Partisans de Michel Aoun, Beyrouth, 31 octobre 2016 (photo AFP)
Le désinvestissement de l’Arabie saoudite vis-à-vis du
pays du Cèdre a facilité l’accession à la fonction suprême de l’ancien général,
soutenu par le mouvement chiite Hezbollah.
L’élection de Michel Aoun à la
présidence du Liban, entérinée lundi 31 octobre par la Chambre des
députés, est dans l’air du temps au Proche-Orient. L’ancien général est
soutenu par le Hezbollah, le mouvement chiite engagé militairement en Syrie, au
côté du régime de Damas. La victoire de M. Aoun reflète l’équilibre des forces
régionales, actuellement favorable à l’Iran et à ses alliés, principalement le
régime syrien. Ce n’est pas une surprise que M. Aoun soit élu au moment où les
troupes loyales au président Bachar Al-Assad engrangent les succès face aux
brigades rebelles et djihadistes. Rares sont les voix dans la communauté
internationale à insister encore sur un départ immédiat de M. Assad, qui,
en 2012 et 2013, était donné pour mort politiquement.
Pour autant, l’arrivée de M. Aoun à Baabda, siège de
la présidence libanaise, ne signale pas une victoire par KO de « l’axe de
la résistance », le surnom que Téhéran et ses partenaires se donnent. Sa
contrepartie, sur le papier du moins, est l’accession au poste de premier
ministre de Saad Al-Hariri, chef de file du camp sunnite, pro-saoudien et
pro-occidental. La perspective d’un retour au pouvoir de cet ennemi intime de
M. Assad, qu’il soupçonne d’avoir ordonné l’assassinat de son père, Rafik
Al-Hariri, en 2005, n’est pas une bonne nouvelle pour Damas. De nombreux
partisans au Liban du président syrien auraient préféré que la présidence
revienne à Sleiman Frangié, petit-fils de Soleimane Frangié (chef de l’Etat
dans les années 1970) et intime de M. Assad, qui était en lice contre M. Aoun.
L’accession de ce dernier à la magistrature suprême
est d’abord le produit d’une décision personnelle de M. Hariri. Après s’y êtreopposé
pendant deux ans et demi, ce dernier, à court d’alternative, s’est résolu à endossé
la candidature de l’ancien chef de l’armée libanaise. La volte-face de
l’ex-premier ministre, qui va à rebours des intérêts de l’Arabie Saoudite,
persuadée que M. Aoun est un relais de l’influence iranienne dans la
région, est motivée par une double urgence : celle de relancer les
institutions libanaises, menacées de pourrissement, et celle de faire repartir ses propres affaires.
« Hariri est sur le fil du rasoir, il se fait humilier
par les Saoudiens, qui estiment qu’il n’est pas assez fort face au
Hezbollah », explique
un ancien diplomate arabe, familier de la scène politique libanaise. Les
menaces de banqueroute qui pèsent sur l’entreprise de BTP Saudi Oger, la
matrice de l’empire Hariri, autrefois leader du secteur en Arabie saoudite, et
la décision de Riyad de suspendre l’accord de livraisons d’armes françaises à
l’armée libanaise ont mis en lumière cette désaffection. « Hariri a
besoin de revenir au poste de premier ministre pour arrêter sa chute, politique
et économique, poursuit la source. C’est pour cela qu’il a décidé de “libaniser”
l’élection présidentielle. »
Riyad, sans donner sa caution à Saad Al-Hariri, n’a
pas non plus mis de veto à son cavalier seul. A l’égard du Liban, la monarchie
pratique désormais la politique de la bouderie. Signe éloquent, son ambassadeur
à Beyrouth a quitté le pays il y a quelques mois, sans faire ses adieux
officiels. « Les Saoudiens sont fatigués de traiter avec le camp
sunnite libanais, fait remarquer Rami Khoury, chercheur en relations
internationales à l’Université américaine de Beyrouth. Ils sont occupés par
d’autres théâtres régionaux, comme le Yémen et la Syrie. A l’échelle régionale,
le Liban n’est plus aussi important qu’il l’était. C’est devenu un dossier
périphérique. »
Le pouvoir iranien est donc le seul à pouvoir se féliciter
de l’élection de Michel Aoun. Il remporte une victoire d’étape, son adversaire
saoudien ayant préféré abandonner. « Les Saoudiens n’ont pas gagné,
mais attention, ils sont loin d’avoir hissé le drapeau blanc, relève
l’ex-diplomate arabe. C’est le facteur Hariri qui a changé
l’équation. » La confrontation entre les deux aspirants à la
suprématie régionale devrait donc se poursuivre, et le Liban risque de continuer
à en faire les frais. Les regards sont notamment tournés vers le prochain
sommet de la Ligue Arabe, prévu en mars, à Amman. Que dira le nouveau président
du pays du Cèdre lorsque la question du Hezbollah, récemment classé
« terroriste » par les capitales arabes, viendra au menu des débats ?
Benjamin Barthe, correspondant à Beyrouth
Le Monde, 31 octobre 2016