La cité des Emirats arabes unis, qui a su endiguer l’épidémie liée au coronarivus, est plébiscitée par de nombreux Français désireux de se soustraire aux contraintes sanitaires.
Une fin d’après-midi à Dubaï, début décembre. Alexandra, Justine, Agathe et Charles, quatre amis entre 25 et 30 ans, dégustent un verre de rosé au bord de la piscine d’un palace. Originaires de Toulon et Saint-Etienne, ils se sont envolés pour l’émirat du Golfe la veille au soir, « sur un coup de tête ». Le fait que la vie soit redevenue presque normale dans la tapageuse cité des Emirats arabes unis (EAU), après un confinement très strict au printemps, a convaincu la petite bande d’aller y passer dix jours de vacances.
« Ciao la France ! », s’exclame Charles, sur un ton goguenard, en piochant dans un plateau de pastèque. « De toute façon, avec le Covid, il n’y a rien à faire, ajoute le jeune homme, qui travaille dans l’immobilier. On a le droit de signer chez le notaire, mais pas le droit de faire de visite. Alors à quoi bon aller au travail ? » Justine, salariée du secteur automobile, confesse le même ras-le-bol à l’égard des restrictions en place en France. « On ne peut plus rien faire, dit-elle, on est comme des enfants privés de dessert. »
Leur gâterie de substitution, c’est donc Dubaï, un refuge, une bulle à l’écart de l’épidémie… ou presque. Les EAU, fédération de sept micro-monarchies, sont épargnés par la deuxième vague qui déferle sur l’Europe et les Etats-Unis. Après un raidissement à la fin de l’été, la courbe de l’infection s’est stabilisée début octobre, avec une moyenne de 1 300 cas par jour pour près de 10 millions d’habitants. Le nombre quotidien de décès, qui avait culminé à 13 en mai, ne dépasse plus la barre des 5. C’est le résultat d’une politique de dépistage massive, d’une discipline collective sans faille et d’un secteur hospitalier de pointe.
Contraintes sanitaires « light »
A Abou Dhabi, la capitale politique des EAU, la quatorzaine reste de rigueur pour tous les nouveaux arrivants. Rien de tel à Dubaï, l’empire du « fun ». Après avoir sacrifié au rite du test PCR à leur descente d’avion, les visiteurs peuvent se précipiter dans les attractions qui font la renommée de la ville : restaurants extravagants, malls labyrinthiques et tours vertigineuses, comme la Burj Khalifa, la plus haute du monde. Seuls bémols à l’impératif hédoniste local : l’obligation du masque en ville, une jauge maximale de huit personnes par table, et l’interdiction de danser et de consommer au comptoir.
Ces contraintes sanitaires light visent à faire redémarrer le tourisme et le commerce de détail, les deux vaches à lait de l’émirat. D’autres mesures ont été adoptées dans cette perspective, comme l’autorisation du concubinage pour les étrangers et l’assouplissement des règles régissant l’achat d’alcool. Dans l’attente des fêtes de Noël, pic de fréquentation traditionnel, cette politique attire une clientèle d’Européens ravis d’échapper aux rigueurs du confinement, dont de nombreux Français.
« Notre pays est devenu une prison à ciel ouvert, une dictature », s’enflamme Amel, croisée à la sortie d’un hôtel cinq étoiles. La trentenaire, qui a perdu son emploi dans l’événementiel durant le premier confinement, n’en pouvait plus de tourner en rond dans son deux pièces de la porte de Bagnolet, à Paris. Avec sa sœur et une amie, elle s’est offert une parenthèse d’une semaine, dans un appartement de 160 m2 avec terrasse, loué 650 euros. « Dubaï démontre qu’on peut continuer à vivre avec le Covid », dit-elle.
A Roissy, des agents « assez relax »
Les règles du deuxième confinement proscrivent en théorie les voyages d’agrément à l’étranger. Mais dans la pratique, la police des frontières de l’aéroport Charles-de-Gaulle fait preuve d’une certaine indulgence, du moins en ce qui concerne les vols vers Dubaï. « Les agents à l’embarquement m’ont paru assez relax, confie Julien, un cadre de l’industrie du luxe parti télétravailler dans l’émirat. Ils interrogeaient les passagers, mais je n’ai pas l’impression qu’ils aient mis des amendes ou qu’ils aient refoulé des gens. »
A l’office du tourisme de Dubaï, on se félicite d’une hausse des arrivées de Français. Au palmarès des marchés sources, l’Hexagone est passé de la 11e à la 6e place entre 2019 et 2020. Les expatriés français installés sur place confirment la tendance et le rôle joué par l’épidémie dans ce regain d’attractivité. « Depuis l’annonce du deuxième confinement, la fréquentation a explosé, on n’a presque jamais aussi bien travaillé », se réjouit Emma Sawko, la fondatrice du Comptoir 102, un concept store, mi-resto bio et mi-boutique de déco, très apprécié des Français.
« Pas mal de compatriotes sont arrivés ces derniers temps, renchérit Rizwan Kassim, le patron de La Cantine du faubourg, la table française la plus courue de l’émirat. Les gens viennent se changer les idées, le temps que le Covid disparaisse en France. Sur la carte du tourisme mondial, Dubaï est la destination qui s’en sort le mieux. » La cohorte « d’influenceurs » français, omniprésents sur Instagram, qui ont récemment élu domicile dans les villas aux murs blancs de Jumeirah, le quartier le plus cossu de la ville, a contribué à ce rebond.
L’eldorado des jeunes des banlieues
Leurs posts ensoleillés, aux centaines de milliers de « like », comme ceux de l’ex-starlette de la télé-réalité Nabilla Benattia, ont drainé de nombreux Français dans la capitale du bling-bling arabe. « Pour les jeunes des banlieues, Dubaï est le nouveau Phuket », dit Rizwan Kassim, en référence à l’île thaïlandaise, couverte de discothèques et de bars, qui a longtemps fait fantasmer les cités de Seine-Saint-Denis. « Il y a d’ailleurs eu quelques débordements, des soirées un peu trop animées », déplore le restaurateur.
Aux côtés des fêtards, la ville attire aussi des consultants nomades, l’ordinateur portable en bandoulière, pour lesquels un visa spécial a été créé. « Les trois heures de décalage horaire avec Paris sont parfaites, dit Julien. Je commence à bosser vers 13 heures et j’enchaîne les Zoom jusqu’à 21 heures Ça permet de sortir le soir et de se coucher un peu tard. » Après avoir coloué un Airbnb avec deux autres télétravailleurs français, une avocate et une chargée de marketing, le quadragénaire s’est installé dans un appart’hôtel avec son fils de 15 ans, dont le lycée a fermé après la découverte d’un cas de Covid-19.
Romain, 35 ans, spécialiste de « business développement », a lui aussi temporairement délocalisé son bureau dans le Golfe. « A Paris, le manque de lien social me pèse beaucoup. Ici, je fais du foot, je mange au restaurant et je me balade dans le désert. Des choses simples, qui paraissent en voie de disparition en France. » Le paradoxe est cocasse. La cité de tous les superlatifs est désormais prisée pour sa normalité. La mégapole du futur joue au conservatoire de la vie d’avant. C’est la dernière ruse de l’increvable Dubaï.
Benjamin Barthe
Le Monde, 11 décembre 2020
Nota de Jean Corcos :
Tout va très vite avec cette maudite pandémie, et de nouvelles restrictions sont tombées maintenant sur les voyages de Français hors de l’Union Européenne. Mais la réalité des expatriés « professionnels » aux Emirats, elle, n’a pas changé.