Je me joins aujourd'hui aux millions de Saoudiens qui
ont condamné la tuerie barbare qui a coûté la vie de dix-sept hommes et femmes
innocents à Paris entre le 7 et le 9 janvier. Des journalistes ont été massacrés pour s'être exprimés dans une
société libre ; des policiers dont un de confession musulmane ont été tués dans
l'exercice de leurs fonctions et quatre autres citoyens français ont été
assassinés pour le simple fait d'être Juifs.
Que ces actes aient été perpétrés au nom de l'Islam me
peine énormément, surtout que le terme « Islam » vient d'un mot qui signifie la
« paix ». Je suis moi-même de cette confession et c'est ma foi qui a inspiré
mon combat pour promouvoir dans mon propre pays les valeurs françaises de
liberté, d'égalité et de fraternité.
Ma peine n'est pas nouvelle. Ne serait-ce qu'au cours
des dernières semaines, cette même branche radicale de l'Islam politique qui a
fait rage en France a été également à l'origine d'un autre carnage au Nigéria
et d'un massacre d'enfants au Pakistan. Ce cancer gagne aujourd'hui la Syrie et
l'Irak et s'empare de nouveau du Liban, de la Jordanie et de l'Arabie saoudite.
Ce qui est nouveau en revanche, c'est l'empressement
avec lequel les Musulmans du monde entier ont décrié ces attaques et déclaré
haut et fort « Pas en notre nom ! ». Nombreux sont ceux qui ont participé aux
manifestations en Occident et qui ont pris part au débat public en Afrique du
Nord et au Moyen-Orient. Beaucoup d'Européens blâment depuis longtemps le «
silence musulman », mais ils ignorent le fait que la colère des Arabes et des
Musulmans face au terrorisme islamiste n'a cessé de croître ces dernières
années. Je regrette que cela ait pris tellement du temps pour devenir audible,
mais je suis fier de constater que désormais ces voix se font vraiment
entendre.
Notre défi aujourd'hui est de construire, sur la base
de ces réactions, une mobilisation massive et durable contre le terrorisme.
Hélas, plusieurs obstacles se dressent devant nous.
D'abord, une minorité de Musulmans, petite mais bien organisée et puissante,
approuve encore de telles attaques et s'efforce d'excuser, de justifier et même
de glorifier les criminels. C'est avant tout aux Arabes et aux Musulmans de
réagir, en dénonçant ces propos honteux mais aussi en les criminalisant dans
leurs pays.
Le second obstacle réside à l'inverse dans l'attitude
des non-Musulmans et je voudrais aujourd'hui demander à l'ensemble des Français
d'aider à résoudre ce problème. Des voix marginales en Occident, dans les
médias et sur la scène politique, rendent responsables l'Islam de ces atrocités
et attendent des Musulmans qu'ils s'excusent. Ces démonstrations d'islamophobie
contribuent au sentiment d'aliénation et de marginalisation des Musulmans. Tous
les Musulmans se doivent bien sûr de condamner ces attaques. C'est le devoir de
tout être humain doté de conscience. Et c'est d'autant plus important pour les
Musulmans que ces actes ont été commis au nom de leur propre religion, déformée
par des terroristes à des fins utilitaristes. Mais demander des excuses à
l'ensemble de la communauté musulmane laisse entendre que les Musulmans
pacifiques sont directement responsables de ces attaques, alors qu'elles ne
sont les faits que d'une branche ayant souscrit à l'idéologie de l'islamisme politique,
véritable vivier du militantisme.
Cette idéologie totalitaire est un phénomène
essentiellement moderne. Justifiée par les textes sacrés de l'Islam, elle est
au fond nourrie des théories léninistes et nazies. Hendrik Hansen et Peter
Kainz, entre autres, l'ont démontré dans leur étude intitulée « L'islamisme
radical et l'idéologie totalitaire : étude comparative de l'Islamisme de Sayyid
Qutb et du marxisme et socialisme national ». Ils concluent : « en dépit de
leurs différences, l'islamisme, le marxisme et le socialisme national
s'appuient sur le même raisonnement simple : l'histoire de l'humanité est
envisagée comme une lutte entre la vie et la mort, entre le bien et le mal,
dans laquelle ceux qui incarnent le mal menacent l'existence de l'ensemble de
l'humanité. Ceux qui personnifient le bien ont pour mission de sauver
l'humanité en la débarrassant du mal et en rendant réelle l'utopie d'une
société sans classes, d'une race naturelle ou d'une société purifiée et
constituée uniquement des disciples de la vraie foi ». En condamnant les
atrocités perpétrées par cette dérive violente, nous l'isolons ; en revanche,
en demandant à l'ensemble des Musulmans de s'excuser, on discrédite ceux-là
mêmes qui tentent d'exclure ces terroristes de la communauté des croyants.
Puissent tous ceux qui luttent pour la paix se donner
la main et combattre ensemble le « faux Islam » qui ne cesse d'engendrer peines
et souffrances à travers le monde. Nous partageons tous cette responsabilité et
c'est seulement en travaillant ensemble que nous pourrons détruire notre ennemi
commun.
Turki
Ad-Dakhil,
Journaliste
saoudien, co-fondateur de la chaine panarabe Al-Arabiya
Le Huffington Post, 21 janvier 2015