Rechercher dans ce blog

09 février 2014

Les chrétiens d'Orient ont payé un lourd tribut aux révolutions arabes



Dans cette terre d’Orient, où est né Jésus-Christ il y a deux mille ans, la présence des chrétiens se réduit comme peau de chagrin. Ils sont autour de douze millions, majoritairement en Egypte (8 millions) et au Liban (plus d’un million). L’exactitude des chiffres est loin d’être garantie, tant l’exode est massif depuis deux décennies et grande la précarité de ces communautés.
 Si leur nombre est aujourd’hui modeste, leur importance symbolique et politique est considérable sur cette terre où sont nés les trois monothéismes et que les conflits, depuis soixante ans, n’ont cessé d’éprouver et de déchirer.
Recevant le 21 novembre à Rome les patriarches orientaux catholiques, le pape François a déclaré: «Je ne me résigne pas à penser le Moyen-Orient sans chrétiens». Ce 25 décembre 2013 sera pourtant un nouveau Noël tragique pour cette communauté des premiers héritiers du Christ, installée dans cette région bien avant l’islam (VIIe siècle), aujourd’hui meurtrie, marginalisée, prise en otage par des forces radicales. Deux ans après le début des révolutions arabes, auxquelles ils avaient participé et accroché leurs espoirs de liberté et de démocratie, les chrétiens vivent une situation d’échec. Leurs rêves de réforme et de pluralisme se sont envolés.
La principale hémorragie remonte à plus loin. En Irak, les chrétiens étaient plus d’un million, à majorité chaldéenne, avant les deux guerres du Golfe. Ils ne sont plus que 400.000 aujourd’hui. La plupart ont émigré en Amérique du Nord et du Sud et en Australie. Ceux qui sont restés, dans un pays toujours écartelé par les affrontements entre sunnites, chiites et kurdes, sont loin d’avoir retrouvé la sécurité. Les réfugiés ne sont pas revenus dans un Irak toujours aussi instable.
En Egypte, en deux ans de révolution, plus d’une centaine d’églises, écoles, centres sociaux et dispensaires, appartenant aux deux Eglises coptes, orthodoxe (très largement majoritaire) et catholique, ont été saccagés. Avant 2011, les coptes subissaient déjà des violences ponctuelles dans les villages ruraux de Haute-Egypte, infiltrés par les groupes islamistes, et en ville.
L’attentat à la bombe qui a frappé une église d’Alexandrie à la Saint-Sylvestre 2010, faisant des dizaines de victimes, avait même été un facteur de mobilisation avant la révolution de la place Tahrir au Caire qui a renversé le régime Moubarak. Au quotidien, les chrétiens sont victimes aussi de discrimination dans l’accès à la fonction publique, à l’armée, à l’université. La construction d’églises est soumise à des procédures longues et humiliantes.

La violence des Frères musulmans

Avec la victoire des Frères musulmans, l’arrivée au pouvoir de Mohamed Morsi et la montée des courants salafistes, ce climat de discriminations et de violences s’est aggravé. L’imposition rapide à toute la société d’un droit musulman a profondément heurté la communauté chrétienne. Les coptes sont entrés dans l’opposition. Ils ont milité pour un changement de régime et le renversement du gouvernement Morsi, en juillet 2013, a été salué dans leurs rangs.
Ils en paient aujourd’hui le prix. Dans les milieux extrémistes, ils passent pour les soutiens d’une armée égyptienne qui a repris le contrôle du pouvoir. Les attaques contre les églises, les écoles tenues par des religieux, ou contre de simples habitations chrétiennes incendiées ou saccagées, ont redoublé.
En Syrie, la communauté chrétienne (8% de la population) est l’une des plus anciennes au monde. Terre de saints, de théologiens, de moines, d’ermites, elle est un élément majeur de l’histoire sociale et de la richesse culturelle du pays. Elle a contribué activement à son développement.
Ses Eglises ont longtemps soutenu le régime alaouite de Hafez el-Assad et de son fils Bachar. Malgré l’absence d’Etat de droit, la laïcité promue par le régime leur paraissait une garantie suffisante contre les risques de stigmatisation et d’explosion communautaire. Si des leaders chrétiens ont participé dès le début à la rébellion syrienne, la hiérarchie des Eglises ne s’est jamais départie de sa loyauté et de sa soumission au régime, malgré l’ampleur de la répression et des exactions conduites par l’armée syrienne. Bachar el-Assad se prévaut d’être le défenseur des chrétiens et des minorités contre les «terroristes».

