L'imam Mohamed Azizi (à gauche) et le rabbin Michel
Serfaty (à droite), lors d'une opération pour promouvoir le dialogue
judéo-musulman. (@Alexandra Calame)
Rabbin à Ris-Orangis, Michel Serfaty
se rend depuis douze ans dans les quartiers sensibles pour promouvoir le
dialogue entre juifs et musulmans. Rencontre.
Devant la synagogue de Ris-Orangis, deux militaires
sont en faction. A chaque sortie du rabbin Michel Serfaty, pas moins de trois
garde-du-corps en civil l'accompagnent. En voiture, il est précédé et suivi par
deux véhicules de police banalisées. C'est la première fois de sa vie que ça
lui arrive. Même après l'agression antisémite dont il a été victime en 2003
dans les rues de sa ville et qui avait fait déplacer Nicolas Sarkozy, ministre
de l'Intérieur, il n'avait pas été aussi protégé. Est-ce parce que à quelques
kilomètres de là s'étend Grigny, commune dont était originaire Amedy Coulibaly,
l'auteur des assassinats d'une policière et de quatre juifs début janvier
? Il n'en a pas la moindre idée, tout juste sait-il que l'un des cafés
fréquentés par le djihadiste ne se situe pas très loin.
Les attentats contre "Charlie Hebdo" et le magasin Hyper Cacher,
qui ont notamment entraîné un renforcement de la sécurité des lieux de culte,
n'ont en rien bouleversé sa sérénité habituelle, ni sa détermination à défendre
l'amitié entre juifs et musulmans. Au lendemain de la publication d'une
caricature de Mahomet dans le "Charlie Hebdo" des
survivants, il a fait le tour des mosquées "dîtes
radicales" de Sainte-Geneviève-Des-Bois, de Corbeil-Essonnes et de
Vigneux-sur Seine, pour distribuer des tracts vantant le dialogue
judéo-musulman. Il n'avouera que plus tard, qu'il "se blinde
psychologiquement" mais que "c'est dur".
Un rabbin, un imam, une psy et un
médiateur
Michel Serfaty est une figure de la communauté juive.
Tantôt adoré, tantôt détesté, quand il ne suscite pas la perplexité devant tant
de confiance dans un combat que certains estiment vain et utopiste. Sur le
terrain depuis 2005, il sillonne la France au volant de son bus des années 70
au sigle de son association, l'Amitié judéo-musulmane de France (AJMF), qui
partage les locaux de sa synagogue, et investit les quartiers sensibles. Là
même où les agents des services des renseignements lui conjurent de ne pas
entrer, sous peine d'un incident. Jusqu'en 2012, il était accompagné d'un imam,
Mohamed Azizi, d'une psychologue et d'un médiateur.
Moi seul dans ce milieu, je suis
suspect, je subis le mépris et le dédain."
Son défi, "plus que jamais d'actualité", est de se
faire parler les deux communautés et expliquer les cultures des uns et des
autres pour que les peurs respectives disparaissent.
Son procédé, toujours le même : "On arrête le bus où il est
affiché 'on se ressemble plus qu'il ne semble' devant une maison de quartier,
on se présente en T-shirt, jamais en costume, les gens, curieux, s'arrêtent et
s'engage, alors, la discussion."
Son secret : l'imam. "Il apaise, il rassure. Sa parole est
salvatrice et salutaire. Le dialogue avec les jeunes ne peut se faire que de
manière triangulaire", assure Michel Serfaty.
Il est fier le rabbin des quartiers. Jamais son action
n'a provoqué de violence, tout au moins des "propos sombres" et
quelques menaces. Les insultes ne l'atteignent plus. Des exemples, il en a à la
pelle en mémoire : "Il faut tuer les juifs", "Je ne peux pas
être l'ami des juifs", "je ne peux pas toucher un juif",
entend-il souvent. Quant aux musulmans qui l'entourent, ils sont des
"apostats". "Nous on rigole, on ne tombe pas dans le piège, on
les interroge, l'imam récite quelques sourates du Coran pour rétablir certaines
vérités théologique. C'est arrivé que certains me serrent la main à la
fin", souligne Michel Serfaty mais ajoute :
Nous n'avons pas l'ambition de
changer les mentalités, nous ne sommes pas des magiciens. Le travail que nous
menons est un travail d'une génération. Mais il faut continuer dans cette voie
pendant 40 ans encore".
