Alep après un bombardement de l'aviation gouvernementale
Le régime syrien a atteint un niveau de «délabrement» sans précédent: c'est le constat dressé par le chercheur Tobias Schneider dans une analyse publiée au mois d'août. La plupart de ses soldats sont devenus des seigneurs de guerre vivant du racket et des trafics, ses unités d'élite sont décimées, sa capacité à mener des frappes aériennes est limitée. Les grandes offensives contre les rebelles syriens sont donc effectuées par les forces iraniennes, les milices étrangères chiites et l'armée russe. Soutenu à bout de bras par des alliés qui prennent leurs décisions entre eux, le régime Assad joue encore un rôle de symbole, mais il n'a plus les moyens d'être le «rempart contre le terrorisme» que voient en lui certains de ses soutiens.
«Depuis le début du conflit, toutes les unités de
l'armée syrienne n'ont pas été engagées. Les unités sunnites ont été maintenues
dans les casernes. Seules les unités d'élite ont été engagées, massivement, dès
le début. Elles ont subi des pertes considérables entre 2011 et 2013. Le régime
est donc en crise d'effectifs dès 2013, ce qui explique l'arrivée du Hezbollah,
des milices chiites irakiennes, puis l'engagement accru de l'Iran, puis les
Afghans, les Pakistanais et enfin l'intervention russe. L'aviation est
entretenue par les Russes avec l'aide de l'Iran, et peut-être des pilotes
étrangers. Le problème du régime, c'est qu'il n'a quasiment plus d'infanterie:
toute l'infanterie est étrangère. Sans ce soutien étranger, il serait peut-être
tombé dès 2013, et en tout cas son avenir aurait été beaucoup plus incertain» explique Stéphane Mantoux, agrégé
d'histoire et observateur du conflit syrien sur son site Historicoblog.
Il nous a aidé à comprendre qui se battait aux côtés
de l'armée d'Assad.
L'Iran, premier soutien du régime
Assad
Dès 2012, l'Iran vole au secours du régime syrien, par
l'intermédiaire du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (Pasdaran),
une force paramilitaire directement contrôlée par le Guide de la Révolution, le
plus haut responsable politique et religieux en Iran, Ali Khamenei. Ce sont
leurs forces spéciales, les forces Al-Qods qui interviennent d'abord en Syrie.
A partir de 2015, l'Iran engage des unités régulières des Gardiens de la
Révolution Islamique. Début 2016, Téhéran envoie pour la première fois des
unités de son armée régulière. En tout, l'Iran a engagé des milliers de
soldats, dont au moins 450 sont morts au champ de bataille.
«La présence de l'Iran est liée à un impératif
stratégique: maintenir l'alliance qui existe de puis 1979 avec le régime
syrien, qui a permis à l'Iran de bâtir des proxys à l'extérieur de son
territoire, c'est à dire des groupes soutenus par lui, comme le Hezbollah au
Liban. Ça leur permet de maintenir un cordon d'approvisionnement en armes et en
matériel vers le Hezbollah via la Syrie, et de soutenir un allié historique
dans la région», développe
Stéphane Mantoux.
Le soutien de l'Iran est crucial pour le régime
syrien. Il achète du pétrole et fournit des armes à Damas, assure la formation
des principales milices pro-régime, et coordonne leurs efforts militaires.
Téhéran aurait notamment contribué à l'entraînement d'une des brigades
pro-Assad les plus importantes, Liwa Abou al-Fadhal al-Abbas, majoritairement
irakienne, et des Forces de Défense Nationales, une force paramilitaire créée
en 2012 par le gouvernement syrien.
«Quand les
rebelles ont percé à Alep à l'été 2016, c'est l'Iran qui a fait venir une unité
d'élite du Hezbollah, la milice irakienne Harakat Hezbollah Al-Nujaba, et qui a
mobilisé des miliciens afghans. Parmi les morts côté régime, il n'y avait
quasiment que des étrangers: des Iraniens, des Irakiens et des Afghans», précise l'historien.
