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23 octobre 2013

Les mille et une nuits de Damas pour oublier la guerre



Reportage « Nous dansons pour évacuer notre énergie négative ».
La nuit tombée, quand une partie de Damas est tapie chez elle par peur de la guerre à ses portes, l’autre danse sur le volcan pour oublier que chacun peut être la prochaine victime du feu qu’il crache. Dans une boîte de nuit du quartier de Chaalane, des jeunes dansent sur des rythmes arabes et occidentaux tandis que le barman, avec dextérité, jongle avec des bouteilles d’alcool.
« Je viens ici pour me changer les idées. Ici, c’est la joie. Je veux vivre et ne plus entendre des mauvaises nouvelles », assure, un peu éméché, Mohammad, 25 ans, un vendeur de voitures. Sur la piste, les clients se trémoussent sur un air en vogue chez les partisans du régime, et dont le refrain est : « Ne me demande pas comment et pourquoi, c’est l’armée qui nous protège. Toi et moi nous saluons le général Maher » el-Assad. Le frère du président Bachar el-Assad est en fait colonel et à la tête de la 4e division en charge de Damas et de sa banlieue. 
« Tout le monde va mourir un jour, mais le peuple syrien aime la vie et le plus important, c’est d’être heureux. Si l’Amérique nous attaque, je suis confiant que notre armée nous défendra », assure Moudy al-Arabi, le surnom d’un chanteur de rap, 22 ans, rentré il y deux mois à Damas après un exil de deux ans au Maroc. « Chacun vient ici entre amis ou avec sa petite amie, pour oublier la routine de la semaine », ajoute-t-il. Moudy fait partie d’un groupe de rap dénommé « Damas la capitale ». Il écrit, enregistre et réalise les clips de ses chansons qui ont un parfum de nostalgie sur Damas d’avant la guerre. Dès l’âge de 17 ans, il a participé à des festivals en Syrie, maintenant il se produit dans des concerts privés une fois tous les quinze jours devant un public de 14 à 21 ans car, dit-il, c’est dur d’obtenir des autorisations des services de sécurité.

Évacuer l’énergie négative

« Nous restons ouverts jusqu’à deux heures du matin. Ça marche bien. Mais ne mentionnez pas le nom de ma discothèque car j’ai peur qu’on s’en prenne à mon établissement en prétextant qu’il ne faut pas s’amuser quand des gens meurent », implore Bachar, le gérant, 29 ans.

Et il y a une dizaine d’endroits comme celui-ci dans la capitale. « Nous en changeons souvent. Cela dépend où mes amis veulent se retrouver. Il y a même des boîtes où le champagne coule à flots », confie Ahmad, un étudiant de 22 ans.

Malgré le canon qui tonne et les avions qui bombardent, Yara, 22 ans, parcourt 25 km deux fois par semaine afin de se rendre au Centre culturel bulgare, dans le quartier de Malki, en centre-ville, pour y prendre des cours de salsa, merengue, cha-cha-cha et tango. « Ici, je suis différente, je suis heureuse. Nous sommes tous devenus amis », assure cette jeune diplômée en économie.
Une dizaine de couples évoluent sur la piste sous les yeux attentifs des deux professeurs Fadi et Mayss. Le premier travaille le jour à l’ONU et la seconde est assistante du directeur d’une compagnie de télécommunications. « Nous dansons pour évacuer notre énergie négative », assure Fadi, 30 ans. « Avant la guerre, les Syriens n’étaient pas aussi actifs. Maintenant nous avons compris que la vie est courte et qu’il faut en profiter », confie Mayss, 28 ans. Chaque jeudi soir, veille de week-end en Syrie, ils retrouvent leurs 200 élèves dans un hôtel de Damas pour danser ensemble au rythme de la musique cubaine.

Autre ambiance dans le vieux Damas. À l’hôtel Baik Bash, dans la salle de karaoké, c’est le paradis des amoureux de la musique arabe et surtout syrienne. Pendant que Racha Tabba chante Je suis dans un tel état, de l’Alépin Sabah Fakhri, ses amis font la danse du ventre. « La situation est mauvaise et nous venons ici pour nous changer les idées. J’aime bien chanter et je pense avoir une jolie voix », affirme cette femme au foyer, la tête recouverte d’un foulard blanc et qui n’hésite pas, elle non plus, à se déhancher pour danser. La propriétaire, Arwa, est la mère de Mohammad Bash, parvenu en demi-finale de la Star Academy en arabe et qui, selon elle, « adore venir ici pour pousser la chansonnette avec ses copains ».

L'Orient le Jour / AFP, le 18 septembre 2013