Le
discours actuel des réseaux sociaux palestiniens et libanais indique qu’une
tendance surprenante a émergé au cours des six derniers mois, avec des
conséquences capitales pour la conception de la sécurité d’Israël et les défis
stratégiques qui se dressent devant lui.
La
résistance violente ( muqawama ) menée par le Hezbollah et le Hamas a perdu sa légitimité au sein, respectivement, de la
société civile libanaise et de la société palestinienne. Le Hezbollah et le
Hamas ont été fondés sur le principe de la lutte armée et de
l’action violente, autant comme vision
que comme un moyen de libérer les terres
arabes de « l’occupation sioniste ». Cependant, depuis le
déclenchement du « Printemps arabe », ces deux mouvements ont perdu
l’essentiel de leur pouvoir politique,
c’est-à-dire le soutien de l’opinion publique
arabe, et, plus important
que tout, le soutien intérieur de leurs
populations.
La
stratégie d’usure, par des embardées terroristes tactiques a, en effet, reposé,
depuis 30 ans, sur des complicités communautaires, et le sens du secret
clanique et familial qui, mettait, partiellement, le "martyr"-héros
ou le dirigeant, à l’abri relatif des représailles : on se souvient du
tollé soulevé par l’élimination de tel ou tel chef du Hamas, parce qu’il vivait
et se protégeait, avec l’accord tacite (ou non) de la population que les
voisins, enfants et femmes, lui servaient de "ceinture de sécurité",
de bouclier humain. Ira t-on, à ce point, au sacrifice consenti, en cas de
nouveau conflit, si on ne partage plus la vision du monde des commanditaires,
déclencheurs des représailles ?
Le
soutien massif, la sympathie et l’admiration
qu’ils ont gagnés au cours des trente dernières années, sur le plan intérieur
et dans le monde arabe, s’est dilapidé.
“
L’ennemi de l’Intérieur”
L’un
des résultats les plus évidents du “Printemps Arabe” est le changement d’optique des sociétés civiles arabes, des
problèmes extérieurs vers ceux, plus préoccupants, de l’intérieur – des
politiques étrangères vers les affaires courantes qui agitent ces sociétés -.
La société civile dans le monde arabe exige le redressement des injustices. Le nationalisme et l’Islamisme sont
remplacés par une demande de démocratisation, de droits et de liberté.
Les
sociétés civiles gazaïotes et libanaises, qui ont fait l’expérience de guerres civiles et de luttes
violentes et terroristes contre Israël, ne sont plus avides de
révolutions ou du renversement des structures politiques et sociales en place.
En outre, comme le reflète le discours social des médiaux sociaux, ni les
Palestiniens ni les Libanais ne croient plus dans la lutte violente comme moyen légitime, et capable d’être couronné de succès pour
accomplir leurs réformes politiques, socio-économiques et nationales. L’analyse des courants d’opinion sur les réseaux sociaux, menée sur plus d’un million de Palestiniens (qui représentent
approximativement 35% de la
population palestinienne) et un demi-million de Libanais
(15% de la population), révèle que, pour la première fois, au cours des 30 dernières années,
« l’ennemi de l’intérieur » (le Hezbollah et le Hamas) est conçu comme plus
dangereux que celui « de l’extérieur » (Israël).
La
société civile au Liban, en général, y compris de larges portions de la population chi’ite, manifeste une opposition largement majoritaire à la politique du Hezbollah en Syrie et au Liban.
L’annonce faite par le Président américain Barack Obama, à la fin août, que les
Etats-Unis envisageaient de lancer une frappe militaire contre la Syrie,
a mis en lumière la profondeur de la vague de critiques
contre le Hezbollah, existant dans le pays. De nombreux hommes politiques
libanais ont attaqué la politique de l’organisation chi’ite, et même l’allié du
Hezbollah, Michel Aoun, membre de la
Coalition du 8 mars, a annoncé que, si le Hezbollah intervenait en Syrie,
durant l’attaque américaine, il se retirerait de la coalition –qui, de fait,
serait automatiquement dissoute.
