Le Ministre iranien des Affaires Étrangères, Javad Zarif
Le 14 juillet, donc - triste
rapprochement de date avec un évènement historique, pour ce que beaucoup
présentent comme le "Munich" de notre époque -, le groupe "P5 +
1" des grandes puissances signaient avec la République Islamique d'Iran un
accord sur son programme nucléaire, accord censé stopper pendant 10 ans la
marche du pays vers l'arme atomique, et ce grâce à des engagements précis et vérifiés
par des inspections régulières.
Rappelons-le, j'étais alors
en vacances loin de Paris, et dans l'incapacité de lire et analyser les
dizaines d'articles publiés à la suite : seules informations, celles des
chaînes télé disponibles, informations qui m'ont, avouons-le, fortement déplu
par leur tonalité : les journalistes semblaient dans l'ensemble ravis, soit
faussement naïfs, soit convaincus, mais en tout cas désireux de ramener
l'évènement non pas à sa substance technique - l'accord va-t-il fonctionner ? -
mais à sa dimension politique : retour de l'Iran dans le concert des nations ;
possible renversement d'alliances au Moyen-Orient ; et, pendant qu'on y est,
isolement complet d'Israël, ce qui semblait aussi réjouir les commentateurs.
Tout le monde s'accordait à dire que d'immenses marchés commerciaux allaient
s'ouvrir, pour la France en particulier ; et on nous diffusait, aussi - en écho
et avec le message subliminal que le peuple iranien allait enfin s'affranchir
de sanctions dans le fond injustes -, les images des manifestations de joie à
Téhéran.
Retourné chez moi il y a
seulement une quinzaine de jours, j'avoue n'avoir pas lu tout ce qui a été
publié, mais assez cependant pour vous proposer une revue de presse à l'image,
je l'espère, de mes publications et émissions : n'allant pas uniquement dans un
sens, diverse comme les auteurs d'articles, et vous laissant libres ensuite de
vous forger une opinion. Petite précision, aussi, alors que le bras de fer au Congrès américain n'a pas encore eu lieu entre partisans et opposants à cet accord, j'ai préféré à ce stade ne pas mettre des liens sur les échanges, de plus en plus agressifs, entre l'administration américaine et le gouvernement israélien. J'y reviendrai plus tard, tout en étant - pourquoi ne pas l'avouer ? - extrêmement inquiet de cette crise.
Commençons d'abord par la
référence principale, le texte de l'accord dans sa version anglaise : le
voici en version pdf. Je n'ai pas trouvé le temps, bien sûr, de lire ses
159 pages, mais on pourra y retourner à l'avenir pour analyser tel ou tel
détail - et comme le dit l'adage, "le diable est caché dans les
détails", surtout avec les Ayatollahs !
Les points principaux de
l'accord sont synthétisés dans un
article fort optimiste publié sur le très sérieux site
"Slate.fr", et qui nous dit que "l'accord du 14 juillet 2015 va
bloquer la progression du programme nucléaire iranien pendant une génération."
Commencez donc par le lire, avant d'attraper une migraine à la lecture des
commentaires négatifs ! J'avoue m'être particulièrement intéressé à ce qui
concerne une filière longtemps ignorée par les médias, celle du Plutonium que
devait produire le réacteur d'Arak. A ce sujet, il est écrit que " l'Iran
a accepté de reconfigurer l'ensemble du réacteur d'Arak, qui produira désormais
moins de 1 kg de plutonium par an. L'ancien cœur du réacteur sera expédié en
dehors du pays. En outre, l'Iran s'est engagé à ne jamais construire d'usines
capables de recycler les crayons combustibles (..)". Les commentateurs
négatifs relèvent, eux, que l'ensemble du réacteur ne sera pas démantelé ; et
que les Iraniens continueront de produire de l'eau lourde. Pour rappel, aussi,
mon article sur la
filière oubliée du nucléaire iranien, publiée fin 2013 sur le site
"Temps et Contretemps".
