Monseigneur Claude Dagens
Polémique entre un patriarche syrien et un évêque français à propos de la Syrie
Une violente polémique vient d'éclater publiquement
entre le patriarche syrien catholique Grégoire III et l'évêque d'Angoulême,
Claude Dagens, à propos de l'attitude à tenir vis-à-vis de Bachar el-Assad.
Un
patriarche chrétien syrien contre un évêque catholique français. La polémique
est rare, mais elle est vive et bien réelle. Elle vient d'éclater au grand jour
alors qu'elle couvait depuis le 11 septembre dernier entre le patriarche
Grégoire III Laham, grec melkite catholique (chef d'une des Églises catholiques
orientales) dont le cœur est à Damas en Syrie,
et Mgr Claude Dagens, évêque d'Angoulême et membre de l'Académie Française.
Dans une lettre adressée à Mgr Dagens que le
Patriarche a rendue publique le 18 septembre, ce dernier accuse l'évêque
français de «paroles diffamatoires» et «d'attaques» qui, selon lui, «choquent
toute une Église en attaquant son Patriarche». Il entend répondre aux propos
effectivement tenus publiquement par Mgr Dagens sur les ondes de Radio Notre-Dame,
le mercredi 11 septembre. Ce dernier était l'invité de Louis Daufresne dans
l'émission matinale «Le Grand Témoin».
L'interview portait sur la Syrie. Au fil d'une
réponse, Mgr Dagens a lancé: «J'étais au Synode de Rome en octobre 2012 et j'ai
vu tant de fois l'illustre Patriarche Laham, chef des Grecs-Melkites à Damas,
se lever. Et lorsqu'il fut décidé qu'une délégation du Vatican allait se rendre
à Damas pour rencontrer des chrétiens de Syrie et rencontrer Bachar
el-Assad, le téléphone a fonctionné: le cher Patriarche Laham s'est
entendu avec Bachar el-Assad dont on sait qu'il est un allié, politiquement et
financièrement.»
De fait, le projet d'envoi d'une délégation en Syrie -
pas moins de 7 cardinaux devaient officiellement prendre le chemin de Damas -
annoncé le 16 octobre 2012 par le numéro 2 du Saint-Siège, le cardinal Bertone,
avorta. Ce qui sonna comme une humiliation pour le Pape Benoît XVI qui cautionnait
ce projet inédit. Et qui fit perdre la face à la diplomatie du Saint-Siège.
«Quel contraste avec la sollicitude
du pape François!»
Dans cette lettre que le Patriarche adresse donc à Mgr
Dagens - mais aussi aux autorités romaines, à la conférence des évêques et à
l'Académie Française datée du 13 septembre et seulement rendue publique le 18
septembre par ses services - Grégoire III ne répond directement pas à
l'accusation: «Vous m'avez gravement et publiquement mis en cause sur les ondes
de Radio Notre-Dame. Vous n'imaginez sans doute pas combien vos paroles
diffamatoires ont blessé - et mis en danger - la communauté melkite si
cruellement éprouvée depuis tant d'années. Quel contraste avec la sollicitude
du pape
François et la solidarité spirituelle si touchante de mes frères
dans l'épiscopat et de tant de Français anonyme! J'ajoute que beaucoup de
chrétiens d'Orient sont des francophones fervents et ont été du coup
particulièrement peinés par les attaques de l'Académicien que vous êtes. De
légitimes différences d'appréciation géopolitiques ne me semblent pas justifier
le fait de porter violemment atteinte à la fraternité épiscopale et de choquer
toute une Église en attaquant son Patriarche. Sur la brèche et faisant front à
toutes les difficultés et les tragédies de ces deux dernières années, je n'ai
eu de cesse d'appeler au dialogue et surtout à la réconciliation, unique
planche de salut pour la Syrie et pour laquelle je suis prêt à offrir ma vie en
sacrifice.»
Cette lettre, publiée par le service de presse du
Patriarche, est accompagnée d'une note relatant toutes les interventions du
Patriarche depuis le début du conflit, qui ont toujours soutenu un «dialogue»
pour préserver la paix civile.
Joint mercredi par Le Figaro, Mgr Dagens
confirme son propos tout en publiant ce communiqué :
«Je répondrai au Patriarche grec-melkite Grégoire Laham si celui-ci veut bien,
avec les moyens dont il dispose, faire cesser le déferlement de messages
haineux et violents que je reçois depuis une semaine, à la suite du dialogue
que j'ai eu sur les ondes de Radio Notre-Dame et où j'ai eu l'occasion d'évoquer
les réalités suivantes: les relations historiques entre la France et la
Syrie ; la mainmise de la Syrie sur le Liban ;
le caractère dictatorial du régime actuel de Syrie ; les violences
terribles de la guerre civile qui fait des milliers de morts et de blessés,
aussi bien du côté des musulmans que des chrétiens ; mon souci pour les
populations chrétiennes si éprouvées et mon souhait qu'elles ne s'en remettent
pas pour leur présent et leur avenir à des régimes dictatoriaux ; mon
engagement aux côtés du pape François pour que la force de la paix du Christ,
qui passe par sa Passion, soit plus forte que toutes les violences et les
haines de notre histoire.»
Une des voix - souvent controversée
mais respectée - de l'épiscopat français
Pour toucher le point le plus intéressant de cette
polémique, il est nécessaire de saisir le contexte de cette «sortie» de
l'évêque d'Angoulême. Cet intellectuel reconnu en France et à l'étranger,
historien et ancien élève de Normale sup, est aussi connu pour sa forte
réactivité sur les débats de société où il demeure l'une des voix - souvent
controversée mais respectée - de l'épiscopat français.
