Introduction :
Silencieux ces dernières semaines sur mon blog, j'ai bien entendu continué
de suivre l'actualité et en particulier celle de l'antisémitisme dans notre
pays. Disons-le, la période me semble sinistre ... Certes, le CRIF a eu raison
d'organiser une grande manifestation le 19 mars, date anniversaire du massacre
de l'école juive de Toulouse ; et certes, la présence de personnalités
politiques, de représentants des autres religions et de plusieurs intellectuels
engagés faisait chaud au cœur. Mais cela ne suffit pas : la parole raciste et
antisémite s'est libérée totalement en France, et il est temps, d'abord, de
faire connaitre à tous cette haine lourde de menaces (deux agressions physiques
violentes ont visé des Juifs à Paris pendant cette même période). Aussi cet
appel, signé par plusieurs personnalités dans "Libération", mérite
d'être largement partagé !
J.C
TRIBUNE
Une sourde dislocation menace la société française.
Le constat nous coûte mais il s’impose : aujourd’hui, en France, on
ne débat plus, on crache ; on ne s’oppose pas, on lynche ; on ne
conteste pas, on conspue ; et ce qui était, hier, impensable est devenu,
aujourd’hui, banal.
Dans la France de 2014, quand on manifeste en
famille son désaccord avec la politique de la garde des Sceaux, on la traite de
«guenon». Dans la France de 2014, un rassemblement prétendument organisé
pour s’opposer au président de la République devient un raout
antisémite, raciste et homophobe dans les rues de Paris où l’on scande «Juif,
la France n’est pas à toi». Dans la France de 2014, la haine antijuive est à ce
point populaire qu’elle est devenue une forme d’humour particulièrement
rentable pour un prédicateur vénal qui se moque de la loi comme de ceux qu’il
offre à la vindicte des rires gras.
Dans notre pays, il se trouve un certain nombre
de personnes pour affirmer avec morgue que les juifs dirigeraient le
monde, que les homosexuels mettraient la société en danger, que les
Arabes ne seront jamais français et que les Noirs devraient préférer
les arbres aux bancs de l’Assemblée nationale. Et il se trouve - hélas ! -
un nombre plus grand encore de personnes suffisamment crédules, fragiles ou
stupides pour le croire et le faire savoir, dans les rues et sur la Toile.
Que l’on ne s’y trompe pas : ce qui, à terme, est
menacé, par le racisme, l’antisémitisme ou l’homophobie ce ne
sont pas seulement les personnes d’origine immigrée,
les juifs et les homosexuels, mais c’est la possibilité de
vivre en république, c’est-à-dire la république elle-même.
A ceux qui ont proféré, diffusé, dit, laissé dire, mis
en scène, organisé ou profité d’une telle immondice, nous voulons exprimer
fermement et calmement que cela suffit ; qu’ils répondront de leurs actes
et que pour notre part, nous répondrons par des mots. Le ressentiment ne peut
pas être le seul sentiment qui relie entre eux des Français qui ne se sont
jamais rencontrés. A trop céder aux oppositions artificielles, la défiance
s’est installée et on en a oublié l’essentiel : la fierté et le bonheur de
vivre ensemble. Si chacun considère son voisin ou son collègue comme une menace
ou un ennemi, alors la France disparaîtra non pas tant dans ce
qu’elle est mais dans ce qu’elle a pu incarner de plus beau ici et à travers le
monde. Nous avons tous et toutes, à titre individuel, la responsabilité de construire
la société dans laquelle nous voulons vivre.
Ceux qui ont hurlé doivent se taire ; ceux qui se sont
tus doivent parler. En ces temps de haines rances, de clameurs
incendiaires et de ressentiment généralisé, nous devons nous rassembler sous un
seul mot, une seule bannière, un unique mot d’ordre, quels que
soient notre origine, notre âge, notre orientation ou notre condition.
Dans la France de 2014, il appartient à chacun d’entre nous de décider que
le temps de la haine est révolu et que celui de la fraternité est venu.
Signataires :
Yvan Attal, Josiane Balasko, Bérénice Bejo,
Tahar Ben Jelloun, Pierre Bergé, Pascal Blanchard, Michel Boujenah,
Patrick Bruel, Elie Chouraqui, Caroline Fourest, Michel Hazanavicius, Patrick
Klugman, Pierre Lescure, Bernard-Henri Lévy, Jacques Martial, Yann Moix,
Scholastique Mukasonga, Yannick Noah, Dominique Sopo, Eric Toledano.
Libération, le 18 mars 2014