L'intérieur de la Cathédrale copte du Caire, après l'attentat du 11 décembre
Editorial du « Monde »
Une fois de plus, la violence
islamiste a visé la minorité copte d’Egypte. Malgré l’absence de revendication,
il ne fait pas de doute que l’ignoble attentat commis à l’intérieur de l’église
Saint-Pierre-et-Saint-Paul du Caire, dimanche 11 décembre, est le
fait d’un des nombreux groupuscules djihadistes en guerre contre l’Etat
égyptien depuis le coup d’Etat militaire de 2013, qui avait vu le président
issu des Frères musulmans, Mohamed Morsi, renversé par son ministre de la défense,
le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi, devenu depuis président à son tour.
Mais si les régimes se succèdent, les chrétiens
d’Egypte n’échappent pas à leur condition de boucs émissaires et de cibles de
substitution dans le combat mortifère que se livrent, depuis plusieurs
décennies, l’appareil d’Etat et les franges les plus violentes de la mouvance
islamiste sur les rives du Nil. C’était le cas à la fin des années 1970, lors
de la vague de violence qui culmina avec la mort d’Anouar El-Sadate. Ce fut à
nouveau le cas tout au long des années 1990, durant lesquelles, faute de pouvoir
renverser Hosni Moubarak, les djihadistes s’en prirent aux coptes et aux
touristes. C’est encore le cas dans les années 2010, depuis l’attentat de la
messe du Nouvel An 2011 à Alexandrie (21 morts).
Trois jours de deuil national
Bien qu’elle s’inscrive dans une longue liste,
l’attaque de dimanche se distingue par plusieurs aspects : elle a été
commise à l’intérieur même d’une église à l’heure de la messe dominicale ;
le lieu de culte visé jouxte la cathédrale Saint-Marc, le Vatican des coptes
d’Egypte ; enfin, son bilan est le plus lourd dans la série d’attentats
antichrétiens à ce jour. Pour la première fois également, le chef de l’Etat
égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, a décrété trois jours de deuil national, ce
que son prédécesseur, Hosni Moubarak, s’était bien gardé de faire au lendemain du
carnage d’Alexandrie, le 1er janvier 2011. Le geste est
suffisamment important pour être salué.
Mais cela ne changera pas la donne. Car les coptes ne
sont pas seulement la cible d’extrémistes qui veulent déstabiliser le pouvoir
en le forçant à prendre la défense de la minorité chrétienne, pour mieux le
délégitimer auprès de la majorité musulmane, ils sont les victimes d’une
discrimination quasi institutionnalisée, les privant des plus hautes fonctions
dans l’armée, la justice, la police, bref toutes les fonctions régaliennes,
voire même l’université. Le pouvoir, même anti-islamiste, les considère comme
des « protégés » et non comme des citoyens égaux en droits.
L’une des plus anciennes communautés
chrétiennes
La réforme récente de la loi sur les constructions
d’église n’a fait qu’alléger à la marge la procédure d’autorisation, qui n’a
jamais été appliquée aux mosquées. Autant que les attentats, ces brimades et ce
déni du droit sont à l’origine d’un drame silencieux, moins spectaculaire que
l’attentat de dimanche, mais bien plus grave pour l’avenir de l’une des plus
anciennes communautés chrétiennes du monde : l’émigration en masse vers l’Europe,
l’Amérique du Nord ou l’Australie.
Pour venir à bout de décennies de préjugés qu’il a
lui-même encouragés, le pouvoir égyptien doit s’atteler à traiter les
chrétiens, comme tous leurs compatriotes musulmans d’ailleurs, en citoyens et
non en sujets. Seule une société forte sera à même de combattre l’extrémisme en
Egypte. Pour cette raison, le projet de loi récent mettant l’ensemble des ONG
sous la tutelle de l’Etat ne va pas dans le bon sens.
Le Monde, 12 décembre 2016