Philippe de Villiers
En promo pour son livre, le président
du Mouvement pour la France écume les plateaux avec ses théories les plus
folles sur l'islam. Et notamment une future «partition du territoire», qui
serait admise par une partie de la classe politique, dont Hollande et Valls…
Décryptage de ses «preuves».
Intox
On l’a entendu sur des médias de la fachosphère,
Boulevard Voltaire ou TV Liberté. Une pub pour son livre apparaît plein écran
dès qu’on se connecte à Fdesouche. Normal. Mais il a aussi pris le micro
sur LCI, Europe 1, RTL… Ces dernières semaines, Philippe de Villiers
a écumé les médias pour la promotion de l’ouvrage les Cloches
sonneront-elles encore demain ?, best-seller catastrophiste sur
la menace de l’islam (évidemment «incompatible avec la République»), qui
préconise une remigration d’une partie des immigrés vers leur pays d’origine,
sur fond d’analyses parfois délirantes. Désintox est déjà revenu récemment sur un des
aspects du discours de Villiers, consistant à fantasmer un «plan secret des
élites» visant la submersion migratoire de la France… à partir d’un rapport
de l’ONU datant d’il y a quinze ans, parfaitement public. Même Martial Bild,
ex-cadre du FN et patron de Liberté TV (la chaîne de la «réinformation»), s’est
senti obligé lors d’une interview mi-octobre de suggérer à Villiers qu’il
frisait le complotisme. «Est-ce crédible ?» Mais Villiers
est reparti de plus belle. Oui, il y a une «conjuration».
Car sa thèse est que cette planification par les
élites mondialisées (à la solde de «firmes post-nationales» ou «anationales»)
rencontre en France le dessein des salafistes et des Frères musulmans,
lesquelles échafaudent un plan de partition du territoire national et préparent
un «nouvel Edit de Nantes», qui prévoit de sceller le partage du
territoire hexagonal entre religions. Dans son livre, Villiers affirme que la
liste des villes ou enclaves qui, bientôt, tomberont sous la charia (avec
lapidation pour adultère, voile obligatoire, etc.) est prête, et il les
cite : Marseille, la rue Jean-Pierre-Timbaud à Paris, Roubaix, Trappes
(Yvelines). Et ce plan, répète-t-il à tous les micros, a été admis par la
classe politique française, au moins par une partie d’entre elle. Villiers sur LCI : «Dans
mon livre je publie une chose épouvantable, qui devrait attirer l’attention.
C’est le futur Edit de Nantes. Les salafistes et les Frères musulmans se
vantent d’avoir obtenu de la classe politique, ou de certains d’entre eux,
l’idée de faire signer le jour venu la partition du territoire, c’est-à-dire la
grande concession territoriale. C’est-à-dire qu’il y aura des territoires qui
seront concédés où il y aura des tribunaux islamiques et où on pourra pratiquer
la charia.» Sur Europe 1 : «Selon les services de
renseignement, la classe politique se prépare, en tout cas, une partie d’entre
elle, à signer le jour venu un nouvel Edit de Nantes, au terme duquel il y aura
une grande concession du territoire national où il y aura des bouts de France
qui seront soumis à la charia.»
Désintox
La thèse d’une partition de l’Hexagone entre les
musulmans et les autres est une idée qu’on retrouve plutôt dans la fachosphère,
comme le dénouement inéluctable (subi ou parfois souhaité) de la guerre des
religions qui ne manquera pas d’arriver en raison de la «conquête musulmane».
Le site d’extrême droite Riposte laïque a par exemple édité l’an passé un livre
de fiction mettant en scène cette France scindée, le tiers sudiste de
l’Hexagone ayant été cédé aux musulmans qui y ont fondé une république
islamique, les deux tiers du Nord demeurant un Etat laïc. A en croire Villiers,
les salafistes et Frères musulmans (que Villiers confond allégrement dans cette
affaire) théorisent eux aussi, à leur manière, cet objectif de partition.
