Je vous proposerai une émission
exceptionnelle dimanche prochain, car le livre dont il va être question est tout
à fait remarquable. Il s'agit d'une encyclopédie, "Histoire des
relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours", c'est publié
aux éditions Albin Michel et j'aurai le plaisir de recevoir un de ses deux
éditeurs, Jean Mouttapa. Jean Mouttapa
est le directeur depuis 25 ans de la collection "Spiritualités", et
il a énormément développé son département, devenu le premier pôle d'édition
religieuse en France en dehors du monde confessionnel. Il a permis, en
particulier, à un large public de découvrir les penseurs contemporains juifs et
musulmans ; mais surtout lui, un Chrétien, a été meurtri par le conflit israélo-arabe.
Il a voulu être un acteur du dialogue, et c'est ainsi qu'il a aidé le Père
Emile Shoufani, le curé de Nazareth, à organiser le premier voyage judéo-arabe
à Auschwitz. Il a été aussi un des fondateurs du Projet Aladin, traité dans
notre dernière émission. Et il a eu l'idée en 2008 de cette grande encyclopédie,
un énorme travail collectif qui a pris 5 ans et qui vient de sortir en
librairie. 1.200 pages, plus de 200 illustrations, une centaine de
contributeurs universitaires de haut niveau de plusieurs pays, de Paris à
Princeton en passant par Jérusalem, Tunis ou Rabat, des juifs, des musulmans,
mais aussi des chrétiens, des Israéliens et même des Palestiniens, tous ont été
mis à contribution pour cet ouvrage qui servira certainement de référence. Le
"fil rouge" de cette encyclopédie, c'est de n'avoir choisi que des
auteurs académiques et non des responsables politiques, de manière à éviter les
"biais" idéologiques, faisant réécrire l'Histoire à la lumière du
présent. J'ajoute que ce travail gigantesque a été dirigé par deux invités que
mes lecteurs connaissent bien : l'écrivain et penseur Abdelwahab Meddeb, un
musulman inconsolable de la présence juive disparue dans son pays, la Tunisie ;
et l'historien Benjamin Stora, un juif fasciné par le passé de son
Algérie natale. Ils écrivent dans leur introduction : "En ces temps où
cette relation (judéo-musulmane) se porte mal, très mal (...) nous nous sommes attachés
à rendre possible cette histoire distancée, équilibrée, apaisée, qui semblait
de prime abord impossible".
Parmi les questions que je
poserai à Jean Mouttapa :
- A propos du lancement du livre : des
conférences sont-elles prévues ? Y aura-t-il une présentation à l'Etranger et
dans quels pays ? Etes-vous soutenus pour cette promotion par des institutions
culturelles ou par l'éducation nationale ? Des éditions dans d'autres langues
sont-elles prévues, en arabe et en hébreu surtout ? Est-il prévu une édition
numérique ?
- Le livre est construit en quatre grandes
parties : trois sont chronologiques et plutôt historiques, elles sont intitulées
: "Période médiévale", "Période moderne" et "Temps
présent", cela constitue une grosse moitié du livre. Et puis il y a une longue
quatrième partie assez originale et dont Abedlwahab Meddeb a été l'architecte,
elle s'appelle "Transversalité" : que trouve-t-on dans chacune de ses
parties ? Et qu'elles en ont été les signatures principales ?
- Lorsqu'on parcourt la table des matières, on
est frappé par le fait que les contributions d'auteurs juifs sont de loin les
plus nombreuses, les académiques musulmans ne représentant qu'environ 25 % :
comment l'expliquer ? Est-ce que cela vient de raisons politiques ? Est-ce que
cela est du à un retard des Universités dans certains pays ? Les contributions
arabes ou musulmanes sont assez équilibrées dans la quatrième partie, celle où
il est question de civilisation et de religion, mais on a l'impression que pour
évoquer la mémoire proche et douloureuse - comme le déracinement des Juifs du
monde musulman, ou le conflit israélo-palestinien - il n'y a pas de récit
distancié de leur côté : qu'en pensez-vous ?
- Le mythe d'un "âge
d'or" judéo-musulman à l'époque médiévale et singulièrement en Andalousie,
est remarquablement analysé dans le prologue du premier chapitre par Mark R. Cohen,
professeur à l'Université Princeton. Il rappelle de façon très claire l'origine
et l'exploitation idéologique de ce mythe : ce sont des orientalistes d'Europe centrale,
souvent juifs, qui ont écrit au 19ème siècle sur la tolérance supposée continue
et sans nuages de l'islam vis à vis de leur propre peuple, de manière à en
faire un exemple pour les pays chrétiens, où l'émancipation restait à conquérir.
Mais aujourd'hui, il y a une contre-idéologie côté juif s'appuyant sur le
statut d'infériorité du "Dhimmi" pour raconter que la vie des
minorités était un enfer en terre d'islam. Les deux mythes semblent maintenant bien
ancrés des deux côtés : un livre exigeant, documenté mais très long à assimiler
comme cette encyclopédie, peut-il les démonter ?
-
Le "divorce" des Juifs et du Monde
musulman s'est joué en quelques décennies, puisque l'on a vu plus de 800.000
personnes venant de communautés parfois millénaires se disperser en environ 40
ans pour aller, en majorité en Israël et pour le reste en Occident. Deux
chapitres expliquent ce qui s'est passé de manière objective et nuancée.
Michaël M. Laskier, de l'Université Bar Ilan, rappelle que la situation a été
différente dans chaque pays, mais que c'est la peur qui a le plus souvent
motivé ces départs ; Michel Abitbol, professeur de l'Université Hébraïque de
Jérusalem, analyse toutes les causes du divorce des élites juives et musulmanes
depuis la période coloniale, et il rappelle qu'au final c'est le nationalisme
arabe qui a abouti à l'homogénéisation ethnique, culturelle et religieuse de
tous ces pays. Cette histoire, largement ignorée même chez nous, en France, est-elle
transmissible dans nos écoles ? Et la jeunesse du monde arabe pourra-t-elle la
connaitre un jour ?
J.C