Il devait y avoir une trêve humanitaire le
17 juillet. Elle n’a pas eu lieu, en dépit des appels, de plus en plus
pressants, de l’ONU et de la Croix-Rouge internationale. Voilà quatre mois déjà
que le Yémen, pourtant habitué à la guerre, vit à l’heure des bombardements
urbains et d’une crise humanitaire chaque jour plus dramatique. Encore quelques
mois de combats, et le pays ressemblera à la Syrie, une mosaïque de chefs de
guerre locaux, s’affrontant à l’arme lourde au beau milieu d’une population
traumatisée. Le Yémen, l’Arabie heureuse de l’Antiquité, est, une fois de plus,
en voie de dislocation – reflet et théâtre, parmi d’autres, des conflits qui
divisent le Moyen-Orient d’aujourd’hui.
Est-ce la complexité des lignes de fracture de ce pays
– régionales, religieuses, politiques –, l’éloignement ou un sentiment de
désespoir, l’épuisement de nos capacités d’indignation ? Toujours est-il
que le calvaire vécu par le Yémen ne fait ni la « une » des journaux
ni ne mobilise qui que ce soit en Europe ou aux États-Unis. Pourtant, en quatre
mois, la guerre qui s’y déroule a fait près de 3 000 morts et quelque
10 000 blessés, selon les ONG humanitaires. Elle a mis 1 million de
réfugiés intérieurs sur les routes. Elle prive 80 % de la population
– 25 millions d’habitants, parmi les plus pauvres du monde – d’un
nombre croissant de produits de première nécessité : eau potable et
médicaments, notamment.
Bombardements à l’aveugle
Enfin, à Sanaa, la capitale, et ailleurs, les
bombardements, particulièrement ceux de l’aviation saoudienne, ont détruit une
partie d’un héritage architectural classé au Patrimoine mondial de l’humanité par
l’Unesco. Là encore sans choquer outre mesure la « communauté
internationale ».
Qui se bat contre qui ? A très gros traits, il y
a, d’un côté, l’ancien président Ali Abdallah Saleh, appuyé par une partie de
l’armée et par les milices houthistes, qui, partis du nord du Yémen, ont
déferlé sur le Sud et sa capitale régionale, le port d’Aden. Ils sont
aujourd’hui sur la défensive. Car, de l’autre côté, l’Arabie saoudite et neuf
autres pays arabes sont à l’offensive pour restaurer Abd Rabbo Mansour Hadi, le
dernier des présidents en place, et les forces qui lui sont restées loyales.
Les
houthistes sont présentés comme l’instrument de l’Iran au Yémen
Les houthistes sont présentés comme l’instrument de
l’Iran au Yémen. La République islamique est soupçonnée de vouloir un point
d’appui dans le golfe d’Aden, qui contrôle l’accès, en mer Rouge, du détroit de
Bab-el-Manded, point de passage-clé pour le pétrole de la région. Au nom de la
lutte contre les velléités de domination régionale de l’Iran, l’Arabie saoudite
est entrée en guerre au Yémen en mars 2015, entraînant d’autres pays
arabes dans l’aventure.
Les houthistes sont accusés de massacres divers,
bombardant à l’aveugle, notamment les alentours d’Aden. L’aviation saoudienne
bombarde, elle, de manière tout aussi indiscriminée : hôpitaux, centrales
électriques, réservoirs d’eau – plus de la moitié des victimes sont des civils.
A quoi il faut ajouter des attaques dues à l’Al-Qaida locale et des attentats
imputés à une branche yéménite de l’État islamique, sans trop savoir qui est
derrière l’une et l’autre de ces filiales djihadistes. De peur de mécontenter
un peu plus Riyad, déstabilisé par l’accord sur le nucléaire iranien, les États-Unis ont pris le parti de la coalition arabe.
Au milieu, les Yéménites meurent, dans une
assourdissante indifférence.
Éditorial du journal "Le Monde",
21 juillet 2015