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10 mars 2014

Un drôle de goût ...



CHRONIQUE REGARDEZ VOIR

Chaque semaine, Gérard Lefort revient sur une photo parue dans «Libération».

Évidemment, on pense tout de suite à la blague de Coluche à propos du pape : «Déjà, un type qui sort en robe longue sans sac à main, quelle faute de goût !» Une expertise que l’on peut ici reconduire avec le très croyant Hassan Rohani, présentement président élu de la République islamique d’Iran. Bien qu’en maxi-drapé de soirée et turban à la Beauvoir, pas le moindre sac, même pas une pochette à main pour y serrer un poudrier et un tube de rouge à lèvres en cas de raccord maquillage.

Ce portrait a été pris à Téhéran le 9 novembre, au palais présidentiel. Un portrait en pied. Pied qui foule, c’est le moins, un très grand tapis persan. Mais sauf complément d’info contradictoire, c’est un tapis qui, tel Batman, ne vole pas et n’a aucun super-pouvoir. Notamment celui de faire oublier tout le reste de la décoration.

D’abord, ces deux appliques très lumineuses, si on juge par leur surexposition dans l’image. Le tamisé et l’abat-jour n’ont pas l’air d’être l’orthodoxie électrique dominante. Ensuite, le mobilier. Primo : les doubles rideaux dont la somptuosité plissée nous téléporte aux temps merveilleux des veillées viennoises au château de Schönbrunn (around la Kaiserin Sissi et son grand orchestre de glockenspiel). Deuzio : les fauteuils (with tables basses), sorte de croisement réussi entre Louis II en fin de Bavière et le nouveau mausolée de Mae West. Du coup, on voudrait connaître le nom du héros qui a réussi le prodige de fourguer ces invendus de Liberace aux officiels de Téhéran, pas vraiment réputés pour leur promo de la folle gaudriole.

Dans le même registre de «la déco, ma chérie, la déco !», notons la composition florale au pied du drapeau national. En raison d’une rupture de glaïeuls, le choix s’est porté sur le bouquet informel de tubéreuses, ce qui instille dans la scène une étonnante fragrance «visite dominicale à Mamoune au mouroir Les Genêts d’or».

Et les distributeurs de mouchoirs en papier sur chaque table basse ? C’est pour quoi faire ? Colmater une forte épidémie de coryza dans l’entourage de Hassan Rohani ? Ou mouchoirs propices à éponger les larmes (de rire) des conseillers nucléaires du Président quand leur est parvenue de Genève la nouvelle que les puissances occidentales seraient en train d’avaler le cobra d’un gel «intérimaire» du programme iranien d’enrichissement de l’uranium ?

Quant à la disposition générale des fauteuils, qui renoncent à se faire face, cela se justifierait par le fait probable que le président iranien pose dans une salle de discussions, consistant comme chacun sait à regarder ensemble dans la même direction. Dès lors, on peut imaginer que pendant l’un de ces débats, les yeux d’un participant roulent vers l’unique petit tableau, accroché sur le mur de droite, et se posent des questions. Serait-ce la rencontre immortalisée entre le père Noël et Santa Claus ? Plus certainement un portrait croisé du défunt ayatollah Khomeini et de l’actuel Guide suprême, Ali Khamenei. Ce joue-à-joue devrait enrayer les rumeurs sur l’homophobie pathologique du régime iranien. De fait, comment rêver meilleure propagande pour le mariage pour tous ? Qui plus est entre bears matures, une vraie tendance dans la communauté gay.

Gérard Lefort,

Libération, 22 novembre 2013