De
nombreuses chaînes de télévision se sont mobilisées pour exercer une pression publique massive sur le Hezbollah,
afin qu’il n’intervienne plus, dans la guerre civile syrienne et de nombreux
commentateurs et interviewés se sont opposés publiquement
à toute action militaire du Hezbollah contre Israël.
Le public a « tourné le dos au Hezbollah »
et certains ont même tweeté que « le Hezbollah est plus
dangereux pour le Liban qu’Israël » .
Effectivement, Israël est devenu marginal dans le discours intérieur libanais,
les trois thèmes principaux étant : a) la guerre
civile syrienne et ses effets sur le Liban, b) la détérioration de la situation sécuritaire et le conflit ethnique libanais ; c) et l’impact intérieur
de l’affaiblissement politique du Hezbollah.
Un
tableau identique s’applique au Hamas dans la Bande de Gaza. La vague des
révolutions dans le monde arabe a conduit à un changement dans le discours
intérieur palestinien : d‘une focalisation sur « Israël, l’ennemi extérieur » au « Hamas l’ennemi parmi nous » ; d’un débat sur la
lutte nationaliste violente à une discussion sur les droits, la liberté et de meilleures conditions de vie. Le discours Internet révèle
que, pour la première fois, depuis la
prise de pouvoir du Hamas, une majorité parmi la population de Gaza rêve de renverser le régime du Hamas. C’est la première
fois que l’opinion publique gazaïote a indiqué que le public perçoit la
politique du Hamas comme une plus grande menace qu’Israël
pour son bien-être et sa sécurité.
L’effondrement
des Frères Musulmans d’Egypte a accéléré ce processus, et a rendu cruellement évident, sans erreur possible, que le slogan « l’Islam est la solution » n’a pas plus entraîné la
prospérité économique, en Egypte que dans
la Bande de Gaza.
Au
contraire, la
situation à Gaza s’est détériorée.
L’armée égyptienne a lancé une offensive sans précédent
contre le Hamas à Gaza, qui vise aussi bien ses cercles
dirigeants, ses tunnels de contrebande
d’armes que ses factions terroristes
qui manœuvrent entre la Bande de Gaza et le Sinaï. Une « zone de sécurité » a été créée entre l’Egypte
et la Bande de Gaza et l’opinion publique, en Egypte, a même commencé à exiger une punition collective à l’encontre de Gaza :
ni carburant, ni gaz, ni nourriture. La frontière passant entre l’Egypte
et la Bande de Gaza est presque complètement fermée (sauf dans les cas
exceptionnels) et les médias d’Etat égyptiens (autant les réseaux sociaux que
la presse), ont déclaré que le Hamas est une « entité
terroriste » et que les Gazaïotes eux-mêmes sont des
« terroristes ». Ils ont même
déclaré que le Hamas et Gaza constituent actuellement un danger pour la sécurité nationale du Sinaï et de
l’Egypte.
“L’ennemi
extérieur"
Une
majorité de la société civile libanaise perçoit actuellement la guerre civile
en Syrie, la dissolution politique de la
Syrie et la consolidation des mouvements radicaux
appartenant à al Qaeda comme les véritables dangers pour la stabilité et la sécurité du
Liban. Pour sa part, le Hezbollah est inquiet pour la survie du régime Assad, la préservation des routes de contrebande d’armes de Syrie vers le Liban, et
des résultats d’un éventuel accord futur en Syrie.
Alors
qu’Israël n’est pas considéré comme une menace immédiate pour la survie du
Hezbollah, un effondrement de l’actuel système en Syrie et l’émergence d’un nouvel ordre qui comprenne les mouvements jihadistes sunnites, en proximité de la
frontière libanaise, mettent directement en péril la sécurité du Liban en général et celle du Hezbollah et de la population chi’ite, en particulier. En
plus de cela, parmi les Chi’ites et les partisans du Hezbollah, la muqawama
("résistance" armée) a été reléguée à la troisième place
de la liste des priorités, derrière l’intervention du Hezbollah
en Syrie et les efforts pour assurer la survie du régime
Assad ; les politiques internes
au Liban et les problèmes liés à la population chi’ite face
aux mouvements du Jihad sunnite. Lorsque le public libanais
parle d’un ennemi extérieur, cela
ne fait, par conséquent, pas référence à Israël.