Otages d'Assad

Trois ans après l’éclatement de cette rébellion et la mort de 120.000 combattants et civils, ce soutien des chrétiens au régime Assad ne les a pas épargnés. Sur les 1,5 million de réfugiés syriens, qui survivent au Liban ou en Turquie dans des conditions de misère épouvantable, on compterait 450.000 chrétiens. Comme hier en Irak —où les chrétiens avaient été aussi longtemps fidèles à Saddam Hussein—, les enlèvements, les massacres, les attaques contre des lieux saints, les menaces d’exil et d’élimination sont devenus monnaie courante.
Depuis avril 2013, on est sans nouvelles de deux évêques, Boulos Yazigi, grec-orthodoxe, et Yohanna Ibrahim, syrien-orthodoxe, enlevés au nord d’Alep, alors qu’ils menaient une mission de médiation pour la libération de deux prêtres kidnappés par des groupes islamistes. En août, c’était au tour du père jésuite italien Paolo Dall’Oglio, figure de la résistance chrétienne au régime Assad, d’être enlevé alors qu’il tentait d’obtenir la libération d’otages syriens et occidentaux à Rakka.
Le groupe islamiste EILL (Etat islamique en Irak et au Levant), le plus violent et le plus sectaire, multiplie les exactions contre les chrétiens syriens, comme il avait commencé de le faire en Irak où il est né. En octobre, 3.000 personnes ont été assiégées dans le village chrétien de Sadad, à une centaine de kilomètres au nord de Damas, où s’est ouvert un nouveau front opposant l’armée aux milices islamistes. Depuis décembres, celles-ci contrôlent aussi la ville chrétienne de Maaloula, à cinquante kilomètres de Damas, célèbre dans tout le monde chrétien parce qu’on y parle encore l’araméen, qui était la langue parlée par le Christ en Palestine. Douze religieuses orthodoxes de Maaloula, de nationalité syrienne et libanaise, ont été enlevées début décembre.

Pris entre le marteau chiite et l'enclume sunnite

Les chrétiens syriens, comme leurs voisins du Liban, également déstabilisés par cette guerre, appellent de leurs vœux les négociations sur l’avenir de la Syrie, qui devraient s’ouvrir en janvier à Genève. Ils ont craint la menace d’attaques aériennes contre le pays, brandie par les Etats-Unis et la France, et approuvé le lancement du processus visant à une destruction de toutes les armes chimiques trouvées sur le sol syrien. Pour le moment, soutenus par le pape François, ils réclament un cessez-le-feu garanti par une autorité internationale.
Selon le chercheur Antoine Basbous, spécialiste des pays arabes, le nombre des chrétiens du Moyen-Orient (environ 12 millions) sera divisé par deux dans sept ans, en 2020. Les chrétiens sont en effet parmi les victimes du choc entre les radicaux des deux camps, sunnite et chiite, qui rivalisent en Syrie, au Liban, en Irak, à Bahrein, au Yémen.
Dans tous ces pays, les chrétiens ont misé sur la coexistence des communautés, passant au besoin des compromis avec les dictatures en place. Ils se sont trompés. Le «croissant chiite» progresse, marqué par une prolifération de partis qui font allégeance à l’Iran. En face, c’est le wahabbisme saoudien qui structure l’axe sunnite. Les révolutions arabes ont échoué. Ni le pluralisme interne, ni l’Etat de droit, ni l’expression des droits élémentaires n’ont progressé. La situation devient de plus en plus explosive et celle des minorités de plus en plus fragile.

Henri Tincq

Slate.fr, 22 décembre 2013