Plusieurs qualificatifs ont été utilisés pour qualifier le retrait dramatique d’Afghanistan de la plus grande puissance mondiale, mais les termes d’humiliation et d’incertitude reviennent souvent. Humiliation car ceux que l’on considère comme des miliciens en haillons ont eu raison de la plus forte armée du monde ; incertitude car ceux qui comptent sur les États-Unis et leur parapluie nucléaire ont à présent des doutes sur la réalité de leur protection.
Les hommes politiques ne tiennent pas compte des leçons qui leur sont données par des tiers sinon ils auraient tiré les conséquences de la déroute soviétique subie il y a trente-deux ans en Afghanistan. Et pourtant les Soviétiques n’étaient pas des enfants de cœur et leurs méthodes n’avaient rien à envier à celles des Talibans. Leurs techniques expéditives auraient dû décourager toute contestation au sein d’un pays muselé mais ce ne fut pas le cas.
En fait, les Américains auraient dû apprendre à connaitre le pays et ses habitants avant de l’occuper. Ils pensaient qu’il suffisait d’inonder l’Afghanistan de dollars et d’armements pour le dompter. Ils n’ont pas compris que des paysans pauvres mais déterminés et intoxiqués par la religion pouvaient être de farouches combattants. Les Américains auraient dû se rendre compte que les populations ne peuvent pas se libérer si elles ne le souhaitent pas. Pourtant, les Talibans et l’armée régulière sont constitués d’hommes de même origine, de même nature et de même force mais les uns sont volontaires et déterminés tandis que les autres ont choisi d’être assistés pourvu qu’ils aient des dollars en poche et que des étrangers se chargent de leur protection.
Mais les choses ont évolué car le temps des Talibans de 1990, primitifs, sectaires, fanatiques, façonnés par la pauvreté et la souffrance est révolu. Ceux de 2021 ont beaucoup appris et ont même acquis des diplômes universitaires. Ils ont compris qu’ils devaient se montrer sous un jour plus favorable avec beaucoup de sournoiserie pour rendre leur combat plus efficace. Ils ne coupent pas des têtes, ou moins, mais ils le font dans le silence des prisons, hors des caméras et des médias qu’ils ont appris depuis longtemps à apprivoiser. C’est en ce sens qu’ils sont plus dangereux parce que leur message est devenu cohérent et ils rassurent en tendant une main tous azimuts.
Mais les Talibans veulent régner sans partage, sans contact avec l'État islamique d'Asie du Sud considéré comme concurrent. Cela rassure les Occidentaux qui comptent sur des guerres intestines pour être à l’abri. Mais malgré des interventions médiatiques rassurantes, les méthodes restent expéditives. Le chef de l’État islamique, Abu Omar Khorasani, a été arrêté à Kaboul aux côtés du chef des espions et du responsable des relations publiques du groupe. Cette opération entrait dans la traque les hauts dirigeants des groupes terroristes régionaux. Alors, les Talibans n’ont donc pas hésité à exécuter Abu Omar Khorasani. Cette exécution se veut rassurante car le message à transmettre aux puissances régionales consiste à leur faire comprendre que les Talibans récusent le désordre.
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Les Talibans ont été surpris par leur victoire rapide et se trouvent contraints de régler la crise sanitaire qui prend des proportions énormes et la situation économique qui frise la faillite. Ils savent que l’échec économique plombera leur situation politique comme à l’occasion de leur première prise de pouvoir. Alors ils ont demandé aux Talibans des rues de se comporter avec courtoisie avec les femmes et les commerçants pour permettre à la population de reprendre vie dans la cité. La nouvelle stratégie doit rassurer.
Mais ces épisodes dramatiques comportent un message aux alliés des Américains, aux Israéliens et aux Saoudiens en particulier. Ils peuvent être à abandonnés à tout moment. Cela rappelle l’affirmation pertinente d’Henry Kissinger : «il peut être dangereux d'être l'ennemi de l'Amérique, mais d'être l'ami de l'Amérique est fatal».
Jacques Benillouche,
Temps et Contretemps, le 25 août 2021