L'écrivain algérien Rachid Boudjedra
Le célèbre écrivain algérien Rachid
Boudjedra, auteur de "L’escargot entêté", a clamé haut et fort son
athéisme sur le plateau d’une télévision populaire algérienne. Un aveu qui a
enflammé la Toile et les conservateurs de son pays.
Rachid Boudjedra a fait son coming out laïc. Invité le
3 juin sur le plateau de l’émission "Mahkama" (Tribunal), sur Echourrouk
TV, une chaîne de télévision privée algérienne conservatrice,
l’écrivain algérien francophone a
avoué, face caméra, ne croire ni en Allah ni en Mahomet.
"Au nom de ma mère, je jure de dire la vérité,
toute la vérité. Je ne crois pas en Dieu, ni en la religion musulmane, je ne
crois pas en Mahomet comme prophète (…) ", énonce-t-il de but en blanc,
avant de qualifier Mahomet de "révolutionnaire". "Si je devais
choisir une religion, ce serait le bouddhisme pour son pacifisme",
ajoute-t-il avec aplomb face à la présentatrice. Il affirme ensuite que de
nombreux autres Algériens "sont athées, mais n'osent pas l'afficher par
peur de l'opprobre de la société", ajoutant qu’il "préfère être un
athée sincère qu’un musulman hypocrite".
Ces propos pourraient lui coûter cher. L'islam est religion d'État en Algérie et la loi
prévoit une peine d'emprisonnement de trois ans à cinq ans contre
"quiconque offense le prophète, et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme
ou les préceptes de l'islam".
Héraut de la liberté ou mal incarné
En faisant de tels aveux - en arabe dialectal et sur
une chaîne populaire en Algérie - l’auteur de "L’escargot entêté"
s’est surtout livré à la vindicte populaire. Le prédicateur salafiste
Abdelfattah Hamadache, qui avait déjà émis une fatwa contre l'écrivain algérien
Kamel Daoud, a aussitôt demandé que Rachid Boudjedra ne soit pas enterré avec
les autres musulmans.
Sur les réseaux sociaux, ses propos ont eu un effet
retentissant et dès la diffusion de la bande annonce de l’émission, la Toile
s’est emballée. Insultes et menaces se sont multipliées sur Facebook et Twitter
et autres forums en ligne. "Tu ne m’évoques que colère. Tu es le visage du
diable", s’insurge en arabe un internaute offensé dans un commentaire
posté sous la vidéo Youtube de l’émission.
"Pourquoi on ne tue pas ce sanglier athée ?", menace un autre.
Pour autant, l'ancien consultant du ministère des
Affaires religieuses Adda Fellahi pense que l'écrivain est libre, et que ses
propos relèvent de sa liberté de conscience et d'expression garanties par la
loi algérienne et la Constitution. De nombreux défenseurs de la liberté
d’expression et de la laïcité ont également pris la défense de leur héraut,
saluant le courage de celui qui est le premier à prendre une telle position sur
une chaîne de télévision.
"Au nom de tous les athées, en Algérie ou
ailleurs, je salue ta bravoure et ta clairvoyance face à ces imposteurs du ciel
qui ont perdu toute raison tout en croyant avoir raison !", écrit un
certain Kacem Madani sur un forum du journal algérien "de débats et
d’idées", " Le Matin". Sur Twitter, les supporters de
Rachid Boudjedra sont légions.
D'ou vient Rachid #Boudjedra
? l'homme qui ne croit pas au dieu!!!! Quand la liberté d'expression franchit
toutes les limites....
— feriel
(@feryalo) 3 Juin 2015
Rachid Boudjedra, écrivain,communiste, proclame son
athéisme,en arabe, à la TV algérienne. BRA-VO ! #courage
#laïcité http://t.co/mIG4VhnnlI
— Mehdi
Ouraoui (@mehdiouraoui) 4 Juin 2015
Une génération d’intellectuels émancipés
Critique virulent des islamistes, Rachid Boujedra n’a
jamais caché ses convictions. En 2006, il affichait déjà clairement ses prises
de positions. "Je suis athée et communiste (...). Je ne suis pas contre
l’islam. J’ai été élevé dans une famille musulmane. La violence intégriste a
encore accentué mes convictions. Avant, j’écrivais un roman tous les trois ans,
le terrorisme m’a poussé à écrire un roman chaque année, une autre manière de
lutter contre ces criminels", avait-il déclaré lors d'une conférence-débat
à Bouzguen.
À l'instar de nombreux intellectuels, ce militant
nationaliste qui a participé à la guerre d'indépendance de son pays, a subi
menaces et pressions de la part des islamistes lors de la décennie noire de
guerre civile, dans les années 1990. De nombreuses personnalités algériennes,
comme l’écrivain Kateb Yacine, décédé en
1989, ou le chanteur Matoub Lounès, assassiné en
1995, avaient, à l’époque, affiché ouvertement leur athéisme. Mais cela c’était
avant, avant la force de frappe des réseaux sociaux et l'islamisation
progressive de l'Algérie.
Sarah Leduc
France 24, 5 juin 2015
Nota de Jean Corcos :
Certains de me lecteurs seront sans doutes étonnés de me voir reprendre un article publié il y a déjà un an et demi. Mais il ne s'agit pas à proprement parler d'actualité, mais d'une information hélas toujours récurrente et insuffisamment reprise par nos médias : non, la liberté de conscience n'existe toujours pas à une heure d'avion de la France ; non, la "démocratie formelle" acceptée depuis plusieurs années au Maghreb et qui permet le pluripartisme, des journaux à peu près libres et des débats publics, n'intègre toujours pas ce qui reste un tabou en terre d'Islam : ici l'athéisme, en Tunisie et au Maroc l'homosexualité qui reste un délit comme l'ont rappelé des affaires récentes. Encore un sujet à évoquer dans une future émission !