Le Hezbollah libanais: un engagement
inédit
Le Hezbollah, milice islamiste chiite libanaise et
proche allié de l'Iran, est présent en Syrie depuis l'automne 2012. Il
s'illustre notamment en mai 2013, dans le cadre de la bataille d'Al Qusayr,
près de Homs. Environ 10.000 de ses combattants auraient transité par la Syrie
et plus un millier ont été tués. L'organisation cherche, tout comme l'Iran, à
rallier les chiites de Syrie, via un discours qui assimile l'ensemble des
rebelles syriens (sunnites) aux djihadistes de l'EI ou d'Al-Qaïda. Pour
Stéphane Mantoux:
«Le Hezbollah est à un niveau d'engagement jamais vu
pour lui sur un théâtre extérieur. Il est là pour préserver son corridor
d'approvisionnement (en armes et en matériel) avec l'Iran par la Syrie.»
Les brigades afghanes et
pakistanaises recrutées par l'Iran
Pour appuyer le régime syrien, l'Iran a supervisé la
constitution d'un bataillon formé d'Afghans chiites persanophones (hazaras). La
plupart sont des réfugiés installés en Iran. Dès 2013, ils sont aperçus au sein
de milices pro-régime. A partir de 2014, le régime iranien promet un salaire
mensuel de 500 dollars et le droit de résidence en Iran à ceux qui acceptent de
combattre en Syrie. Certains sont recrutés de force. Peu après, une milice
afghane pro-régime baptisée Liwa Fatemiyoun («la brigade des Fatimides») est
constituée. La force Al-Qods a également recruté des Hazaras en Afghanistan, au
Pakistan et en Syrie. Aujourd'hui, la brigade comptabiliserait entre 5 et
10.000 hommes.
«Les Afghans servent de 'chair à canon' , ils sont là
pour faire du nombre et éviter que les troupes d'élite pro-régime (Iraniens et
Hezbollah) aient trop de pertes. Il s'agit de faire des économies au niveau des
troupes.»
Liwa Fatemiyoun possède son pendant pakistanais, Liwa
Zainebiyoun. Cette milice se forme à partir de novembre 2014. Ce sont
principalement des chiites Pakistanais vivant en Iran, recrutés dans les mêmes
conditions que les Afghans. Une minorité se sont rendus directement en Syrie
depuis le Pakistan, bien que l'armée iranienne décourage ce type d'initiatives.
Ils sont plusieurs centaines à combattre en Syrie.
La Russie et sa logique de puissance
Les premiers indices d'un engagement russe en Syrie
apparaissent en août 2015. En septembre 2015, la Russie déploie son aviation et
effectue ses premières frappes. En novembre 2015, Moscou expédie des armes et
du matériel (chars, missiles, véhicules...) au régime syrien, tout en déployant
des conseillers militaires et des fusiliers marins. En mars 2016, Vladimir
Poutine reconnaît officiellement que des troupes russes sont présentes au sol
sur le théâtre syrien. En août 2016, des indices pointent vers la présence de
forces spéciales russes et de mercenaires, dont la présence n'est pas
officiellement reconnue par Moscou. Mais les manifestations les plus visible de
l'intervention russe sont les bombardements aériens qui ont causé de nombreuses
pertes civiles (estimées à environ 3500 morts), dans des conditions contraires
au droit de la guerre.
A Alep, une zone densément peuplée de civils, la
Russie utilise notamment des armes thermobariques, des «bunker busters» et des
bombes à sous-munitions, avec des conséquences dévastatrices. Pour Stéphane
Mantoux, les intérêts russes sont multiples:
«La Russie poursuit plusieurs objectifs. Au niveau
régional, elle veut maintenir son alliance historique avec le régime syrien,
conserver une position stratégique au Moyen-Orient (notamment via sa base
navale de Tartous) et, si possible, y accroître son influence. Sur le plan
international, Vladimir Poutine ne veut pas pas réitérer l'erreur qu'il a faite
avec Kadhafi en Libye: en 2011, les frappes aériennes de l'OTAN, autorisées par
la Russie, avaient conduit à la chute d'un de ses alliés. Cette intervention
répond également à des objectifs de politique intérieure: détourner l'attention
de la mauvaise situation économique en Russie, souder la population par une
intervention extérieure, soutenir les ventes d'armes et affirmer la puissance
russe.»