"Temps et
Contretemps", justement, a publié une série d'articles fort bien documentés
sur ces accords. D'abord cet éditorial de mon collègue de Judaïques FM, Gérard
Akoun, qui reste équilibré : oui, l'Iran avec la fin des sanctions, va
engranger maintenant des sommes considérables qui le feront monter en puissance
; il pourra rapidement passer au statut de puissance atomique passés les 10 ans
de l'accord, qui laisseront intactes la plupart de ses installations ; mais
Netanyahou, qui fulmine, ne pouvait pas obtenir mieux et certainement pas
compter sur la solution militaire dont ne voulait pas Obama ; au final, il lui
faut renouer les liens avec les Etats-Unis car il est en position de faiblesse.
Jacques Benillouche, le
directeur du site, reprend les mêmes conclusions dans un même article, en insistant
sur la
solitude de Netanyahou : en effet les Européens - et même la France que
l'on disait la plus dure sur ce dossier - ont suivi les Américains au final, et
ils n'apprécient pas ses tentatives de saboter l'accord. Dans une autre publication,
il relève aussi qu'après le soutien par l'opposition, sur ce dossier du Premier
Ministre israélien, l'unanimité s'est
vite fissurée, car on lui reproche à juste titre d'avoir échoué.
Jacques Benillouche relève
aussi dans d'autres publications les aspects politiques et économiques de cet
accord, qui inquiète beaucoup de monde dans la région : l'accord
nucléaire bouleverse l'ordre établi au Moyen-Orient, car les Américains
comptent sur l'Iran pour une alliance implicite contre le Daesh ; mais cela
inquiète naturellement les grandes puissances sunnites - Arabie Saoudite,
Egypte, pays du Golfe - qui se retrouvent dans le même camp que ... Israël !
Par ailleurs, et cela a sûrement joué un rôle pour cet accord, l'Occident
organise l'assaut économique sur l'Iran.
Bruno
Tertrais, expert que mes auditeurs connaissent bien, a publié dès le 15
juillet une tribune libre fort pessimiste dans un journal canadien : pour lui,
les Iraniens vont tout faire pour trahir l'esprit de l'accord, et mettre des
bâtons dans les roues des inspecteurs de l'ONU - notons à ce sujet que le
protocole sur l'inspection des sites militaires n'est toujours pas signé. Les
dix ans gagnés passeront rapidement, et il rappelle les illusions de l'accord
passé avec la Corée du Nord en 1994, qui n'a pas empêché ce pays de devenir une
puissance nucléaire. Surtout, il dénonce la naïveté américaine : "Les
espoirs de « réconciliation » (on emploie ce mot comme s’il
s’agissait d’une simple querelle de ménage…) entre les États-Unis et l’Iran
sont vains. L’accord de Vienne est une transaction limitée, et non le début
d’une transformation profonde. Le Guide de la révolution l’a d’ailleurs dit
clairement : il ne conçoit de changement dans la relation irano-américaine
qu’à la condition que Washington reconnaisse, dans les faits, la domination de
Téhéran dans la région. Car l’opposition à l’Occident est l’un des principaux
ressorts du régime."
Finissons donc par une note
pessimiste avec cet article, dense et angoissant, de l'excellent David Horovitz
sur le Times
of Israël : il nous donne les 16 raisons pour lesquels cet accord est une
victoire de l'Iran et une défaite de l'Occident. Au delà des éléments
techniques qui contredisent le point de vue rassurant lu sur Slate.fr et dont
je parlais au début, il cite à la fin une série d'éléments qui n'étaient
justement pas sur la table des négociations - comme devrait le dire justement à
mon micro Bruno Tertrais il y a quelques semaines (lire
ici) : la République Islamique continuera à inciter à la haine contre les
USA et à appeler à la destruction d'Israël ; elle continuera de violer les
droits de l'homme, et d'exécuter massivement ses opposants ; elle continuera de
soutenir et armer des groupes terroristes, etc.
Bonne lecture de tout cela !
J.C