Certains
Libanais considèrent le régime Assad comme la principale
menace, alors que les autres redoutent les mouvements jihadistes radicaux sunnites, opérant actuellement en
Syrie.
La
vaste majorité du discours social dans la Bande de Gaza concerne, actuellement, l’Egypte et sa politique envers Gaza. Nombreux sont
ceux, sur les réseaux sociaux, qui affirment que la politique de l’armée
égyptienne envers Gaza est plus dure que celle d’Israël.
Le public gazaïote objecte contre les « abus
égyptiens » et les sanctions drastiques
imposées à l’encontre la Bande de Gaza, qui la transforment en une « prison » avec des interruptions longues
d’électricité et, certaines fois, plus d’accès à l’eau potable. On voit souvent
des phrases comme « l’Egypte est
devenue le geôlier de Gaza » et
« ils nous affament et nous punissent »,
sur les réseaux sociaux. La plupart des manifestations, aujourd’hui, dans la
Bande de Gaza, se tiennent sur la frontière de Rafah,
qu’elles soient organisées par le Hamas ou par des Gazaïotes exigeant un
changement. Et, tout comme au Liban, Israël est relégué à la quatrième
place des préoccupations du discours public, derrière : a)
la politique égyptienne envers
Gaza ; b) la détérioration de la situation
économique ; c) la protestation citoyenne contre le Hamas ; d) Israël. Si « l’ennemi
parmi nous » est le Hamas, « l’ennemi du dehors » est l’Egypte, non Israël.
Réforme ou effondrement.
Les
discours intérieur actuel, portant sur ces deux mouvements de muqawama
(« résistance », lutte armée), sur les réseaux sociaux libanais et
palestiniens, suggèrent qu’il n’y a que deux options possibles
pour l’avenir de ces mouvements : réforme et transformation ou
effondrement.
Le
Hezbollah est l’élément qui dispose de la plus grande
puissance militaire au Liban ; la même chose est vraie
pour le Hamas à Gaza, et, par conséquent, aucun
mouvement local, ni milice n’est en mesure d’affronter ces
mouvements pour les renverser directement.
Quoi
qu’il en soit, sans légitimité internationale,
arabe, ni en termes de politique intérieure, ces deux mouvements manquent de puissance socio-économique, et perdent ainsi leur capacité à
exercer une influence politique dans les
zones sous leur contrôle.
Selon
le discours des réseaux sociaux, si des élections avaient lieu, actuellement,
au Liban et dans la Bande de Gaza, ni le Hezbollah ni le Hamas ne
l’emporteraient. C’est la première fois que ce ressentiment
très répandu au sein du public résonne avec force, en même
temps que l’impression que la moindre tentative
de l’une de ces organisations de détourner l’attention
publique de leurs propres faiblesses,
en activant un nouveau cycle de violence contre
Israël, ne ferait jamais que hâter leur
chute.
Est-ce la fin de la Muqawama ?
Le
discours des médias sociaux pointe ainsi
trois conclusions.
La première : les publics gazaïote et
libanais ne croient plus que la lutte armée puisse être un moyen efficace pour réaliser leurs aspirations sociales,
économiques et nationales. Dans le dialogue sur les médias sociaux, une demande sociale de lutte violente contre Israël n’existe plus .
Deux : ces deux mouvements perdent
leur puissance et leur attrait politique.
Les slogans utilisés par le Hamas et le Hezbollah : « L’Islam est la
solution » et « l’Idéologie fondée sur la lutte armée » perdent
à vue d’œil leur légitimité.
Trois : Au bout du compte, ce deux
mouvements devront réviser et réformer
leurs politiques internes et externes. Sans quoi, il est fort probable que leur
popularité continuera de s’effriter
et qu’ils finiront par s’écrouler.
Orit Perlov
Adaptation : Marc
Brzustowski.
Article
original : INSS Insight No. 473, 8 octobre 2013
INSS
The Institute for National Security Studies.