Les milices chiites irakiennes : de
la lutte contre l'armée américaine à la défense du régime syrien
A partir de 2006-2007, l'Iran forme et finance des
milices et des partis politiques chiites irakiens, surnommés «groupes
spéciaux». Ils sont utilisés par Téhéran comme relais d'influence en Irak. Ils
combattent l'armée américaine et adhèrent (tout comme le Hezbollah) à
l'idéologie du régime iranien, le Velayat-e faqih: l'établissement d'un
gouvernement islamique chiite dirigé par un guide suprême religieux. Parmi les
les plus impliquées en Syrie, on peut citer l'organisation Badr, Asa'ib Ahl
al-Haq, Kata'ib Hezbollah et bien d'autres. A partir de 2013, ces milices ont
envoyé des milliers d'hommes combattre en Syrie aux côtés du régime Assad, soit
sous leur propres couleurs, soit au sein de groupes «paravents» créés
spécialement pour l'occasion, comme Liwa Abou Fadl al-Abbas ou Harakat Hezbollah
al-Nujaba (qui s'est depuis émancipé).
Pour mobiliser les combattants, ces groupes armés ont
mis en avant la défense des lieux saints chiites en Syrie. Le principal est le
mausolée de Zeinab: situé à Sayyida Zeinab, dans la banlieue sud de Damas,
c'est un haut lieu de pèlerinage pour les chiites.
Mais ce discours s'est progressivement durci: défense
de l'ensemble des lieux saints chiites, puis défense de tous les chiites face
aux sunnites (ce que des chercheurs comme Phillip Smyth appellent
«pan-chiisme»). Par ailleurs, les milices chiites irakiennes reprennent les
éléments de propagande du régime syrien et de ses alliés. Les rebelles syriens
opposés à Bachar el-Assad, sont dépeints comme uniformément djihadistes. Le
conflit est parfois présenté comme un complot occidental conçu pour
déstabiliser le gouvernement syrien avec l'aide d'al-Qaïda et de l'EI. Enfin,
les milices se revendiquent d'un «axe de résistance» incluant l'Iran et le
régime syrien, opposé aux États-Unis, à Israël et à leurs alliés.
Mise à jour: Plusieurs groupes armés irakiens combattant pour
Assad en Syrie affrontent également l'EI en Irak. Le 13 juin
2014, face aux avancées de l'organisation terroriste en Irak, l'ayatollah Ali al-Sistani appelle
à la mobilisation des chiites. Deux jours plus tard, le gouvernement irakien
met en place les «Unités de Mobilisation Populaire» (Hachd
al-Chaabi) une force paramilitaire composée de milices, majoritairement
chiites, pour combattre l'organisation djihadiste. Les Hachd
al-Chaabi participent actuellement à la bataille de Mossoul. La brutalité
des milices chiites (et parfois de l'armée) envers les civils sunnites préoccupe vivement les
organisations de défense des droits de l'homme.
Antoine Hasday
Slate.fr, le 21 octobre 2016
Nota de Jean Corcos :
L'actualité va très vite, et en Syrie peut-être encore plus. Cet article date de quelques semaines, et ces derniers jours on annonce d'importants succès de l'armée gouvernementale à Alep. Mais ceci n'enlève rien à la véracité des éléments exposés ci-dessus : c'est grâce aux aides étrangères que le régime est en passe de gagner cette guerre.
Nota de Jean Corcos :
L'actualité va très vite, et en Syrie peut-être encore plus. Cet article date de quelques semaines, et ces derniers jours on annonce d'importants succès de l'armée gouvernementale à Alep. Mais ceci n'enlève rien à la véracité des éléments exposés ci-dessus : c'est grâce aux aides étrangères que le régime est en passe de gagner cette guerre.