Benjamin Stora à Constantine
Retour au passé pour ma
prochaine émission, retour à une histoire contemporaine qui date d'une
cinquantaine d'années et qui a durablement traumatisé notre pays. Cette
histoire, c'est celle de la Guerre d'Algérie, et pour en parler j'aurai le
plaisir d'accueillir à nouveau un des meilleurs spécialistes du sujet, Benjamin
Stora. Un rapide rappel de présentation. Historien, professeur d'Université, il
est à la tête de la Cité Nationale d'Histoire de l'immigration depuis quelques
mois. Sur la guerre d'Algérie, j'ai dénombré dans la bibliographie de son
dernier ouvrage quelques 24 livres déjà publiés, et cela sans compter les
innombrables articles, documentaires, réalisés seul ou avec d'autres, et les
autres livres consacrés au Maghreb. Il y a cependant dans sa démarche récente
quelque chose qui va certainement parler au cœur de beaucoup de mes auditeurs,
c'est la dimension juive qui, il faut bien le dire dans ses jeunes années et
pendant les premières décennies de son travail, n'apparaissait pas. En 2006 - et
je l'avais déjà reçu pour cet ouvrage -, il avait publié "Les trois exils.
Juifs d'Algérie". Et là il vient de publier aux éditions Stock, un livre
court de 137 pages, mais extrêmement dense, "Les clés retrouvées",
sous-titre "Une enfance juive à Constantine" (éditions Stock). Cette fois-ci, il est
lui-même le héros de l'histoire, une histoire qui rassemble les éléments
dispersés d'une mémoire enfantine entre 1955 et 1962, une mémoire qui se
confond à la fois avec la guerre, mais aussi avec les dernières années de la
Communauté juive de la ville qui va partir en même temps que sa famille, quand
il avait tout juste 11 ans et demi. Je dois dire enfin que j'ai été bouleversé
par ce livre, parce que je suis à peine plus jeune que mon invité, mon enfance
c'était dans la Tunisie voisine, et j'ai retrouvé dans cette peinture de la fin
d'une époque beaucoup de points communs avec mes propres souvenirs.
Parmi les questions que je
poserai à Benjamin Stora :
-
Pouvez-vous évoquer deux journées particulières où votre
mémoire en quelque sorte s'est imprimée sur des évènements historiques ? La
première journée, c'était le 20 août 1955, vous avez 4 ans et demi et vous
voyez une scène traumatisante dans votre appartement à Constantine. Et puis le
12 juin 1962, vous quittez définitivement le même appartement avec vos parents
et votre sœur ainée.
-
Afin de planter le décor de votre livre,
cette ville fascinante de Constantine, construite sur un rocher en altitude,
très différente des cités méditerranéennes d'Alger et d'Oran, pouvez-vous rappeler
quelle est la topographie de cette cité qui avait à l'époque environ 100.000
habitants ? Où vivaient les Juifs, où vivaient les Musulmans, où vivaient les
Européens ? Se rencontraient-ils ?
-
Vous avez rassemblé le maximum d'informations
sur votre famille, sur celle de votre père, les Stora, et celle de votre mère,
les Zaoui. Vous insistez sur les différences entre les deux familles, qui me
semblent un peu emblématiques des transformations, à la fois sociales et
culturelles, des Juifs d'Algérie pendant les décennies qui ont suivi le Décret
Crémieux. J'aimerais que vous nous donniez votre hypothèse sur votre patronyme,
Stora, parce que j'étais persuadé que vous étiez comme moi, d'origine séfarade,
or cela ne semble pas sûr du tout ?
-
A propos des relations avec les Musulmans, vous
évoquez une ville et une vie très orientales, par la nourriture, le voisinage
direct des Algériens, qui étaient au courant des fêtes juives comme vous étiez
au courant des leurs, et avec lesquels vous aviez beaucoup de points communs. En
même temps, il y avait une distance assez méprisante pour leur condition sociale
; et il y avait aussi chez eux des préjugés purement antisémites, qui
remontaient à plusieurs siècles et qui n'avaient rien à voir, ni avec le
ressentiment du au Décret Crémieux, ni au conflit israélo-arabe : vous qui avez
établi des relations confiantes avec beaucoup d'intellectuels musulmans, est-ce
que vous pensez que cette réalité là peut leur être aussi racontée ?
-
A propos de ces année de guerre d'Algérie : au
début, on a l'impression que la vie continue. Vous le racontez, les cafés sont
pleins, les gens sortent, il y a de la gaité, et puis après les illusions du
début la guerre s'installe, se durcit, d'ailleurs les deux dernières années
vous ne sortez plus de votre appartement, vous n'allez plus en classes à la fin.
Vous énumérez, en arrière plan historique, tous les attentats qui ont visé
spécifiquement la communauté juive et en même temps il y a eu des appels du
pied du FLN pour que les Juifs restent, il y a même le souvenir des deux amis
musulmans qui rencontrent votre père pour lui dire de rester. Vos parent
quittent Constantine juste avant l'Indépendance : pourquoi ces hésitations, d'après
vos souvenirs ?
L'enregistrement de cet émission est déjà réalisé, et ce
fut un entretien vraiment émouvant : soyez nombreux à nous écouter dimanche
prochain !
J.C