J'ai eu le plaisir d'assister mardi soir 3 juillet à une
très intéressante conférence débat organisée à l'Institut Supérieur de Gestion
par la revue "Building", dont le rédacteur en chef est Michel
Taubmann. Pour rappel, il avait été mon invité dans ma série il y a deux ans et
nous avions parlé de l'Iran, pays qu'il connait bien pour soutenir activement
l'opposition au régime ; le numéro deux de la revue consacre, justement, un
dossier à ce sujet.
Nous avons été accueillis par un autre ancien invité,
Frédéric Encel, professeur à l'I.S.G. A la tribune, figurait aussi un
interviewé récent, Antoine Vitkine, grand spécialiste de la Libye. Mais aussi
Malek Chebbel, Michaël Prazan et Randa Kassis. Les débats étaient animés par le
Président de la Confédération Etudiante, Baki Youssoufou. Hélas, l'assistance
n'était pas à la hauteur de ce brillant panel : la date devait être mal choisie
!
Mais vous vous doutez bien sûr qu'un tel sujet - "Où
va le monde arabe ?" ne pouvait que me passionner, ayant déjà consacré
tant d'émissions à toutes ces révolutions.
Michel Taubmann a introduit le débat de manière directe,
en demandant au vu de la prise de pouvoir, un peu partout, par les islamistes, "Devons-nous
regretter les dictatures ? Avons-nous eu raison de soutenir le "Printemps
arabe" ?" ... et, très vite, deux "camps" se sont affrontés
: les pessimistes (Malek Chebbel, Michaël Prazan), pour qui rien ne peut
s'opposer à cette marée ; et les optimistes (Antoine Vitkine, mais surtout
Randa Kassis), pour qui l'Histoire n'est pas encore terminée, loin de là !
Commençons par les "pessimistes" : Malek
Chebbel, fortement marqué par son origine algérienne et l'évolution islamiste
de la société là-bas, pense que le ver est déjà dans le fruit, parce que le pouvoir
dans tous les pays arabes a refusé de séparer l'islam et la politique : règle
numéro pour avoir une vraie démocratie, et qu'il préconisait ... dès 2004, dans
son livre "Manifeste pour un islam des lumières" ! Il a également
pointé du doigt la responsabilité de la colonisation, en disant que cela avait
déstabilisé de manière durable tous ces pays - ce qui n'a d'ailleurs pas été
unanimement apprécié dans l'assistance. Autre approche
intéressante de Malek Chebbel, la vision "d'un temps long", qui
permettrait de voir le "Printemps arabe" comme la fin d'une longue
parenthèse traumatique après la chute du Califat en 1924 : le monde arabe ne
l'a jamais digéré, et ces mouvements seraient d'abord une manifestation identitaire avec un retour
aux sources, donc à l'islam politique, les Frères Musulmans ayant aussi été fondés dans les années vingt !
Michaël Prazan a été en Tunisie à la rencontre d'Ennahda,
et en Égypte à la rencontre des Frères Musulmans qui viennent de gagner les
élections ; il va leur consacrer un film, puis un livre à la rentrée, et
j'espère bien l'avoir comme invité pour en parler. Pour lui, nous avons tous
été trompés par "la jeunesse facebook", occidentalisée et à la pointe
des révolutions l'année dernière : ils ne représentent rien dans leurs
sociétés, qui sont pauvres et infiltrées en profondeur et depuis des décennies
par les islamistes. Et les "Frères" et les Salafistes, diffèrent par leur agenda
immédiat mais tous ont le même objectif stratégique : le "Califat
mondial". Ceci étant, il reste optimiste pour la
Tunisie, où l'opposition laïque s'organise, s'exprime librement à l'Assemblée
constituante : tout n'est pas joué là-bas ; et en cela, il rejoint l'analyse
de Pierre Vermeren, entendue dans un débat que j'avais animé en mars au Centre Communautaire
de Paris.
Passons maintenant aux optimistes. Antoine Vitkine
partage l'avis que le temps islamiste va durer, mais selon lui il aura
fatalement une fin : certes, le Qatar, l'Arabie Saoudite essaient de manipuler
leurs relais locaux, mais les Occidentaux n'ont pas perdu le contrôle de la
situation et ils sauront leur dire "jusqu'à ne pas aller trop loin".
Alors, "il faut faire de la politique", mais subtilement - à ce
titre, il pense que la diplomatie américaine à une longueur d'avance sur la
notre. De toute façon, "on ne pouvait continuer à soutenir des dictatures
qui étaient condamnées". Et maintenant," il faut parler à tout le
monde", aux Frères Musulmans mais aussi à leurs opposants, trouver des
relais ... et espérer que les laïcs auront le dessus !
Mais j'ai été particulièrement impressionné par Randa
Kassis, qui est journaliste, opposante syrienne en exil à Paris et Présidente
de "L'assemblée générale de la Coalition laïque et démocratique
syrienne." Une femme jeune, jolie, mais surtout à l'optimisme qui
faisait chaud au cœur, alors même que son peuple est massacré au quotidien par
les tueurs du régime Assad ! Randa Kassis est bien consciente de la difficulté
de la situation : en Syrie, ce sont les plus laïcs qui soutiennent le régime -
Alaouites, Chrétiens - parce qu'ils craignent les "Frères Musulmans"
qui dominent au C.N.S, principale force d'opposition. Mais ceci est un leurre,
parce que ce régime - comme tous les régimes arabes - a soutenu l'islamisation
de la société, et la construction de mosquées qui étaient le seul point de
rencontre. Elle ne désespère pas des jeunes, et est enthousiaste de la parole
libérée dans le monde arabe, sur le Web, sur FaceBook, Tweeter, dans les blogs ; une
formidable mutation culturelle est lancée, pense-t-elle, et au final ces pays
connaitront, elle en est sûre, une vraie démocratie
Voilà ... vous imaginez combien j'ai été passionné par
ces intervenants, et par le débat avec la salle : rendez-vous sur Judaïques FM
à la rentrée, pour le reprendre avec certaines de ces personnalités !
Jean Corcos