L’ex-eurodéputé affirme tenir son information des services de renseignement. Et
prétend dans chaque interview que son livre contient des documents qui en
attestent. C’est faux.
En fait, le seul document émanant du renseignement que
cite Villiers dans son livre est une note du service central du renseignement
territorial (SCRT) en date du 29 décembre 2015, qui se présente comme un
état des lieux des «implantations associatives salafistes sur le territoire
national» et des «actions engagées vis-à-vis des lieux de culte se
revendiquant du salafisme ou déstabilisés par une mouvance radicale».
Villiers cite deux extraits du document à propos de deux mosquées salafistes
marseillaises (Consolat et Air bel). Et ces deux extraits, noyés dans sa prose
complotiste, sont censés illustrer le fait que «la Ville de
Notre-Dame-de-la-Garde est prête pour le grand passage…»
Cette note, que Désintox a pu lire, ne dit rien de
tel, évidemment. Elle visait, selon une bonne source, à recenser à la demande
du ministère les lieux sous influence salafiste (124 lieux de cultes y
sont dénombrés) ainsi que les actions menées dans le cadre de l’état d’urgence.
Ce n’est pas un hasard si deux mosquées marseillaises que cite Villiers dans le
livre ont été perquisitionnées quinze jours après publication de la note (ce
dont Villiers ne dit pas un mot). Pour le reste ne contient aucune mention de
ce «nouvel Edit de Nantes» ni d’un quelconque projet des salafistes de
scission de parties du territoire.
Désintox a interrogé une source haut placée du
renseignement ayant accès à l’ensemble des notes du renseignement territorial.
Sa réponse : «Aucune mention d’un Edit de Nantes ou d’une partition
globale du territoire ne figure dans les notes du renseignement territorial,
que ce soit au niveau local ou central.» Une source du renseignement
de Marseille, où se concentrent une part non négligeable des salafistes en
France, manifeste la même incrédulité devant cette thèse : «Il y a des
quartiers sur lesquels les salafistes essaient d’avoir une emprise. Des
quartiers dans lesquels il y a une pression pour obliger les femmes à se
voiler, notamment le vendredi par exemple. Des incitations à sortir des enfants
des écoles publiques. Il y a eu des prêches violents, même si c’est
beaucoup moins le cas car ils savent que tout est beaucoup plus surveillé. Mais
tout cela reste extrêmement sectorisé. Mais je n’ai jamais entendu parler de
cette histoire de partition.»
Mais Villiers ne se contente pas de donner corps – sans
la moindre preuve – à un projet de concession territoriale qui
verrait des villes entières basculer sous la charia… Il affirme tranquillement
que la classe politique s’est faite à l’idée de l’avaliser. Il n’allait pas si
loin dans son livre. On y lit : «Selon le renseignement, les
salafistes imaginent un "nouvel édit de Nantes" […] qui
accordera des places fortes – autant dire des cités – à l’islam
intégral : il s’agira d’une partition du territoire. Que feront nos dirigeants
du moment, quand ils se trouveront face à la revendication ultime de cette
sécession pacifique ? On sait ce que leurs aînés ont fait. Ils se sont
inclinés. A chaque demande, ils ont cédé. Alors les dirigeants du moment feront
de même. Ils signeront. Ils signeront la grande concession.» Villiers
posait la question de l’attitude des responsables politiques français quand
cette demande de (supposée) partition leur sera posée, et anticipait (dans un
délire fictionnel) une reddition en rase campagne.
Mais lors des interviews promotionnelles, pris par une
forme d’auto-emballement complotiste, l’ex-eurodéputé affirme désormais que la
classe politique, au moins en partie, s’est faite à l’idée de signer ce plan,
et se prépare à le mettre en œuvre le jour venu. Sur Europe 1, il dit :
«Selon les services de renseignement, la classe politique se prépare.» Sur
LCI : «Les salafistes et les Frères musulmans se vantent d’avoir
obtenu de la classe politique, ou de certains d’entre eux, l’idée de faire
signer le jour venu la partition du territoire.» La reddition, de
fictionnée devient vérité. La compromission des élites, d’anticipée, est
maintenant actée. On nage dans le complotisme le plus crasse.
