Photo de l'Université de Garissa après le massacre
Interview : 147 personnes ont
été tuées lors de l'attaque contre l'université kényane de Garissa selon un
bilan provisoire. Philippe Hugon (IRIS) décrit ce mouvement islamiste.
Au moins 147 personnes ont été tuées lors de l'attaque
contre l'université kényane de Garissa (est) menée jeudi 2 avril par
les Shebab somaliens, a annoncé le ministre kényan de l'Intérieur,
précisant qu'une opération de "nettoyage" était en cours. Le bilan
est très lourd mais encore provisoire. Quel est ce groupe islamiste? Réponse
avec Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut de relations
internationales et stratégiques (Iris), en charge de l’Afrique.
Qui sont les Shebab ?
Le nom signifie "jeunes" en arabe. C’est un
mouvement né au début des années 2000 regroupant plusieurs groupes islamistes
somaliens. Il est issu de l’Union des tribunaux islamiques qui faisait la loi à
Mogadiscio. Puis en 2006, l’Ethiopie, le Kenya, et l’Ouganda, les ont, avec le
soutien des États-Unis, chassés de la capitale. Un gouvernement transitoire a
pris le pouvoir et les Shebab se sont retrouvés dans la clandestinité. Leurs
actions sont très violentes et se produisent en Somalie, en Ouganda
et au Kenya. Ils procèdent principalement par des attentats suicides et des
enlèvements. Ils ont par exemple attaqué le centre commercial Westgate de
Nairobi, en septembre 2013 et fait au moins 67 morts. Ils ont aussi visé la
côte kényane à l'été 2014 (une centaine de personnes avaient été froidement
exécutées, Ndlr). Ils s’en prennent régulièrement au Kenya
qui est le pays le plus engagé dans la lutte contre les Shebab.
Combien sont-ils et quelles sont leurs ressources
financières ?
Ils sont entre 8.000 et 10.000 selon les estimations
mais on ne sait pas vraiment, cela évolue très vite. Ils vivent du trafic de
drogues, du trafic d’armes, ils ont aussi des liens avec les pirates somaliens
et bénéficient du soutien de la diaspora somalienne et de l’Érythrée. Ils
bénéficient d’un soutien assez important en Somalie
puisqu’ils sont présents quasiment sur tout le territoire. Compte-tenu de la
faiblesse du pouvoir en place à Mogadiscio, ils assurent un ordre moral, un
ordre sécuritaire auprès des populations. Ils veulent imposer un Etat
islamique fondé sur la charia.
Où sont-ils situés dans la galaxie djihadiste ?
Ils étaient proches des talibans à leur création, puis
se sont rapprochés d’Al-Qaïda. Globalement, ils sont dans la logique d’Al-Qaïda
au Maghreb islamique (Aqmi), ils se réfèrent à eux sans y être
affiliés. Récemment, certains de leurs combattants ont aussi eu des contacts
personnels avec des membres de Boko Haram, mais il n’y a pas d’affiliation.
Quant à l’État islamique, il n’y a pas à ma connaissance de liens spécifiques
même si la référence à Daech peut apparaître mais plus pour des questions
d’opportunisme.
Justement, cette attaque de l’université Kenyane
est-elle un signal envoyé à Daech ou Boko
Haram qui ont un peu éclipsé les Shebab ces derniers mois ?
Il y a une volonté de dire "on est là". Le djihad
global est une guerre médiatique, c’est aussi de la communication. Ils mettent
aussi en ligne des vidéos et envoient des messages importants. Par
exemple, ils avaient dit qu’ils allaient attaquer la France après
l’intervention militaire au Mali en 2013. Ils ont un positionnement
international.
Interview d'Antoine Izambard,
Challenge, 2 avril 2015