Culture antisémite
Il invite les mères juives et musulmanes à se
rencontrer autour de la préparation d'un couscous, dans les maisons de
quartiers pour "échanger" et casser les stéréotypes les plus tenaces
des unes sur les autres et vice-versa. "Les mamans de confession
musulmane sont essentielles pour lutter contre le ressentiment anti-juif. Car,
elles-mêmes nous le disent, elles ont éduqué leurs enfants dans le mépris,
voire la haine du juif. Elles le disent avec d'autant plus de naturel, que pour
elles, la culture antisémite est normale, qu'elles ont grandi avec des
préjugés. La présence des responsables religieux que nous sommes, les rassure
et leur permet de s'interroger sur le regard porté sur l'autre. Et puis elles
se rendent compte qu'elles se sont trompées et se demandent pourquoi on leur a
menti."
Il se heurte souvent au débat inévitable sur le
conflit israélo-palestinien. "A ceux qui souhaitent en faire un obstacle à
l'amitié entre juifs et musulmans, je leur répète inlassablement que je ne suis
ni Israélien, ni un soldat de Tsahal. Ce conflit ne nous concerne pas,
il ne fait pas partie de nos préoccupations quotidiennes. Nous ne devons
pas importer le conflit en France."
Une communauté juive "repliée
sur elle-même"
Hyperactif, Michel Serfaty ne se contente pas de
prêcher les valeurs de paix dans les cités. Alors que les actes antisémites n'ont cessé
d'augmenter, il organise des tournois de foot entre juifs,
musulmans, unionistes et protestants, des conférences, des ateliers sur la
discrimination et les préjugés racistes et antisémites, des visites de
synagogues, de mosquées, des expositions, des projections de films, tout en
assurant ses offices à la synagogue, ses cours lorsqu'il était professeur à
l'université de Nancy 2 et ses fonctions au sein du Consistoire.
Depuis deux ans, il a troqué son imposant bus, tombé
en rade, contre un minibus. L'imam Mohamed Azizi n'a pas continué l'aventure,
mais suit de près les actions de son ami. Pour le remplacer, Michel Serfaty a
recruté des jeunes issus de quartiers sensibles, le plus souvent des jeunes
musulmans, qui, en plus de recevoir une formation sur les civilisations
judéo-musulmanes, d'être une force de frappe plus audible dans les cités,
peuvent à leur tour contribuer à apaiser les tensions, une fois de retour chez
eux. Il a bien essayé de recruter des jeunes juifs, mais aucun n'a souhaité
participé à son action. "Je suis revenu de mes illusions." Les
réticences de sa propre communauté, "repliée sur elle-même" et de certaines
mairies à son action ne l'ont pas affaibli. Infatigable, il cherche à faire
signer par le plus grand nombre possible de personnalités politiques et de
dignitaires religieux son "Pacte de Fraternité" destiné encore et
toujours à la promotion du dialogue et la lutte contre le racisme et
l'antisémitisme.
"Nous sommes dans une dynamique qui ne va pas
s'arrêter. L'islam de France est à la recherche d'un nouveau profil. Il existe
un islam
éclairé et intelligent. Peu à peu, c'est une majorité d'imams qui acceptent
dans leur mode de vie la liberté de culte, de religion,
d'expression et la critique textuelle. Il n'y a pas de doute que la haine du
juif dans certains quartiers diminuera, mais elle ne peut pas disparaître
du jour au lendemain, par miracle. Il est hors de question de baisser les bras.
Je ne peux pas m'offrir le luxe d'être pessimiste."
Sarah Diffalah
L'Obs, le 31 janvier 2015