Que se passe t-il dans la tête des intégristes, qu’ils
soient politiques, religieux ou philosophiques ? Quels sont leurs
symptômes ? Quelle est leur problématique ?Les intégristes parlent
beaucoup de sexualité et toujours de façon négative comme si le sexe était intrinsèquement mauvais. Leur obsession, c’est le sexe.
Et c’est logique dans la mesure où ce sont avant tout des êtres frustrés. Chez eux, la frustration, c’est le manque de puissance, plus exactement, le sentiment de manquer de virilité. Les intégristes ont un problème avec leur propre virilité. L’intégriste confond d’ailleurs virilité et brutalité. Il a besoin d’être brutal, c’est-à-dire de dominer, de mépriser l’Autre pour se sentir viril. Par un phénomène de surcompensation, ce mode de fonctionnement est le même chez tous ceux qui se sont installés dans des certitudes. Tous les idéologues ont la même représentation de l’histoire. Celle-ci est considérée comme un combat terrible qui grâce au Graal, qu’ils sont certains d’avoir trouvé, se termine par la victoire apocalyptique des bons sur les méchants. Chez les intégristes religieux, le Graal, c’est la foi. Tous les intégrismes partagent le même fantasme. Tous rêvent de rétablir un passé mythique. Tous adhèrent à une vérité déjà dite une fois pour toute, tous condamnent la modernité et la démocratie, tous voient dans chaque idée nouvelle une erreur à combattre et chez ceux qui les produisent un ennemi à détruire. Au fond tous les intégristes aspirent à retrouver l’état idyllique ou fusionnel qu’ils ont connu quand ils étaient dans le ventre de leur mère. Il est frappant de voir que tous les intégrismes notamment religieux honorent la Mère et détestent les femmes qui sont toujours leurs premières victimes.
Pourquoi
tant de haine envers les femmes ? Tout se passe chez les puritains, comme
si la différence sexuelle était une maladie honteuse, comme si la féminité
recelait un mystérieux danger, auquel la mort serait mille fois préférable. Les
intégristes purs et durs n’ont pas peur de la mort : ils ont peur de la
Femme. Mais pourquoi des êtres si forts auraient-ils tant à craindre des êtres
si “faibles” que sont supposées être les femmes. Et pourquoi ces hommes qui
n’en finissent pas de réaffirmer leur puissance virile, en méprisant les
femmes, en s’offrant en sacrifice, pourquoi se donnent-ils tant de mal pour que
leur virilité soit bien visible. Auraient-ils un doute sur ce point ?
La crainte
de perdre sa maîtrise virile est centrale dans la problématique masculine.
C’est tout d’abord parce que l’érection n’est pas un acte volontaire. Ne pas
pouvoir contrôler son érection cause une blessure narcissique. Plutôt que
d’assumer son désir, l’intégriste verra chez les femmes des êtres doués du
pouvoir occulte de le posséder. D’où le fameux mythe de la sorcière. La femme
symbolise la séduction et la tentation, elle est celle qui fait sortir du
chemin. C’est pourquoi le voilement des femmes correspond non seulement à un
déni de la réalité mais à un évitement de la différence sexuelle, et
finalement, de la sexualité masculine.
La femme représente aussi l’absence de pénis. Elle est celle qui est castrée. Cette absence de pénis la disqualifie. C’est pourquoi, la faiblesse est assimilée à la femme. Par conséquent, sa place doit se cantonner à la maison. Et de l’exclusion à la diabolisation, il n’y a qu’un pas. Il faut à tout prix protéger la société de l’influence des femmes. C’est à cause de la Femme que l’homme a été banni de son paradis originel.
La femme représente aussi l’absence de pénis. Elle est celle qui est castrée. Cette absence de pénis la disqualifie. C’est pourquoi, la faiblesse est assimilée à la femme. Par conséquent, sa place doit se cantonner à la maison. Et de l’exclusion à la diabolisation, il n’y a qu’un pas. Il faut à tout prix protéger la société de l’influence des femmes. C’est à cause de la Femme que l’homme a été banni de son paradis originel.
Tous les intégristes sont misogynes. Ils affirment tous qu’ils ont un grand respect de la
femme et que tout ce qu’ils font pour elle est destiné à l’honorer. En fait la
seule femme qu’ils respecte, c’est la Mère. Il est bien évident qu’imposer un
voile aux femmes, exiger d’elles qu’elles soient soumises au père au mari ou au
frère n’a rien à voir avec des sentiments amoureux ! Dans le système de
représentation des intégristes, ces comportements trouvent pourtant des
justifications, pour la plupart liées à la notion de pureté. Les femmes
possèdent le pouvoir de porter les enfants. Il faut donc les surveiller pour
garantir la pureté du groupe. Du fait que ce sont les femmes qui sont
enceintes, un homme ne peut jamais être sûr que l’enfant est de lui, d’où la
nécessité du contrôle de la sexualité des femmes. Les tchadors et burkas des
musulmanes n’ont pas d’autre fonction. Cependant, les femmes sont toujours
suspectées d’être des créatures impures, du fait même qu’elles perdent
régulièrement du sang. Ainsi quoi qu’elles fassent elles sont coupables !
Le fantasme de la pureté est le fondement inconscient de toutes les idéologies
totalitaires. Le mot d’ordre qui appelle aux massacres et à la barbarie est “la
purification”.
