Il
est habituel qu’une personne décédée soit couverte de louanges quoi qu’elle ait
fait de son vivant. « Le mort, ses jambes s’allongent » disait-on
chez moi. « Il est plus grand mort que vivant » s’est écrié un roi de
France devant le cadavre du duc de Guise.
Le
décès d’Ariel Sharon après ses huit années de coma n’a pas suscité
partout les mêmes réactions.
Si
tout le monde s’accorde pour reconnaitre qu’il fut un génie militaire, il est
par contre blâmé un peu partout pour les massacres en 1982 des camps
palestiniens de Chabra et Chatilla, dont on lui fait porter à tort la
responsabilité alors qu’il est le fait des « Forces libanaises
» sous l’autorité de Elie Hobeika ; et par ailleurs, une frange de
la population israélienne ne peut lui pardonner l’évacuation en
2005 de la bande de Gaza alors qu’il était Premier Ministre.
Les
réactions du monde arabe allant quant à elles de l’indifférence aux explosions
de joie comme à Gaza où des bonbons ont été distribués dans les rues.
Voyons
cela de près :
Durant
la guerre de Kippour en 1973, les Egyptiens avaient forcé les lignes
israéliennes et menaçaient le cœur vital du pays tandis que les Syriens
attaquaient sur le Golan. Israël se trouvait dans une situation
extrêmement difficile et sa survie était en jeu. C’est alors que le général
Sharon qui s’était déjà distingué dans toutes les guerres que son
pays eut à mener depuis sa déclaration d’indépendance, passant outre
les ordres de ses supérieurs civils et militaires entreprit une manœuvre d’une
audace folle que l’on étudiera longtemps dans les écoles militaires.
Avec les quelques tanks dont il disposait, il traversa le canal de Suez,
contourna les Egyptiens par le sud, les encercla, coupant leurs lignes
de ravitaillement et arriva à cent kilomètres du Caire . Un exploit
surprenant, impensable, qui donna la victoire à Israël ! Sous
la pression des Américains il dut stopper sa progression , se vit obligé de
ravitailler lui-même l’armée ennemie prise au piège et d’éviter ainsi sa
reddition. L’Etat juif était sauvé et Ariel Sharon inscrivait son nom auprès
des plus grands stratèges militaires de l’Histoire.
Mais
il y eut aussi des zones d’ombre :
1) Sabra et Chatila.
1982 :
Les Israéliens campaient dans la banlieue de Beyrouth. Béchir Gemayel, leur
allié, élu Président de la République libanaise venait d’être
assassiné ainsi que ses compagnons dans un terrible attentat dont
les auteurs étaient faciles à identifier : Les Palestiniens et les
Syriens. Ce drame ne pouvait laisser indifférentes les milices chrétiennes
qui voyaient s’effondrer les plans qu’elles avaient
édifiés avec leurs alliés israéliens pour redessiner un Moyen-Orient nouveau. Elles
voulurent se venger.
Sharon
eut la faiblesse d’accepter qu’elles pénètrent dans les camps
palestiniens à la recherche de 200 combattants qui s’y étaient
réfugiés. Il ne pouvait pas imaginer que ses alliés chrétiens se livreraient à
un tel massacre n’épargnant ni les femmes, ni les enfants, ni les vieillards. Il
ne s’était pas méfié et c’est bien là sa faute.Désigné comme indirectement
responsable par une commission israélienne, il fut obligé d’abandonner son
poste de ministre de la défense. Ni les Palestiniens, ni les Arabes en général
ni l’opinion mondiale ne le lui ont jamais pardonné ce drame ..
2) L’évacuation
des habitants juifs du Goush Katif à Gaza en 2005 lui valut l’inimitié et même
la haine d’une partie de la population.
Ses
opposants ne pouvaient pas comprendre ni admettre que l’homme qui avait le plus
milité pour la création. d’implantations juives dans les territoires occupés
arrache brutalement à leurs foyers, à leurs champs, à leurs écoles, à leurs
synagogues, à leurs cimetières, 7.000 personnes qui s’y
étaient installées depuis une quarantaine d’années. En fait, Ariel
Sharon avait compris que le rêve du grand Israël devait
être abandonné car il était irréalisable et il recherchait un accord avec
les Palestiniens. Comme il avait pris brusquement 32 ans auparavant la décision
de franchir le canal de Suez, il décida aussi avec la même
impétuosité que la présence de quelques milliers de juifs à Gaza au milieu d’un
million d’Arabes hostiles ne justifiait pas tant de dépenses et la présence
de tant de soldats pour les protéger.
Il
n’est pas dit non plus qu’il ne voulait pas par ce cadeau inattendu fait
aux Palestiniens, tester leur fiabilité et leur volonté de vivre en paix aux
côtés d’Israël. Les faits ont hélas démontré que loin de faire de ce bout de
terre un nouveau Singapour, au lieu de profiter des installations laissées par
les Israéliens pour les développer et en créer des nouvelles, de développer le
tourisme, d’améliorer les conditions de vie de la population, le Hamas qui y
prit le pouvoir en fit un camp retranché braqué sur Israël, dépensant en
création de tunnels et en achat de missiles, l’argent, de l’aide
internationale.
On
comprend que cette expérience désastreuse, mais probablement nécessaire puisse
rendre encore plus méfiants les Israéliens qui négocient actuellement avec
l’Autorité Palestinienne.
L’Histoire
retiendra certainement d’Ariel Sharon qu’il fut un très grand
soldat, qu’il a sauvé Israël du désastre en 1973 , qu’il a consacré sa vie
à sa terre et à son peuple qu’il a aimés passionnément et que comme
Its’haq Rabin, il a réalisé après ses brillants exploits militaires que les
guerres, même victorieuses, n’arriveraient pas à elles seules à régler le
conflit avec les Palestiniens.
Un
grand homme, un grand juif nous a quitté .
Que
son souvenir soit béni !
André
Nahum
Judaïques
FM le 15 janvier 2014
Nota
de Jean Corcos :
En
complément de ce bel hommage de mon ami André Nahum, je vous invite à lire (ou
à relire pour certains), le témoignage personnel de ma rencontre avec Ariel
Sharon, que j'avais publié sur mon blog il y a huit ans, juste après l'attaque
cérébrale qui le plongea dans un long coma.
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