CHRONIQUE
REGARDEZ VOIR
Chaque semaine, Gérard Lefort
revient sur une photo parue dans «Libération».
Évidemment, on pense tout de suite à la blague de
Coluche à propos du pape : «Déjà, un type qui sort en robe longue sans sac à
main, quelle faute de goût !» Une expertise que l’on peut ici reconduire
avec le très croyant Hassan Rohani, présentement président élu de la République
islamique d’Iran. Bien qu’en maxi-drapé de soirée et turban à la Beauvoir, pas
le moindre sac, même pas une pochette à main pour y serrer un poudrier et un
tube de rouge à lèvres en cas de raccord maquillage.
Ce portrait a été pris à Téhéran le 9 novembre,
au palais présidentiel. Un portrait en pied. Pied qui foule, c’est le moins, un
très grand tapis persan. Mais sauf complément d’info contradictoire, c’est un
tapis qui, tel Batman, ne vole pas et n’a aucun super-pouvoir. Notamment celui
de faire oublier tout le reste de la décoration.
D’abord, ces deux appliques très lumineuses, si on
juge par leur surexposition dans l’image. Le tamisé et l’abat-jour n’ont pas
l’air d’être l’orthodoxie électrique dominante. Ensuite, le mobilier. Primo :
les doubles rideaux dont la somptuosité plissée nous téléporte aux temps
merveilleux des veillées viennoises au château de Schönbrunn (around la
Kaiserin Sissi et son grand orchestre de glockenspiel). Deuzio : les fauteuils
(with tables basses), sorte de croisement réussi entre Louis II en
fin de Bavière et le nouveau mausolée de Mae West. Du coup, on voudrait
connaître le nom du héros qui a réussi le prodige de fourguer ces invendus de
Liberace aux officiels de Téhéran, pas vraiment réputés pour leur promo de la
folle gaudriole.
Dans le même registre de «la déco, ma chérie, la
déco !», notons la composition florale au pied du drapeau national. En
raison d’une rupture de glaïeuls, le choix s’est porté sur le bouquet informel
de tubéreuses, ce qui instille dans la scène une étonnante fragrance «visite
dominicale à Mamoune au mouroir Les Genêts d’or».
Et les distributeurs de mouchoirs en papier sur chaque
table basse ? C’est pour quoi faire ? Colmater une forte épidémie de coryza
dans l’entourage de Hassan Rohani ? Ou mouchoirs propices à éponger les larmes
(de rire) des conseillers nucléaires du Président quand leur est parvenue de
Genève la nouvelle que les puissances occidentales seraient en train d’avaler
le cobra d’un gel «intérimaire» du programme iranien d’enrichissement de
l’uranium ?
Quant à la disposition générale des fauteuils, qui
renoncent à se faire face, cela se justifierait par le fait probable que le
président iranien pose dans une salle de discussions, consistant comme chacun
sait à regarder ensemble dans la même direction. Dès lors, on peut imaginer que
pendant l’un de ces débats, les yeux d’un participant roulent vers l’unique
petit tableau, accroché sur le mur de droite, et se posent des questions.
Serait-ce la rencontre immortalisée entre le père Noël et Santa Claus ? Plus
certainement un portrait croisé du défunt ayatollah Khomeini et de l’actuel
Guide suprême, Ali Khamenei. Ce joue-à-joue devrait enrayer les rumeurs sur
l’homophobie pathologique du régime iranien. De fait, comment rêver meilleure
propagande pour le mariage pour tous ? Qui plus est entre bears matures,
une vraie tendance dans la communauté gay.
Gérard Lefort,
Libération, 22 novembre 2013