Sur Europe 1, les intervieweurs ont quand même un
peu tiqué : «On est dans le grand complot ! Qui va signer
ça ?» Mais le propre de celui qui croit au complot est toujours
de trouver quelque chose (y compris n’importe quoi) qui vient étayer son
complot. «Attendez ! a ainsi répondu Villiers. Vous auriez
pu me dire c’est un complot il y a deux jours. Mais maintenant vous ne pouvez
plus me le dire parce que, dans son livre, François Hollande dit une chose
stupéfiante qui montre qu’il a lu le même rapport que moi, qu’il l’a eu sous
les yeux. Il dit ceci : "Comment peut-on éviter la partition ?
Car c’est quand même ça qui est en train de se produire, la
partition."» Dans l’interview (surréaliste de complaisance)
accordée à l’hebdomadaire Valeurs actuelles, Philippe de Villiers
dégaine la même «preuve». Question des journalistes : «François
Hollande, lorsqu’il évoque, dans le livre de confidences aux journalistes du Monde,
la "partition", envisage-t-il de céder ces fameux territoires ?» Réponse
de Villiers, servi sur un plateau : «Oui. Il a eu sous les yeux le
fameux rapport que je viens d’évoquer. Il confie aux journalistes, avec
gravité : "Comment peut-on éviter la partition ?"»
Évidemment, la preuve brandie est à l’image de la
thèse. Elle se dégonfle en un clic. Il suffit de lire le passage du livre de
Gérard Davet et Fabrice Lhomme,« Un Président ne devrait pas dire ça », où
Hollande évoque une «partition» pour y constater que le Président
ne parle nullement de partition territoriale. Voilà (avec l’aimable
autorisation des auteurs et de l’éditeur Stock), les pages concernées :
© Editions Stock, 2016.
Hollande évoque son inquiétude face au «vivre
ensemble» menacé. Il diagnostique une partition de la France, non pas en deux,
mais en trois : la France «je suis Charlie», la France «je ne suis pas
Charlie» et le FN. Ces trois France, explique Hollande, doivent recommencer à
se parler, il faut redonner un lien, sinon c’est la partition qui menace. C’est
une «partition idéologique», explique Fabrice Lhomme, «pas une
partition ethnique ni encore moins territoriale»… Mais peu importe l’avis
du journaliste qui a recueilli les propos : Villiers tient la preuve que
Hollande se prépare à des concessions de territoires…
D’ailleurs, fort de cette imagination, Villiers a
aussi trouvé une «preuve» du complot en marche dans la bouche de Manuel
Valls. Voilà ce que déclarait Villiers lors d’une interview : «Cette
phrase en privé de Hollande [sur la partition, donc] rejoint une
affirmation de Manuel Valls qui a dit hier : "L’islam a sa place en
France."» Et Villiers de poursuivre : «L’Islam a sa place. Sa
place. Sa place forte. Ses places fortes. Voilà ce qui se prépare.» Et
revoilà, à partir de la déclaration la plus commune que puisse faire un élu une
nouvelle preuve de la «partition territoriale» qui arrive. Pour le complotiste,
tout est signe…
Que ces élucubrations aient été assénées devant les
internautes de la fachosphère est sûrement navrant. Qu’elles l’aient été devant
des centaines de milliers d’auditeurs sur des radios nationales est plus
préoccupant. Au moment où on déplore l’avènement de l’ère de la «politique post-vérité»,
où on s’inquiète de la crédulité des citoyens, de la viralité des intox, on
peut se poser quelques questions en voyant les médias, à la queue leu leu,
ouvrir grand leur micro au complotisme décomplexé de Philippe de Villiers,
fut-il auteur à succès.
Cedric Mathiot,
Liberation, 18 novembre 2016