Ce mythe de
la purification a pour conséquence la haine de celui qui est différent :
le juif, le franc-maçon, le libre-penseur, etc. Cette haine a pour origine la
haine de soi, en effet il y a toujours un écart entre l’image de soi que l’on
aimerait donner aux autres et ce que l’on est réellement et qui se manifeste
qu’on le veuille ou non. Ce rejet de sa nature profonde peut aller jusqu’à
l’autodestruction que les intégristes nomment le sacrifice. D’où l’utilité des
guerres saintes !
L’intégriste
est très souvent violent envers son prochain. En effet, les gens qui sont
solidement installés dans leurs certitudes condamnent ceux qui ne les partagent
pas. Assurés de leur bon droit et de leur vérité, ils cèdent à la tentation
d’imposer leur foi par la violence. Si un homme refuse de se convertir, l’Amour
du Bien commande alors de le contraindre. L’alibi c’est : je le combats
pour son bien. La violence est ainsi légitimée, et c’est une raison
supplémentaire de considérer que la guerre puisse être sainte ! C’est
grâce à ces “bonnes” intentions que l’on passe du désir de paradis à l’enfer
qui lui n’a rien de virtuel comme le montre l’histoire humaine.
Les
intégristes ont peur de la sexualité. Il est toujours question chez eux de ce
doute sur la virilité. Pour lutter contre sa propre angoisse, le fanatique
évite autant qu’il lui est possible de jouir. Et qui s’interdit de jouir ne
supporte pas logiquement que l’autre jouisse. L’objectif alors devient
évident : la répression du désir. Cela donne quoi ? Des hommes
culpabilisés et par conséquent soumis, mais aussi des fous furieux, des
meurtriers. De toutes les idéologies, les religions sont les armes les plus
terribles, parce qu’elles peuvent transformer un être humain en guerrier voire
en kamikaze. On ne peut en déduire pour autant que les religions sont
dangereuses. Le message divin est ambivalent, il est à la fois guerrier et
pacifique. “De vos socs, forgez des épées !” lit-on dans le prophète Joël.
Mais dans Isaïe il est aussi écrit , ” De vos épées, forgez des socs ! “.
La Bible dit tout et son contraire. Il en est de même pour le Coran. A la
sourate 2, la guerre tuant tous les adversaires est permise face à l’agression,
et à la sourate 8, il faut cesser les hostilités si l’ennemi le désire. Comme
les textes sacrés sont souvent des compilations de maximes orales mises bout à
bout , on y trouve à la fois la guerre et la paix. Si nous considérons la
religion comme uniquement dangereuse nous tombons dans l’intégrisme athée. Les
religions ne sont-elles d’ailleurs pas elles aussi en droit de vilipender les
athéismes, quand on voit les horreurs commises par Hitler, Staline, Mao et plus
récemment Pol Pot. Voyons plutôt à quel désir Dieu correspond. Le Dieu des
intégristes est à leur image : cruel, sanglant, revanchard, sadique. Mais
le vrai danger ne vient pas de la religion, il réside plutôt dans notre rapport
à nos propres désirs. Devient intégriste celui qui refuse de regarder son désir
en face, celui qui refuse de l’assumer, qui cherche à le contrôler en le niant
et non à le maîtriser.
L’intégriste
idolâtre le chef. Celui-ci est l’homme sans peur et sans reproche, un père
imaginaire tout-puissant. L’intégriste n’a pas besoin de Dieu, mais il lui faut
un gourou à la perpétuelle érection. Les dictateurs symbolisent le Phallus qui
fascine. Le tyran est seul capable d’échapper au pouvoir maléfique de la
féminité, il est crédité d’un contrôle total sur ses pulsions, donc sur ses
désirs. L’intégriste en choisissant un chef aura par personne interposée
l’impression “d’en avoir”. Son idolâtrie calme son angoisse de castration.
Ainsi, liée
à une intense frustration sexuelle, la peur des femmes n’est pas seulement le
symptôme d’une maladie appelée intégrisme , mais son ressort inconscient. Un
fanatique ne discute pas car il dispose d’une arme absolue : la certitude
d’avoir raison. L’intégriste est d’abord un homme qui est gonflé d’orgueil par
son omniscience, au point qu’il trouve légitime d’imposer sa vérité à tous,
fût-ce par la force. Il a la prétention de posséder la Vérité, et ce privilège
le rend invincible. Et puisqu’il la possède, il peut s’en servir comme d’une
arme, d’autant plus que cette vérité contient une promesse messianique qu’il
lui appartient de réaliser. A lui de faire advenir le Paradis sur la
terre ! La vérité ainsi conçue est unique et immuable. Or l’existence même
de la féminité, parce qu’elle incarne la différence, remet en question la
réalisation du fantasme d’une société parfaite. Voilà comment se fait la
différence entre ceux qui croient savoir et ceux qui s’autorisent à douter.
Entre ceux qui haranguent et ceux qui essaient de dialoguer. Entre une logique
totalitaire, fondée sur le narcissisme, et une logique démocratique, fondée sur
la reconnaissance de l’altérité.
Les
intégristes sont incapables de passer du narcissisme à l’altruisme obsédés et
tétanisés qu’ils sont par leur propre désir.
François
PERROT
25 novembre
2003