient pas sont manipulés par la "propagande impérialiste états-unienne et sioniste"...
Voilà près de quinze ans que le Français Thierry
Meyssan récite son credo: les États-Unis, l'Organisation du traité de
l'Atlantique Nord (Otan) et Israël mènent un
complot à l'échelle mondiale pour asservir les pays "non alignés" -
Syrie, Iran et Venezuela en tête.
Pour tenter de le démontrer, tous les moyens sont bons. Plus c'est gros, plus
ça passe. En 2002, Thierry Meyssan lance un bobard ahurissant: dans son livre L'Effroyable
Imposture, il affirme que les attentats du 11 septembre 2001 sont en réalité
une manipulation d'"une faction du complexe militaroindustriel
américain". Selon lui, aucun avion ne s'est écrasé sur le Pentagone ce
jour-là. Cette thèse absurde rencontre aussitôt un écho international.
Depuis lors, Meyssan, ex-militant de la liberté
d'expression, est devenu l'un des chefs de file mondiaux du complotisme. Etabli
à Damas, il est aujourd'hui, à 57 ans, à la tête d'une véritable entreprise de
désinformation, mise au service de la propagande de régimes autoritaires et de
dictatures. Incroyable destin pour cet homme qui a eu plusieurs vies, et autant
d'engagements.
"Il voulait bénéficier de
financements étrangers"
Thierry Meyssan est né le 18 mai 1957 à Talence
(Gironde), dans une famille bourgeoise catholique. Son père travaille au côté
de Jacques Chaban-Delmas, maire de Bordeaux et Premier ministre (1969-1972). Sa
mère dirige les œuvres interdiocésaines en Aquitaine. Le jeune Meyssan entame
des études de théologie avant d'opter pour Sciences po, dont il
n'obtiendra pas le diplôme. Il appartient aussi au Renouveau charismatique,
mouvement catholique qui met en valeur les dons de "guérison" et de
"prophétie". A 19 ans, le jeune homme se marie. Mais, dans les années
1980, sa vie prend une autre direction. Meyssan est maintenant libre-penseur et
clame son homosexualité. Il obtient du Vatican l'annulation de son mariage
religieux, un fait rare. L'homme milite pour les droits des homosexuels,
s'investit dans la lutte contre le sida, s'essaie au journalisme. En 1993, le
voici secrétaire national du Parti radical de gauche (PRG). "Il était très
actif et avait un carnet d'adresses bien rempli. Son ambition était de faire
une carrière politique", affirme un de ses anciens compagnons de route.
L'année suivante, Thierry Meyssan fonde le Réseau Voltaire pour défendre la
liberté d'expression et la laïcité. Des cadres de partis de gauche (Verts, PCF,
PRG) et de syndicats siègent au conseil d'administration. Philippe Val y
représente... Charlie Hebdo. Au
quotidien, le Réseau Voltaire, qui multiplie les révélations sur les filières
d'extrême droite, est constitué d'un duo: Thierry Meyssan et son compagnon,
Serge M., seul salarié de l'association, à 8000 francs par mois.
Il quitte la France en 2008 pour échapper à un
invraisemblable "contrat" que Nicolas Sarkozy aurait mis sur sa
tête
"Meyssan avait un fond paranoïaque, se souvient
Yves Frémion, ancien vice-président du Réseau Voltaire et ex-élu Vert.
Régulièrement, il racontait les tentatives d'assassinat auxquelles il avait
soi-disant échappé... Ensuite, il a "pété les plombs" par
autoritarisme." Son glissement de la gauche vers la mouvance rouge-brun,
l'antiaméricanisme et l'antisionisme virulents, prend une tournure publique en
septembre 2001. Dès le lendemain des attentats, Thierry Meyssan met en doute
leur réalité. Six mois plus tard, il publie L'Effroyable Imposture.
Succès immédiat: vendu à 250 000 exemplaires, le livre est traduit en 26
langues. Mais ses élucubrations suscitent aussi un énorme tollé. Les membres du
Réseau Voltaire finissent par prendre leurs distances. "Rapidement,
Meyssan a été approché par des gens travaillant pour un état du Proche-Orient,
relate Yves Frémion. Ils lui ont livré clefs en main des documents censés
démontrer que le Pentagone avait été frappé par un missile américain..."
L'association explose en février 2005. "Il voulait modifier les statuts
pour créer des sociétés et bénéficier du financement de pays étrangers, raconte
Gilles Alfonsi, qui représentait alors le Parti communiste au sein du réseau.
Le conseil d'administration était noyauté par ses nouvelles connaissances,
notamment un pseudo-scientifique qui avait nié l'existence des chambres à gaz
lors du procès [du négationniste] Robert Faurisson."
Il relaie désormais la propagande du
régime de Bachar el-Assad
En 2006, Thierry Meyssan effectue un premier voyage au
Liban et en Syrie, peu après des
attaques israéliennes contre les bases du Hezbollah. Il est
l'invité de ce dernier et du régime de Damas. Deux ans plus tard, pour échapper
à un invraisemblable "contrat" que Nicolas Sarkozy - "élu grâce
à la CIA" - aurait mis sur sa tête, l'amateur de complots s'installe à
Damas, dans le quartier des ambassades. Il devient un expert habilité auprès
d'une cohorte de médias "antioccidentaux" ou
"antisionistes": chaînes télé du Hezbollah et du régime iranien, RT
(ex-Russia Today, pro-Kremlin), radios et quotidiens syriens... Le site
Internet du Réseau Voltaire international revendique 760 00 visiteurs uniques
par mois. Le véritable ordre de grandeur se situe plutôt autour de 20 000 à 30
000.
Cependant, il est traduit en 16 langues. Ce qui
nécessite d'importants moyens financiers et humains. Lesquels? Les indices
affleurent. A Damas, Thierry Meyssan forme des cadres du régime au sein de
l'institut de recherche politique Syria Al-Ghad (Syrie Demain). Le
vice-président du Réseau, Issa el-Ayoubi, est un cadre du Parti social
nationaliste syrien, formation d'inspiration nazie créée dans les années 1930.
"Thierry Meyssan a choisi de s'allier avec les pires antisémites tout en
se gardant de manier lui-même cette rhétorique, poursuit Gilles Alfonsi. Voilà
toute la malignité et la perversité de son discours."
Depuis le déclenchement de la guerre civile syrienne,
en 2011, notre "journaliste en exil" assure, en vidéo, le service
après-vente de la propagande du régime de Bachar el-Assad. Le
message est simple: la Syrie est victime d'un terrible complot mêlant
l'Occident, Israël et Daech... Thierry Meyssan n'est jamais à court
d'explications, même s'il doit les trouver par-delà les frontières du réel. En
revanche, bien que sollicité à plusieurs reprises par courrier électronique, il
n'a pas donné suite à nos demandes d'entretien.
Ses idées discutées chez Soral et
Dieudonné
Depuis la tuerie de Charlie Hebdo, il semble de
nouveau s'intéresser à la politique française. Le faussaire est apparemment
satisfait que ses idées soient discutées au sein du groupuscule Réconciliation
nationale, fondé par Dieudonné et Alain Soral,
polémiste qui se définit lui-même comme "national-socialiste
français". "Cette formation entend réunir des citoyens d'origines politiques
différentes, y compris des personnes ayant milité à l'extrême droite
antisémite", écrit le Réseau Voltaire. La vérité surgit parfois là où on
ne l'attend pas...
Boris Thiolay
L'Express, 17 avril 2015