Décryptage - Si l’on est protégé de la maladie, le risque de transmettre le virus est nécessairement plus faible. Sans être tout à fait nul. Explications.
Les scientifiques ont rapidement compris au début de l’épidémie qu’il était possible d’être infecté par le virus du Covid et de le transmettre sans tomber malade. La proportion de ces contaminations «asymptomatiques» n’a toutefois jamais pu être clairement établie. Tout au plus peut-on penser qu’elles ne sont pas négligeables. La question refait à présent surface sous une forme déguisée avec l’arrivée des vaccins. «La plupart des vaccins protègent contre la maladie mais n’induisent pas une immunité stérilisante (c’est-à-dire qu’ils ne bloquent pas l’infection)», explique en effet Marie-Paule Kieny, vaccinologiste et directrice de recherche à l’Inserm. «C’est en particulier le cas des vaccins contre les maladies respiratoires.»
En d’autres termes, si le vaccin protège d’une infection «profonde», le virus peut éventuellement circuler dans les voies respiratoires supérieures et être transmis, sans provoquer de symptôme autre qu’un léger rhume. À titre individuel, la prudence reste donc de mise: même vacciné, il faut garder à l’esprit que l’on peut contaminer ses proches, sans le savoir. Rappelons d’autre part qu’il faut attendre une dizaine de jours minimum après la première injection pour commencer à être protégé et que la protection n’est optimale qu’après la deuxième dose.
Mais cela veut-il dire pour autant que les vaccins seront totalement inefficaces pour bloquer la transmission du virus, comme certains ont pu l’interpréter? «Il y a beaucoup d’inconnues: ce sont les premiers vaccins développés contre des coronavirus et avec des technologies parfois nouvelles», avance prudemment Odile Launay, directrice du centre d’investigation clinique en vaccinologie Cochin-Pasteur et coordinatrice du réseau national d’investigation clinique en vaccinologie (I-Reivac). «Néanmoins, lorsqu’on ne tombe pas malade, on fabrique moins de virus, pendant moins longtemps. Mon intuition, c’est donc que les vaccins limiteront la quantité de virus produit et la durée de contagiosité.» Mécaniquement, cela devrait donc limiter le nombre de contaminations.
Études d’évaluation
D’autre part, il serait étrange que le vaccin ne parvienne pas à empêcher le virus d’entrer au moins chez une partie de la population. «On sait que le vaccin stimule la production d’anticorps de type IgG que l’on retrouve dans le sang, détaille Guy Gorochov, chef du département d’immunologie à la Pitié-Salpêtrière à Paris. Or une partie va se répandre dans l’arbre respiratoire et dans les muqueuses. Mais on ne sait pas dans quelle mesure exactement. Par ailleurs, nous avons montré que ce sont plutôt les anticorps de type IgA qui permettent de bloquer le virus au niveau des muqueuses dans les premiers jours de l’infection. Là encore, nous ne savons pas si le vaccin permettra d’induire la production de ces anticorps au niveau des voies d’entrée du virus. Si on ne connaît pas encore le niveau d’immunité muqueuse induite par les vaccins, il y a peu de doutes sur le fait qu’ils puissent induire au moins un certain niveau d’effet barrière.»
Il y a quelques données encourageantes chez l’animal sur ce point, mais il va falloir le confirmer et le préciser
Odile Launay espère lancer d’ici la fin du mois des études comparatives pour évaluer l’importance de la réponse immunitaire au niveau des muqueuses en fonction de l’âge et des vaccins. «Il y a quelques données encourageantes chez l’animal sur ce point, mais il va falloir le confirmer et le préciser», explique-t-elle. La présence d’anticorps dans les muqueuses de personnes vaccinées ne constituerait toutefois pas une preuve définitive de l’effet «stérilisant» du vaccin. Le seul moyen d’évaluer ce potentiel reste d’effectuer régulièrement des tests PCR chez des personnes vaccinées pour évaluer le nombre de porteurs sains du virus.
Seuls les essais menés par Moderna apportent des premiers éléments de réponse sur ce point. Tous les participants ont en effet effectué un prélèvement nasopharyngé au moment de recevoir leur deuxième injection. Résultat: il y avait 39 cas asymptomatiques dans le groupe placebo (soit 0,3 % des effectifs), contre 15 dans le groupe vacciné (0,1 %). Cela laisse penser qu’il pourrait bien y avoir un effet protecteur du vaccin contre l’infection, mais les effectifs sont trop faibles pour l’assurer. À mesure que les pays vaccinent, il devrait être plus facile de mener des études sur ce point.
En résumé, le vaccin ne permettra pas seulement de limiter les cas symptomatiques et les cas graves: il jouera un rôle dans la réduction de la circulation globale du virus, en rendant les personnes moins contagieuses, moins longtemps et en bloquant au moins une partie des infections. Reste à savoir combien.
Tristan Vey
Le Figaro, 14 janvier 2021