C'est une bien triste
nouvelle en provenance de Tunisie, que j'ai apprise il y a environ un mois : la
tombe de "Rabbi Messaoud El Fassi", grande figure de l'Histoire du
Judaïsme tunisien, venait d'être profanée. Tout d'abord, la photo de sa tombe
dont la dalle a été brisée, photo qui a largement circulé sur l'Internet.
Quelques mots, tout de
suite, pour vous dire pourquoi j'ai été particulièrement bouleversé par cette
nouvelle : ce Rabbin illustre est en effet ... mon ancêtre direct, même si un
mystère subsiste pour moi en ce qui concerne la personne dont la tombe a
effectivement été profanée. Seule certitude, il s'agit d'un Corcos qui doit son
surnom à la ville de Fez, dont il était originaire lui ou son propre ancêtre.
Les Corcos, famille séfarade originaire de la ville de Corcos en Castille, se
sont réfugiés après l'expulsion d'Espagne en 1492 principalement à Fez au
Maroc, et en Italie. La branche marocaine est la plus nombreuse, et s'est
ensuite établie en particulier dans les villes de Marrakech, et de Mogador -
aujourd'hui Essaouira - dont elle participé à la fondation. Cela, je l'ai
appris grâce au riche article "Corcos" de l'Encyclopaedia Judaïca
écrit par le Professeur ... David Corcos, historien (1917-1975). J'ai d'ailleurs
eu le plaisir de rencontrer il y a quelques mois à Paris son fils, Sidney
Corcos, établi à Jérusalem et lui aussi passionné par l'histoire à la fois de
sa famille et de cette communauté.
Mais revenons au Rabbin
Messaoud El-Fassi, car tout n'est pas parfaitement clair, d'abord, concernant
sa biographie. Voici la traduction en français de l'extrait de l'Encyclopédie concernant
le premier personnage :
"Renommé pour son
érudition et sa piété, Moïse Ben Abraham Corcos (décédé en 1575) de Fez, fut
nommé Dayyan (traduction : juge rabbinique) à Tunis, où sa tombe fait encore
l'objet de pèlerinages"
A noter, que chronologiquement,
sa citation vient avant celle d'un autre Corcos, autorité rabbinique de la
ville de Fez du 18ème siècle. Or, dans toutes les informations publiées à
l'occasion de la profanation de la tombe "du Fassi" comme il était
communément appelé à Tunis, figurent trois informations en contradiction avec
ce qu'a écrit David Corcos : le personnage en question serait décédé, selon les
articles en 1774 ou 1775, soit deux siècles plus tard ; son prénom serait
différent ("Messaoud Raphaël") ; et il a été Grand Rabbin de Tunisie.
Voir sur ce lien ce que dit Wikipedia
: même si l'article est bref, on comprend qu'il ne s'agit pas d'un Rabbin
arrivé directement du Maroc, puisque parmi ses maîtres spirituels figuraient
des Rabbins bien tunisiens ... Cependant, il était bien surnommé El-Fassi, donc
descendait de l'illustre ancêtre de Fez. Donc, il s'agit dans tous les cas d'un
de mes aïeux!
Maintenant, quelques mots à
propos de son tombeau : son emplacement est vraiment singulier, car la tombe
n'est pas sous terre, mais en hauteur, dans un immeuble en plein centre de
Tunis, rue Sidi Sofiane. Mon amie la jeune journaliste marocaine Chaimae
Bouazzoui a fait un reportage sur cette triste affaire, et a pris deux photos,
une du quartier, l'autre de la porte de l'immeuble, sur laquelle figure une
inscription en hébreu.
Autre photo émouvante,
celle-là d'une trentaine d'années, montrant un groupe de Juifs tunisiens devant
la tombe ; elle est hélas assez floue à plus fort grossissement.
Maintenant, que s'est-il
passé exactement ?
La toute petite communauté
juive de Tunis a bien entendu fait part de son émotion, émotion relayée par la
courageuse Yamina Thabet qui anime une association de soutien aux minorités : lire
ici . Émotion relayée, en France, par l'Association ATPJT de mon ami
Bernard Allali, et publiée par le CRIF. Je recopie ci-dessous ce
communiqué, où on notera que le fameux voyage depuis le Maroc est situé cette
fois, au 18ème siècle :
"L'association ATPJT (Arts et Traditions Populaires
des Juifs de Tunisie), membre du CRIF, que préside Bernard Allali, tient à
protester vigoureusement contre la profanation indigne de la tombe du Grand
Rabbin installée dans un mausolée au centre de Tunis.
Originaire de Fez au Maroc, Messaoud Raphaël Elfassi avait entrepris en son temps un long voyage en direction de Jérusalem. Lors de l'étape tunisienne de son périple, il avait décidé d'interrompre son voyage et de s'installer définitivement en Tunisie. Il deviendra le Grand Rabbin du pays et le Président du Tribunal Rabbinique. Il est mort à Tunis en 1774.
L'ATPJT espère que les autorités tunisiennes, comme elles l'ont déjà fait par le passé en de semblables circonstances, notamment pour le mausolée du Rabbin Fradji Chaouat de Testour, donneront les instructions nécessaires pour la remise en état de la sépulture du Grand Rabbin Elfassy."
Originaire de Fez au Maroc, Messaoud Raphaël Elfassi avait entrepris en son temps un long voyage en direction de Jérusalem. Lors de l'étape tunisienne de son périple, il avait décidé d'interrompre son voyage et de s'installer définitivement en Tunisie. Il deviendra le Grand Rabbin du pays et le Président du Tribunal Rabbinique. Il est mort à Tunis en 1774.
L'ATPJT espère que les autorités tunisiennes, comme elles l'ont déjà fait par le passé en de semblables circonstances, notamment pour le mausolée du Rabbin Fradji Chaouat de Testour, donneront les instructions nécessaires pour la remise en état de la sépulture du Grand Rabbin Elfassy."
Mon amie Chaimas Bouazzaoui
a donc pris ces photo de l'immeuble, mais n'a pu se rendre à l'emplacement de
la tombe. Cependant, elle a pu s'entretenir avec Daniel Raccah, qui s'occupe de
la surveillance de ce mausolée et dont le domicile est mitoyen : d'après lui,
le vol serait la cause la plus probable de cette profanation, les vandales
l'ayant commis ayant espéré trouvé des objets précieux comme des vieux livres
ou des bijoux. D'après ce que m'a rapporté Chaimae, les ossements n'auraient
pas été dispersés en dehors de la tombe, ce qui parait en effet vraisemblable
quand on voit la première photo ci-dessus.
Chaimae a consacré un assez
long article à cette affaire, et à une autre profanation analogue au Maroc, sur
le site en anglais "MarrocoNews", voir
son article ici. Elle a eu la gentillesse, une nouvelle fois, de me citer
dans un de ses reportages.
Grand merci à elle pour son
enquête, en espérant que la police tunisienne consacre assez de temps à cette
triste histoire. Au final, acte purement antisémite ou vandalisme motivé par le
vol, cette affaire reste révoltante et, encore une fois, traumatisante pour
moi.
Jean Corcos