Jean Laloum
Retour
à l'Histoire avec le prochain numéro de “Rencontre”, retour en Algérie, aussi,
pays dont nous n'avons pas parlé depuis un moment. Le sujet sera extrêmement
précis, puisque l'émission a trait à : "La spoliation des biens juifs en
Algérie sous Vichy". Précis comme tout vrai historien, rigoureux et
faisant un travail de recherche et d'enquête pour approfondir des pages du
passé largement méconnues, et justement mon invité correspond parfaitement à
cette description, puisqu'il s'agira de Jean Laloum. Jean Laloum est né à Sétif, en Algérie. Il est Docteur en Histoire, chargé
de cours à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne et chercheur CNRS au sein
du laboratoire Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GSRL, Paris). Le sujet de
la Shoah l'intéresse depuis longtemps, puisque dès 1975, il consacrait son
mémoire de maîtrise à l’activité du deuxième commissaire général aux Questions
juives, Darquier de Pellepoix, étude qui fut publiée quelques années après, en
1979, sous le titre“La France antisémite
de Darquier de Pellepoix”. Son doctorat d’histoire consacré à ce même
sujet, a fait également l’objet en 1998 d’une publication chez CNRS Editions, “Les Juifs dans la banlieue parisienne des
années vingt aux années cinquante”, ouvrage préfacé par le professeur André
Kaspi. Il a publié de très nombreux travaux sur la Shoah, portant notamment sur
le sort de l'enfance juive sous l'Occupation. C'est d'ailleurs pour cela que
nos chemins se sont croisés à deux reprises : d'abord il y a une vingtaine
d'années, à l'occasion de la grande exposition “Le Temps des Rafles” que j'avais eu l'honneur de coordonner sous
la direction de Serge Klarsfeld, il avait traité de la persécution des Juifs
d'Afrique du Nord ; et puis plus récemment, à l'occasion d'une étude historique
qu'il avait écrite, reconsidérant certains récits largement complaisants
touchant à la protection par la Mosquée de Paris, des Juifs sous l'Occupation.
J'avais eu l’occasion de faire référence à son étude en recevant un invité qui
avait fait également un travail rigoureux, Mohamed Aissaoui.
Il y a quelques mois, il m'avait informé de ses recherches en
cours consacrées à la spoliation des biens juifs sous le régime de Vichy, me
suggérant qu’il serait intéressant et opportun que nos auditeurs originaires
d’Algérie soient au courant, et en profiter dans le même temps pour lancer un
appel à contribution, afin de pouvoir accéder aux archives privées et
familiales : c'est donc avec un grand plaisir que j'essaierai de l'aider
par le biais de cette émission.
Parmi les questions que je poserai à Jean Laloum :
-
Quel
était le statut des Juifs là-bas, par rapport à celui défini pour les Juifs de
la Métropole ? Est-ce que le fait que le décret Crémieux ait été aboli
pratiquement tout de suite rendait leur situation pire encore en les privant de
la nationalité française ?
-
Si
on considère les communautés vivant en Algérie pendant la Guerre, il y avait
donc la communauté juive, assimilée aux Européens par le Décret Crémieux et par
la langue et la culture, il y avait les Pieds-Noirs d'origines diverses, et les
Musulmans, qui constituaient la grande majorité de la population : comment
les Pieds-Noirs, d'une part, et les Musulmans, d'autre part, ont-ils réagi face
à cette dégradation du statut des Juifs ?
-
L'entreprise
de confiscation des biens appartenant aux Juifs, dans toute l'Europe pendant la
Guerre, est quelque chose qui est restée méconnue pendant des décennies ; et
cela se comprend, parce que l'horreur de la Shoah ne pouvait qu'occulter ce qui
s'était passé avant. On a eu trop tendance aussi à imaginer que cette spoliation
ne concernait que les appartements des familles déportées, qui étaient
systématiquement pillés, ou que des biens de personnes très riches et qui ont
été volées : en réalité, "l'Aryanisation" a été quelque chose de
systématique, codifié de concert par des lois édictées par le gouvernement de
Vichy et des ordonnances allemandes : pourriez-vous rappeler en quoi cela a
consisté ? Et quelles étaient les fonctions des fameux "administrateurs
provisoires" ?
-
Vous
écrivez dans un article qu'entre le 23 décembre 1941 et le 26 octobre 1942,
soit juste avant le débarquement anglo-américain qui va progressivement libérer
la communauté juive, 494 arrêtés de nomination d'administrateurs provisoires
sont publiés au "Journal officiel de
l'Algérie", arrêtés qui totalisent 2.900 entreprises et biens juifs.
Quant au nombre d'administrateurs provisoires, toujours suivant cette même
source, ils sont au nombre de 384 : Combien parmi eux de Pieds-Noirs et de
Musulmans en proportion ?
-
Dans
un article à paraitre, vous rapportez le témoignage très émouvant de José
Aboulker. José Aboulker, décédé récemment, était un grand résistant, Compagnon
de la Libération, un des artisans de la réussite du débarquement allié en
Algérie. Il vous a témoigné : "Alors
que les Pieds-Noirs se disputaient les biens juifs saisis et vendus, pas un
Arabe n'en a acheté. La consigne en fut donnée dans les Mosquées : les Juifs
sont dans le malheur, ils sont nos frères". Vous, vous dites qu’à
partir d'une compilation d'archives rapatriées en France, que cette affirmation
est à nuancer. En même temps, le nombre d'administrateurs musulmans demeurait
très faible : alors pourquoi ?
Un
sujet très précis, donc, mais fort original, et qui intéressera je l'espère
bien au delà de mes auditeurs originaires d'Algérie !
J.C