Le roi Abdallah
d'Arabie saoudite reçu par Barack Obama le 29 juin 2010 à Washington.
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Roger L. Wollenberg / Sipa
Le royaume saoudi souhaiterait
"prendre ses distances" avec son allié historique, ne supportant pas
le réchauffement diplomatique entrepris avec Téhéran.
La coupe est pleine pour le royaume saoudi. Pourtant
habituée à la discrétion sur la scène internationale, l'Arabie
saoudite fait désormais publiquement étalage de sa colère à
l'encontre des États-Unis. Dans une intervention d'une rare
intensité, le chef des services de renseignements saoudiens, le prince Bandar
ben Sultan, a indiqué à des diplomates européens que son pays allait prendre
ses distances avec son allié indéfectible. "Le prince Bandar a précisé
qu'il prévoyait de limiter les échanges avec les États-Unis, cela après que ces
derniers se sont montrés incapables de mener une action efficace sur la Syrie
et la Palestine", a indiqué à l'agence de presse
Reuters une source proche du pouvoir saoudien.
Une déclaration d'autant plus surprenante que le
puissant prince, qui a passé 22 ans à Washington en tant qu'ambassadeur, est
considéré comme le plus américain des Saoudiens. Mais elle ne fait que
confirmer l'exaspération actuelle du royaume. Fait sans précédent, Riyad a
refusé vendredi d'entrer au Conseil de sécurité de l'ONU dont il a dénoncé
l'"impuissance". "C'était un message en direction des
États-Unis, pas des Nations unies", a d'ailleurs expliqué le prince
Bandar, selon les diplomates
européens, cités par le Wall Street Journal.
Rétropédalage en Syrie
Plus important soutien financier et armé de
l'opposition syrienne avec le Qatar, Riyad a été particulièrement échaudé par
le rétropédalage de Barack Obama face à Bachar el-Assad, après le massacre chimique de la Goutta. Le
président américain, qui avait promis des frappes punitives contre le régime
syrien, a finalement trouvé in extremis un accord avec la Russie,
qui autorise le démantèlement de l'arsenal de Damas, pendant que la guerre se
poursuit.
Sur le processus de paix israélo-palestinien, les
négociations sont au point mort. Si les Américains ont fait pression pour que
les pourparlers reprennent après trois ans d'interruption, les discussions
butent sur les frontières d'un éventuel État palestinien, tandis que la colonisation s'intensifie.
"Les dirigeants saoudiens ont besoin de rassurer la rue arabe, qui
critique leur passivité et leur complaisance sur ce dossier", souligne le
politologue et consultant Karim Sader (1), spécialiste des monarchies du Golfe.
Changement de ton iranien
Mais au-delà de ces deux dossiers inextricables, il en
est un troisième qui cristallise toutes les peurs du royaume saoudi : le
nucléaire iranien. Le récent changement de ton opéré par Téhéran
a conduit à un réchauffement des relations entre les deux meilleurs ennemis,
Washington cherchant à tout prix une issue diplomatique avec Téhéran, à l'heure
où les États-Unis se désengagent d'Afghanistan. "Or, la main tendue à
l'Iran constitue une ligne rouge pour l'Arabie saoudite", souligne Karim
Sader. "L'hypothèse d'un rétablissement des relations entre Téhéran et
Washington serait un véritable cauchemar pour Riyad."
C'est que la République islamique chiite est le plus
grand rival de la monarchie wahhabite (vision ultra-rigoriste de l'islam, NDLR)
dans la région. Le conservateur royaume saoudi voit d'un très mauvais oeil la
présence à ses portes des mollahs révolutionnaires chiites (donc hérétiques
selon le royaume wahhabite, NDLR), d'autant plus que la province orientale du
Hasa, qui recèle les principales réserves de pétrole de l'Arabie saoudite, est
majoritairement peuplée de chiites, que Riyad n'hésite pas à réprimer.
Le spectre du 11 Septembre
Depuis les attentats du 11 Septembre, dont 15 des 17
kamikazes étaient saoudiens, l'Arabie saoudite a vu sa sphère d'influence au
Moyen-Orient se réduire comme peau de chagrin. L'intervention américaine de
2001 en Afghanistan a mis fin au régime islamique sunnite des talibans. En
2003, Washington est venu à bout en Irak du régime arabe sunnite laïque de Saddam
Hussein. À chaque fois, des pouvoirs profondément hostiles à Téhéran ont été
renversés, permettant l'émergence du "croissant chiite"
Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth.
"Les interventions américaines ont bouleversé les
équilibres de la région en faveur de l'Iran chiite", explique David
Rigoulet-Roze (2), chercheur à l'Institut français d'analyse stratégique
(Ifas). L'Arabie saoudite a vécu son plus grand camouflet lors de la révolte de
2011 à Bahreïn. Face à la montée des revendications démocratiques des manifestants
de ce pays majoritairement chiite, mais gouverné par une dynastie sunnite,
Riyad a réclamé le soutien des États-Unis. Ulcérée à l'idée d'imaginer des
manifestants "manipulés par Téhéran" s'emparer d'une place forte
saoudienne, l'Arabie saoudite s'est chargée elle-même
d'envoyer des troupes mater la rébellion.
Indépendance énergétique
"Ce n'est pas la première fois que les relations
entre Riyad et Washington sont tendues", rappelle Karim Sader. Le
spécialiste du Golfe estime toutefois que la "zone de perturbation
actuelle" s'explique par la "volonté effective des États-Unis de
rééquilibrer sa relation avec l'Iran". "Depuis le 11 Septembre,
l'obsession des Américains est la lutte contre les djihadistes", renchérit
le chercheur David Rigoulet-Roze. "Or, là-dessus, l'Iran peut être un
allié objectif. Au-delà du régime de la République islamique, l'État iranien
pourrait redevenir pour les États-Unis un gendarme potentiel du Golfe, comme à
l'époque du Shah." Est-ce d'ailleurs un hasard si les Iraniens, qui ont
déjà aidé Washington à se débarrasser des talibans en 2001, répètent à l'envi
qu'ils souhaitent inclure les dossiers syrien, irakien ou encore bahreïni aux
négociations nucléaires avec les États-Unis ?
Jusqu'ici, l'alliance pétrole contre protection entre
Washington et Riyad, scellée en 1945 par le pacte de Quincy, garantissait la
sécurité du royaume saoudi. Or, celle-ci est désormais remise en cause par les
formidables réserves de gaz de schiste exploitées aux États-Unis. D'après
l'Agence internationale de l'énergie, les Américains deviendront d'ici quatre
ans le premier producteur mondial de pétrole, dépassant leur allié saoudien.
Mais, si les Américains paraissent à terme pouvoir amplement se passer du
pétrole saoudien, il n'est pas sûr que Riyad, qui continue à acheter des milliards de
dollars d'armement américain en raison de la menace iranienne,
puisse s'émanciper de la protection américaine.
Armin Arefi,
Le Point 23 octobre 2013
(1) Karim Sader publie en janvier
2014 Géopolitique des États du Golfe (éditions Argos).
(2) David Rigoulet-Roze, auteur de L'Iran pluriel (éditions
L'Harmattan) et de Géopolitique de l'Arabie saoudite (éditions Armand
Colin).