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18 février 2015

Une responsabilité partagée face à un ennemi commun



Je me joins aujourd'hui aux millions de Saoudiens qui ont condamné la tuerie barbare qui a coûté la vie de dix-sept hommes et femmes innocents à Paris entre le 7 et le 9 janvier. Des journalistes ont été massacrés pour s'être exprimés dans une société libre ; des policiers dont un de confession musulmane ont été tués dans l'exercice de leurs fonctions et quatre autres citoyens français ont été assassinés pour le simple fait d'être Juifs.
Que ces actes aient été perpétrés au nom de l'Islam me peine énormément, surtout que le terme « Islam » vient d'un mot qui signifie la « paix ». Je suis moi-même de cette confession et c'est ma foi qui a inspiré mon combat pour promouvoir dans mon propre pays les valeurs françaises de liberté, d'égalité et de fraternité.
Ma peine n'est pas nouvelle. Ne serait-ce qu'au cours des dernières semaines, cette même branche radicale de l'Islam politique qui a fait rage en France a été également à l'origine d'un autre carnage au Nigéria et d'un massacre d'enfants au Pakistan. Ce cancer gagne aujourd'hui la Syrie et l'Irak et s'empare de nouveau du Liban, de la Jordanie et de l'Arabie saoudite.
Ce qui est nouveau en revanche, c'est l'empressement avec lequel les Musulmans du monde entier ont décrié ces attaques et déclaré haut et fort « Pas en notre nom ! ». Nombreux sont ceux qui ont participé aux manifestations en Occident et qui ont pris part au débat public en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Beaucoup d'Européens blâment depuis longtemps le « silence musulman », mais ils ignorent le fait que la colère des Arabes et des Musulmans face au terrorisme islamiste n'a cessé de croître ces dernières années. Je regrette que cela ait pris tellement du temps pour devenir audible, mais je suis fier de constater que désormais ces voix se font vraiment entendre. 

Notre défi aujourd'hui est de construire, sur la base de ces réactions, une mobilisation massive et durable contre le terrorisme. 

Hélas, plusieurs obstacles se dressent devant nous. D'abord, une minorité de Musulmans, petite mais bien organisée et puissante, approuve encore de telles attaques et s'efforce d'excuser, de justifier et même de glorifier les criminels. C'est avant tout aux Arabes et aux Musulmans de réagir, en dénonçant ces propos honteux mais aussi en les criminalisant dans leurs pays.
Le second obstacle réside à l'inverse dans l'attitude des non-Musulmans et je voudrais aujourd'hui demander à l'ensemble des Français d'aider à résoudre ce problème. Des voix marginales en Occident, dans les médias et sur la scène politique, rendent responsables l'Islam de ces atrocités et attendent des Musulmans qu'ils s'excusent. Ces démonstrations d'islamophobie contribuent au sentiment d'aliénation et de marginalisation des Musulmans. Tous les Musulmans se doivent bien sûr de condamner ces attaques. C'est le devoir de tout être humain doté de conscience. Et c'est d'autant plus important pour les Musulmans que ces actes ont été commis au nom de leur propre religion, déformée par des terroristes à des fins utilitaristes. Mais demander des excuses à l'ensemble de la communauté musulmane laisse entendre que les Musulmans pacifiques sont directement responsables de ces attaques, alors qu'elles ne sont les faits que d'une branche ayant souscrit à l'idéologie de l'islamisme politique, véritable vivier du militantisme.
Cette idéologie totalitaire est un phénomène essentiellement moderne. Justifiée par les textes sacrés de l'Islam, elle est au fond nourrie des théories léninistes et nazies. Hendrik Hansen et Peter Kainz, entre autres, l'ont démontré dans leur étude intitulée « L'islamisme radical et l'idéologie totalitaire : étude comparative de l'Islamisme de Sayyid Qutb et du marxisme et socialisme national ». Ils concluent : « en dépit de leurs différences, l'islamisme, le marxisme et le socialisme national s'appuient sur le même raisonnement simple : l'histoire de l'humanité est envisagée comme une lutte entre la vie et la mort, entre le bien et le mal, dans laquelle ceux qui incarnent le mal menacent l'existence de l'ensemble de l'humanité. Ceux qui personnifient le bien ont pour mission de sauver l'humanité en la débarrassant du mal et en rendant réelle l'utopie d'une société sans classes, d'une race naturelle ou d'une société purifiée et constituée uniquement des disciples de la vraie foi ». En condamnant les atrocités perpétrées par cette dérive violente, nous l'isolons ; en revanche, en demandant à l'ensemble des Musulmans de s'excuser, on discrédite ceux-là mêmes qui tentent d'exclure ces terroristes de la communauté des croyants.
Puissent tous ceux qui luttent pour la paix se donner la main et combattre ensemble le « faux Islam » qui ne cesse d'engendrer peines et souffrances à travers le monde. Nous partageons tous cette responsabilité et c'est seulement en travaillant ensemble que nous pourrons détruire notre ennemi commun.

Turki Ad-Dakhil,

Journaliste saoudien, co-fondateur de la chaine panarabe Al-Arabiya

Le Huffington Post, 21 janvier 2015