Premier point de contexte: les propos de l'évêque
français contre le Patriarche syrien formaient une incise dans une réponse où
Mgr Dagens se livrait à «une analyse politique» de la situation syrienne. Après
l'attaque de la ville chrétienne syrienne de Maaloula,
l'évêque cherchait à démontrer qu'elle s'inscrivait probablement dans «la
propagande» du régime de Damas. Un «régime criminel et sanglant dont on sait
qu'il a occupé le Liban pendant plus d'une vingtaine d'années, avec le meurtre
de Rafiq Hariri et le procès empêché des tueurs de Rafiq Hariri, inspirés par
le régime de Damas». Une «manipulation» donc, visant à «instrumentaliser» en
«essayant de faire croire que la guerre et les violences qui se déroulent en
Syrie seraient d'ordre confessionnel». Mais «c'est faux!» a martelé l'évêque.
Ce régime «en permanence menteur», a poursuivi
l'évêque français au micro de Radio Notre-Dame, veut donc passer pour
«innocent» en laissant penser qu'il défend les chrétiens contre les islamistes.
Au contraire, a-t-il précisé, «le grand argument politique de Bachar el-Assad
c'est premièrement, “moi ou le cahos”, deuxièmement, “guerre à Israël”,
troisièmement, “résistance à l'occident”».
Enfin, en réponse à l'objection du journaliste selon
laquelle beaucoup - à commencer par des chrétiens du Moyen-Orient - estiment
que le régime de Damas demeure un rempart contre l'islamisme, l'évêque a conclu:
«Ne jouez pas cette dramatisation qui est un mensonge, qui sert la propagande
de Bachar el-Assad. On le sait, les chrétiens sont persécutés au Moyen-Orient,
pour des raisons multiples et nous sommes solidaires, nous savons ce qui s'est
passé en Irak et on ne l'oublie. Mais n'allons pas jouer de cet argument pour
défendre un dictateur qui se prépare à commettre le pire et qui l'a déjà
commis. On peut plus dire “nous ne savions pas”. Nous savons, depuis des mois
et des semaines! Nous savons qu'une guerre civile est en train, qu'un dictateur
sanglant manipule cette guerre sanglante et qu'il manipule les opinions
publiques à travers le monde».
Second et dernier élément de contexte: tout en ayant
présidé, à l'appel du Pape François et comme bon nombre de ses confrères, une
veillée de prière pour la paix en Syrie le 7 septembre dans son diocèse, Mgr
Dagens a été l'un des rares dans l'Église catholique a avoir pris publiquement
position pour un «avertissement» armé «proportionné» sous la forme d'un «coup
de semonce» dans ce pays. Il s'en est expliqué par écrit le 6 septembre alors
que le débat portait sur la conduite à tenir sur l'utilisation d'arme chimique.
«Je ne vais pas dans le sens d'une
certaine opinion catholique, qui chante la ritournelle de la paix à tout prix»
Mgr Dagens
Ce fait est suffisamment rare et la polémique
spectaculaire pour mériter une citation de ses propos: «Après quelques jours de
réflexion, je penche pour une intervention armée, écrit Dagens. Je ne vais pas
dans le sens d'une certaine opinion catholique, qui chante la ritournelle de la
paix à tout prix, même si je suis pour la paix, et je présiderai, demain soir,
samedi 7 septembre, la veillée de jeûne et de prière, pour la paix, selon le
souhait du pape François. Je crois qu'il y a une réalité qui s'impose. D'un
côté, une dictature: Bachar el-Assad que l'on n'aurait jamais dû inviter au
défilé du 14 juillet sur les Champs-Élysées, il y a quelques années. Une
dictature et de l'autre côté, des démocraties: la France, les États-Unis, les pays
européens et d'autres pays, pas tellement au Moyen Orient.»
L'évêque d'Angoulême poursuivait: «Peut-on dialoguer
avec Bachar el-Assad, qui sait d'avance tout ce qu'il doit faire? Je ne le sais
pas. Je suis en train de lire une grande biographie allemande de Hitler, et je
constate que les dictateurs sont des gens très intelligents, pas seulement des
brutes, ils sont très cultivés. Bachar el-Assad est aussi très cultivé. Il a
fait des études en Occident. Hitler était aussi très cultivé, très négociateur,
très habile pour séduire et dominer. Avec qui dialoguer? Comment dialoguer? Je
ne sais pas mais je pense que les démocraties françaises et américaines qui
hésitent sont très honorables en hésitant. Nos présidents ne sont pas des chefs
de clan, qui se moqueraient totalement de leurs adversaires et des risques
qu'ils prennent en instrumentalisant la guerre civile dans leur propre camp.
Tous les dictateurs instrumentalisent la violence et Bachar el-Assad aussi. Il
me semble, après réflexion, qu'un coup de semonce, un avertissement armé, fort,
limité, proportionné, est nécessaire. S'il est décidé par les États-Unis et la
France, je le comprends, en espérant que cet avertissement armé pourra ouvrir
la voie à des discussions politiques, même si le régime n'est pas renversé,
mais là on entre dans l'hypocrisie politique. Voilà ce que je voulais dire au
risque d'étonner un certain nombre de personnes.»
Jean-Marie Guénois,
Le Figaro, 19 septembre 2013