Le Doyen Habib Kazdaghli
Décidément, ce sont de toujours plus désolantes nouvelles qui
nous arrivent de Tunisie : en même pas neuf mois de pouvoir, le parti
islamiste Ennahda plonge le pays à marche forcée vers l'obscurantisme,
tantôt en imposant un "ordre moral" de plus en plus pesant, tantôt en
laissant faire les actes de violence des Salafistes, qui intimident la
population et s'attaquent à tous les symboles passés de la pluralité et
de la tolérance...
Habib Kazdaghli, Professeur d'Histoire Contemporaine à la Faculté
de Tunis - Manouba, mais aussi et surtout actuel Doyen élu de cette
faculté, fait partie de ces symboles à abattre : il vient d'être mis en
examen pour avoir soit disant "agressé une étudiante portant le niqab",
et il doit comparaitre au Tribunal de première instance de la Manouba le
5 juillet prochain. En vérité, et comme l'indique le communiqué de
presse du "Comité de défense des valeurs universitaires, de l'autonomie
institutionnelle et des libertés académiques", il s'agit d'une
accusation sans fondement : il est non pas le coupable mais la victime
d’une agression alors qu’il accomplissait son devoir. Deux étudiantes
portant le niqab se sont, en effet, introduites dans son bureau, en ont
endommagé le mobilier. Elles ont dispersé les documents et tenté de
détruire les dossiers qui s’y trouvaient. Ces infractions ont été
constatées par le Procureur de la République auprès du Tribunal de
première instance de la Manouba, l’après-midi du 6 mars 2012. Ce même
jour, le bureau du Doyen avait été la cible de plusieurs jets de
pierres.
Pour qui suit un peu ce qui se passe dans cette faculté, ce n'était
pas la première fois que de tels incidents se passaient, et que le
professeur Kazdaghli était visé : le 22 janvier dernier, la chaine de
télévision M6 diffusait un reportage intitulé "Etudiantes contre
salafistes", qui illustrait parfaitement comment les intégristes
activistes occupaient les lieux, bloquant la fac, empêchant les autres
étudiants de travailler, et cherchant à imposer le voile intégral. On
peut toujours voir ce reportage sur ce lien.
Mais cette haine tenace envers un universitaire tunisien tient sans
doute à autre chose, et là je voudrais évoquer et les liens d'amitiés
qui me lient à lui, et l'antisémitisme rampant que révèle aussi cette
affaire. Spécialiste de l'histoire contemporaine des minorités en
Tunisie, Habib Kazdaghli a été longtemps un membre actif de la "Société
d'Histoire des Juifs de Tunisie", association laïque réunissant des
historiens de toutes les confessions et travaillant ensemble à faire
connaître le passé, jadis pluriel, du pays. J'ai pu ainsi faire sa
connaissance, et le recevoir à plusieurs reprises sur notre station,
Judaïques FM. Il a eu le courage il y a deux ans de publier dans la
presse tunisienne, un article évoquant les persécutions anti juives lors
de l'occupation allemande du pays, en 1942-1943 (lire ici),
et de participer à un grand pèlerinage à Auschwitz, réunissant des
personnalités juives et musulmanes : or cela est devenu insupportable,
dans un pays où par ailleurs le pire antisémitisme s'affiche maintenant
dans des manifestations publiques. Le même gouvernement Ennahda, qui vient de rendre hommage au négationniste Roger Garaudy, ne peut que vouloir réduire au silence un esprit libre, comme Habib Kazdaghli ...
Une chaine internationale de solidarité se constitue pour défendre
cet universitaire contre l'arbitraire : elle réunit, au delà des
différences d'opinions, de confessions ou d'origines, des amis de ce
Professeur ; et je suis fier de la rejoindre à mon tour.
Jean Corcos
Cet article a été publié sur le site du CRIF, le 29 juin 2012